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de C. Lutatius Catulus, forcèrent les Carthaginois à demander la paix tout de nouveau [ an de Rome 511]. Rome la leur accorda: mais Rome, inflexible, quelquefois même cruelle envers des ennemis abattus, ne leur donna la paix qu'à des conditions très-onéreuses. On exigea d'eux qu'ils remettraient aux Romains la place et le port Lilybée, dans la Sicile; qu'ils abandonneraient entièrement cette île; qu'ils rendraient les prisonniers sans rançon; qu'ils livreraient les déserteurs et les transfuges; qu'ils paieraient comptant mille talens pour les frais de la guerre, et deux mille deux cents. en dix ans par forme de tribut [an de Rome 512]. Les Carthaginois, épuisés, souscrivirent à tout, et le traité fut conclu1 sous le consulat de Q. Luta-, tius et de A. Manlius, l'an 512 de la fondation de Rome.

Mais ce fut moins une paix qu'une trève. Les Carthaginois, comme les plus faibles, ne l'avaient recherchée que pour avoir le temps de rétablir. leurs forces. Ils ne se virent pas plus tôt en état de soutenir une nouvelle guerre, qu'ils reprirent les armes avec fureur [an de Rome 515]. 2 Le siége qu'ils mirent devant Sagunte, ville d'Espagne, alliée des Romains, fut le prétexte de cette guerre, et Annibal le véritable auteur. Il était né soldat, l'exercice continuel des armes en fit un grand capitaine. Ce fut dans cette guerre qu'il fit éclater

1 Tit. Liv. lib. XXX, cap. 44. * App. Alex. in Libyca, cap. 6.

VERTOT. T. III.

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et

ses talens supérieurs, qui lui donnèrent tant d'avantages sur les généraux romains: toujours juste dans ses projets; des vues immenses, le génie admirable pour distribuer dans le temps l'exécution de ses desseins; toute l'adresse pour agir sans se laisser apercevoir; infini dans les expédiens; aussi habile à se tirer du péril qu'à y jeter les autres; du reste, sans foi, sans religion, sans humanité, et cependant ayant su se donner tous les dehors de ces vertus autant qu'il convenait à ses intérêts.

Tel était le fameux Annibal, lorsqu'il forma le plus hardi projet que jamais aucun capitaine eût osé concevoir, et que l'événement seul justifia. Du fond de l'Espagne il résolut de porter la guerre en Italie, et d'attaquer les Romains jusque dans le centre de leur domination, sans y avoir ni places, ni magasins, ni secours assurés, ni espérance de retraite. Il traverse l'Espagne et les Gaules, passe les Alpes, et vient camper fièrement jusque sur les bords du Tesin. Ce fut où se donna la première bataille [an de Rome 535]; les Romains furent défaits, et le consul P. Cornelius Scipion, leur général, serait tombé entre les mains des ennemis, si Publius Scipion, son fils, n'eût accouru à son secours. Ce jeune homme, qui n'avait encore que dix-sept ans, voyant son père enveloppé d'un gros d'ennemis, perça seul jusqu'à lui, et écarta à coups d'épée tout ce qui l'environnait, et le dégagea dans le temps qu'il allait être pris ou tué.

Comme le détail de cette guerre n'est point de mon sujet, je me contenterai de remarquer que

