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<< Salamanque, appelé Ambrosio Piquillo, cap<< tif à Alger. >> Ges bons religieux, dans ce voyage qu'ils viennent de faire à Alger, n'ont pas manqué de suivre l'intention du recteur; ils ont racheté Ambrosio, qui est cet esclave dont vous avez admiré l'air tranquille.

Mais il me semble, dit don Cleophas, que Bahabon n'en doit plus guère de reste à ce bourgeois. Don Pablos pense autrement que vous, répondit Asmodée. Il restituera le principal et les intérêts: la délicatesse de sa conscience va jusqu'à se faire un scrupule de posséder le bien qu'il a gagné depuis qu'il est recteur; et quand il reverra Piquillo, il a dessein de lui dire : Ambrosio, mon ami, ne me regardez plus comme votre bienfaiteur; vous ne voyez en moi que le fripon qui a déterré l'argent que vous aviez caché dans un bois : ce n'est point assez que je vous rende vos deux cent cinquante doublons, puisque je m'en suis servi pour parvenir au rang que je tiens dans le monde, tous mes effets vous appartiennent; je n'en veux retenir que ce qu'il vous plaira que... Le Diable boiteux s'arrêta tout court en cet endroit; il lui prit un frisson, et il changea de visage.

Qu'avez-vous? lui dit l'écolier; quel mouve

ment extraordinaire vous agite et vous coupe subitement la parole? Ah! seigneur Leandro, 'écria le démon d'une voix tremblante, quel malheur pour moi! Le magicien qui me tenait prisonnier dans une bouteille vient de s'apercevoir que je ne suis plus dans son laboratoire : il va me rappeler par des conjurations si fortes, que je n'y pourrai résister. Que j'en suis mortifié? dit don Cleophas tout attendri: quelle perte je vais faire ! Hélas! nous allons nous séparer pour jamais. Je ne le crois pas, répondit Asmodée : le magicien peut avoir besoin de mon ministère; et si j'ai le bonheur de lui rendre quelque service, peut-être par reconnaissance me remettra-t-il en liberté : si cela arrive, comme je l'espère, comptez que je vous rejoindrai aussitôt, à condition que vous ne révèlerez à personne ce qui s'est passé cette nuit entre nous; car si vous aviez l'indiscrétion d'en faire confidence à quelqu'un, je vous avertis que vous ne me reverriez plus.

Ce qui me console un peu d'être obligé de vous quitter, poursuivit-il, c'est que du moins j'ai fait votre fortune. Vous épouserez la belle Séraphine, que j'ai rendue folle de vous: le seigneur don Pedro de Escolano, son père, est dans la résolution de vous la donner en mariage; ne

laissez paint échapper un si bel établissement. Mais, miséricorde! ajouta-t-il ; j'entends déjà le magicien qui me conjure: tout l'enfer est effrayé des paroles terribles que prononce ce redoutable cabaliste. Je ne puis demeurer plus long-temps avec votre seigneurie : jusqu'au revoir, cher Zambullo. En achevant ces mots, il embrassa don Cleophas, et disparut après l'avoir transporté dans son appartement.

CHAPITRE XXI.

De ce que fit don Cleophas après que le Diable boiteux se fut éloigné de lui, et de quelle façon l'auteur de cet ouvrage a jugé à propos de le finir.

UN moment après la retraite d'Asmodée, l'écolier se sentant fatigué d'avoir été toute la nuit sur ses jambes, et de s'être donné beaucoup de mouvement, se déshabilla et se mit au lit pour prendre quelque repos. Dans l'agitation où étaient ses esprits, il eut bien de la peine à s'endormir; mais enfin, payant avec usure à Morphée le tribut que lui doivent tous les mortels, il tomba dans un assoupissement léthargique, où il passa la journée et la nuit suivante.

Il y avait déjà vingt-quatre heures qu'il était dans cet état, quand don Luis de Lujan, jeune, cavalier de ses amis, entra dans sa chambre en criant de toute sa force : Holà ho! seigneur don Cleophas, debout! A ce bruit, Zambullo se réveilla. Savez-vous, lui dit don Luis, que vous êtes couché depuis hier matin? Cela n'est pas possible, répondit Leandro. Rien n'est plus vrai, répliqua son ami; yous avez fait deux fois le tour du cadran. Toutes les personnes de cette maison me l'ont assuré.

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L'écolier, étonné d'un si long sommeil, craignit d'abord que son aventure avec le Diable boiteux ne fût qu'une illusion; mais il ne pouvait le croire; et lorsqu'il se rappelait certaines circonstances, il ne doutait plus de la réalité de ce qu'il avait vu; cependant, pour en être plus certain, il se leva, s'habilla promptement, et sortit avec don Luis, qu'il mena vers la porte du Soleil, sans lui dire pourquoi. Quand ils furent arrivés là, et que don Cleophas aperçut l'hôtel de don Pedre presque tout réduit en cendres, il feignit d'en être surpris. Que vois-je ? dit-il. Quel ravage le feu a fait ici! A qui appartient cette malheureuse maison? y a-t-il long-temps qu'elle est brûlée?

Don Luis de Lujan répondit à ses deux questions, et lui dit ensuite : Cet incendie fait moins de bruit dans la ville, par le dommage considé rable qu'il a causé, que par une particularité que je vais vous apprendre. Le seigneur don Pedro de Escolano a une fille unique qui est belle comme le jour; on dit qu'elle était dans une chambre pleine de flamme et de fumée, où elle devait périr nécessairement, et que néanmoins elle a été sauvée par un jeune cavalier dont je ne sais pas encore le nom; cela fait le sujet de tous les entretiens de Madrid. On élève jusqu'aux nues la valeur de ce cavalier, et l'on croit que, pour prix d'une action si hardie, quoiqu'il ne soit qu'un simple gentilhomme, il pourra bien obtenir la fille du seigneur don Pedre.

Leandro Perez écouta don Luis sans faire semblant de prendre le moindre intérêt à ce qu'il disait; puis se débarrassant bientôt de lui sous un prétexte spécieux, il gagna le Prado, où s'étant assis sous des arbres, il se plongea dans une profonde rêverie. Le Diable boiteux vint d'abord occuper sa pensée. Je ne puis, disait-il, trop regretter mon cher Asmodée; il m'aurait fait faire le tour du monde en peu de temps, et j'aurais voyagé sans éprouver les incommodités des

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