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Remercions, poursuivit-il, en lui présentant le faux don Cleophas, remercions tous deux ce jeune cavalier. C'est votre libérateur; c'est à lui que yous devez la vie : nous ne pouvons lui témoigner assez de reconnaissance, et la somme que j'ai promise ne saurait nous acquitter envers lui.

Le Diable prit alors la parole, et dit à don Pedre d'un air poli: Seigneur, la récompense que vous avez proposée n'a aucune part au seryice que j'ai eu le bonheur de vous rendre : je suis noble et Castillan; le plaisir d'avoir essuyé vos larmes, et arraché aux flammes l'objet char mant qu'elles allaient consumer, est un salaire quí me suffit.

Le désintéressement et la générosité du libérateur firent concevoir pour lui une estime infinie au seigneur de Escolano, qui le pria de le venir voir, et lui demanda son amitié en lui offrant la sienne. Après bien des compliments de part et d'autre, le père et la fille se retirèrent dans un corps-de-logis qui était au bout du jardin; suite le démon rojoignit l'écolier, qui, le voyant evenir sous sa première forme, lui dit : Seigneur Diable, mes yeux m'auraient-ils trompé? n'étiez-vous pas tout à l'heure sous ma figure? Pardonnez-moi, répondit le boiteux; et je vais

en

vous apprendre le motif de cette métamorphose. J'ai formé un grand dessein: je prétends vous faire épouser Séraphine; je lui ai déjà inspiré, sous vos traits, une passion violente pour votre seigneurie. Don Pedre est aussi très satisfait de vous, parceque je lui ai dit fort poliment qu'en délivrant sa fille je n'avais eu en vue que de leur faire plaisir à l'un et à l'autre, et que l'honneur d'avoir heureusement mis à fin une si péril leuse aventure était une assez belle récompense pour un gentilhomme espagnol. Le bon homme a l'ame noble, il ne voudra pas demeurer en reste de générosité; et je vous dirai qu'en ce moment il délibère en lui-même s'il vous fera son gendre , pour mesurer sa reconnaissance au service qu'il s'imagine que vous lui avez rendu.

En attendant qu'il s'y détermine, ajouta te boiteux, gagnons un endroit plus favorable que celui-ci, pour continuer nos observations. A cès mots, il emporta l'écolier sur une haute église remplie de mausolées.

CHAPITRE XII.

Des tombeaux, des ombres et de la mort.

AVANT que nous poursuivions l'examen des vivants, dit le démon, troublons pour quelques moments le repos des morts de cette église; parcourons tous ces tombeaux; dévoilons ce qu'ils recèlent; voyons ce qui les a fait élever:

Le premier de ceux qui sont à main droite contient les tristes restes d'un officier général qui, comme un autre Agamemnon, trouva au retour de la guerre un Égiste dans sa maison. It' y a dans le second un jeune cavalier de noble race, qui, voulant montrer son adresse et sa vigueur à sa dame un jour de combat de taureaux, fut cruellement occis par un de ces auimaux-là. Et, dans le troisième, gît un vieux prélat sorti de ce monde assez brusquement, pour avoir fait son testament en pleine santé, et l'avoir lu à ses domestiques, à qui, comme un bon maître, il léguait quelque chose. Son cuisinier fat impatient de recevoir son legs.

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Il repose dans le quatrième mausolée un courtisan qui ne s'est jamais fatigué qu'à faire sa cour; on le vit pendant soixante ans tous les jours au lever, au dîner, au souper et au coucher du roi, qui le combla de bienfaits pour récompenser son assiduité. Au reste, dit don Cleophas, ce courtisan était-il homme à rendre service? A personne, répondit le Diable: il promettait volontiers de faire plaisir; mais il ne tenait jamais ses promesses. Le misérable! répliqua Leandro si l'on voulait retrancher de la société civile les hommes qui y sont de trop, il faudrait commencer par les courtisans de ce caractère-là.

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Le cinquième tombeau, reprit Asmodée, renferme la dépouille mortelle d'un seigneur zélé pour la nation espagnole, et jaloux de la gloire de son maître : il fut toute sa vie ambassadeur à Rome ou en France, en Angleterre ou en Portugal; il se ruina si bien dans ses ambassades, qu'il n'avait pas de quoi se faire enterrer quand il mourut; mais le roi en fit la dépense pour reconnaître ses services.

Passons aux monuments qui sont de l'autre côté. Le premier est celui d'un gros négociant qui laissa de grandes richesses à ses enfants; mais

de peur qu'elles ne leur fissent oublier de qui ils 'étaient sortis, il fit graver sur son tombeau son nom et sa qualité, ce qui ne plait guère aujourd'hui à ses descendants.

Le mausolée qui suit, et qui surpasse tous les autres en magnificence, est un morceau que les voyageurs regardent avec admiration. En effet, dit Zambullo, il me paraît admirable: je suis enchanté sur-tout de ces deux représentations qui sont à genoux; voilà des figures bien travaillées! Que le sculpteur qui les a faites était un habile ouvrier! Mais apprenez-moi, de grace, ce que les personnes qu'elles représentent ont été pendant leur vie?

Le boiteux reprit : Vous voyez un duc et son épouse; ce seigneur était grand sommelier du corps; il remplissait sa charge avec honneur, et sa femme vivait dans une haute dévotion. II faut que je vous rapporte un trait de cette bonne duchesse; vous le trouverez un peu gaillard pour une dévote. Le voici.

Cette dame avait pour directeur, depuis longtemps, un religieux de la Merci, nommé don Jérôme d'Aguilar, homme de bien, et fameux prédicateur: elle en était très satisfaite, lorsqu'il parut à Madrid un dominicain qui se mit à prêcher

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