les Romains, sous le commandement et le consulat de Tiberius Sempronius, collègue de Scipion, perdirent une seconde bataille proche de la rivière de Trebie [ an de Rome 536]. La perte que fit Flaminius près du lac de Trasimene fut encore plus grande; et la défaite de Cannes mit Rome à deux doigts de sa ruine [an de Rome 537]. La république perdit cinquante mille hommes, et le vainqueur envoya à Carthage deux boisseaux de bagues d'or, pour faire connaître le nombre incroyable de chevaliers romains qui avaient été tués à cette bataille. Ce jour-là, pour ainsi parler, était le dernier des Romains, si Annibal eût su aussi bien profiter de sa victoire qu'il avait su vaincre. Il n'avait qu'à se présenter aux portes de la ville, et sans efforts il en faisait sa conquête : la consternation était générale dans Rome et à la campagne. Mais le général carthaginois, à qui un de ses officiers promettait de donner à souper dans le Capitole, se laissa vaincre aux délices de Capoue: sous prétexte de donner un peu de repos à ses troupes, il s'arrêta après sa victoire dans la Campanie; et, comme s'il eût craint de finir trop tôt la guerre, ou qu'il eût agi de concert avec les Romains, il leur laissa le temps de revenir de leur consternation. Un léger retardement fut leur première ressource. Le jeune Scipion en sut profiter, et celui qui avait sauvé la vie à son père dans la bataille du Tesin sauva toute l'Italie après la bataille de Cannes.

Il n'était alors que tribun dans une légion, et

ceux,

il s'était retiré le soir d'après la bataille, comme beaucoup d'autres officiers, dans une ville voisine qui tenait encore pour les Romains. Scipion apprit que ces officiers, qui étaient des premières maisons de Rome, et la seule ressource de la république, s'étant assemblés chez un certain Metellus, et désespérant du salut de l'état, faisaient dessein de s'embarquer au premier port et d'abandonner l'Italie. Un si indigne complot excita toute son indignation: il résolut de s'y opposer au péril même de sa vie; et, se tournant vers d'autres officiers qui se trouvèrent chez lui : « Que leur dit-il, à qui le salut de Rome est cher me suivent. » Il sort, va droit dans cette maison où se tenait ce conseil, il y entre, et, mettant l'épée à la main : « 1 Je jure, dit-il, que je n'abandonnerai jamais la république, et que je ne souffrirai point qu'aucun de nos citoyens l'abandonne. » Et, s'adressant ensuite à Metellus : « Il faut, lui dit-il, que toi et ceux qui sont ici fassiez les mêmes sermens, ou je vous tuerai tous. » Ces menaces, le feu et la colère qu'il avait dans les yeux, son zèle pour sa patrie, son courage, son intrépidité, tout cela leur fit faire sur-le-champ les mêmes sermens. La honte même d'avoir été surpris dans un pareil projet rappela leur ancienne valeur : ils se donnèrent la foi mutuellement, et ils se promirent de s'ensevelir plutôt sous les ruines de leur patrie que de l'abandonner.

1 Tit. Liv. lib. II, cap. 53.

Chacun se dispersa dès le matin : les uns se rendirent à Rome pour la défendre si l'ennemi en forinait le siége; d'autres travaillèrent ou à rallier les fuyards ou à faire de nouvelles levées à la campagne. Les habitans de Rome, qui croyaient voir à tous momens Annibal à leurs portes, commencèrent à respirer le sénat se rassura, le petit peuple reprit cœur, et, quoiqu'il n'y eût à Rome ni hommes, ni armes, ni argent, on trouva tout cela dans cet amour pour la république qui faisait le véritable caractère d'un Romain. Les uns donnaient libéralement leurs esclaves pour en faire des soldats; d'autres apportaient à l'envi ce qu'ils avaient d'or ou d'argent, et on détacha de la voûte des temples de vieilles armes qui y avaient été pendues comme des trophées, et dont on arma en partie cette nouvelle milice.

La guerre recommença avec une nouvelle ardeur. Le sénat en donna la conduite à Q. Fabius Maximus, qui, en s'évitant de combattre, trouva le secret de vaincre Annibal. Le général des Carthaginois avait besoin, pour ainsi dire, de continuels succès, pour se pouvoir maintenir dans un pays si éloigné du sien, et où il se trouvait souvent sans argent, sans vivres, et sans tirer aucun secours d'Afrique. Toute sa ressource était dans l'affection infinie de ses soldats, dont il était adoré. On ne peut assez s'étonner que, dans une armée composée d'aventuriers, Numides, Espagnols, Gaulois et Liguriens, qui souvent manquaient de pain, la présence seul d'Annibal ait étouffé jusqu'au

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