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suadé que la rigueur des saisons n'est point capable de suspendre ses entreprises, et qu'il veut vaincre ou mourir au pied des remparts ennemis. »

Le peuple, prévenu par ses tribuns, ne fit pas beaucoup d'attention aux remontrances d'Appius. Mais une perte que les Romains souffrirent au siége fit ce que n'avait pu faire un discours si sensé. Les Veïens dans une sortie surprirent les assiégeans, en tuèrent un grand nombre, mirent le feu à leurs machines, et ruinèrent la plupart de leurs ouvrages. Cette nouvelle, au lieu d'abattre les esprits, inspira aux Romains une nouvelle ardeur pour la continuation du siége. 1 Les chevaliers, auxquels l'état devait fournir des chevaux, offrirent de se monter à leurs dépens. Le peuple, à leur exemple, s'écria qu'il était près de marcher pour remplacer les soldats qu'on avait perdus, et jura de ne point partir du camp que la ville n'eût été prise. Le sénat donna de grandes louanges aux uns et aux autres. Il fut résolu de donner la paie à tous les volontaires qui se rendraient au siége. On assigna en même temps une solde particulière pour les gens de cheval, et ce fut la première fois que la cavalerie commença à être payée des deniers publics.

Les tribuns du peuple ne virent pas sans beaucoup d'inquiétude et de jalousie que la perte qu'on venait de faire au camp, au lieu d'exciter les plain

1 Plut. in Camillo. Oros. lib. II, cap. 19.

2 Tit. Liv. lib. V, c. VII.

tes et les murmures de la multitude, n'avait servi qu'à augmenter l'ardeur et le courage de tous les ordres pour la continuation de ce siége. Mais une nouvelle défaite leur fournit l'occasion et le prétexte de se pouvoir déchaîner impunément contre le sénat.

Les Capenates et les Falisques, peuples de la Toscane, les plus voisins des Veïens, et par conséquent les plus intéressés à leur conservation, armèrent secrètement [an de Rome 351]. Ils joignirent leurs troupes, surprirent et attaquèrent le camp des ennemis. L. Virginius, et M. Sergius, tous deux tribuns militaires, commandaient à ce siége. La jalousie, si ordinaire dans une autorité égale, les avait brouillés : ils avaient chacun un corps de troupes à leurs ordres, et comme séparées en deux camps différens. Les ennemis tombent d'un côté sur celui de Sergius en même temps que les assié- . gés, de concert avec eux, font une sortie, et l'attaquent de l'autre. Le soldat, qui croit avoir sur les bras toutes les forces de la Toscane, s'étonne, combat faiblement, et plutôt pour défendre sa vie que pour attaquer celle de l'ennemi. Bientôt il cherche à se mettre en sûreté par une fuite précipitée; tout s'ébranle, et la déroute devient générale. Il n'y avait que Virginius qui pût sauver l'armée de son collègue, ses troupes étaient rangées en bataille; mais l'animosité de ces deux généraux était si grande que Sergius aima mieux périr que

Tit. Liv. lib. V, cap. 7.

de demander du secours à son ennemi. Virginius, de son côté, ravi de le voir battu, refusa à ses propres officiers d'envoyer des troupes pour le dégager, s'il ne l'en faisait solliciter. Les ennemis profitèrent de la division des chefs; l'armée de Sergius, en déroute, se réfugia à Rome, qui n'était éloignée du camp que de six lieues, et Sergius s'y rendit, moins pour justifier sa conduite que pour faire condamner celle de son collègue.

Le sénat dans ce désordre ordonna à Virginius de laisser son armée sous le commandement de ses lieutenans, et de venir incessamment à Rome pour répondre aux plaintes que son collègue faisait contre lui. L'affaire fut discutée avec beaucoup d'aigreur, et les deux tribuns militaires se répandirent en invectives l'un contre l'autre. Le sénat les trouvant également coupables, l'un pour n'avoir pas fait combattre ses troupes avec assez de courage, et l'autre pour avoir mieux aimé laisser périr son collègue que de sauver ses concitoyens, ordonna que tous les tribuns de cette année abdiqueraient leur dignité, et qu'on procéderait incessamment à une nouvelle élection. Les deux tribuns se défendirent d'abord de déférer à cette ordonnance, sous prétexte que leur autorité n'était pas expirée. Les tribuns du peuple saisirent cette occasion pour étendre leur puissance, et menacèrent ces deux généraux de les faire arrêter s'ils n'obéissaient aux ordres du sénat. Servilius Ahala, premier tribun militaire, indigné de la manière hautaine dont ces magistrats

plébéiens traitaient ses collègues : « Il ne vous appartient point, leur dit-il, de menacer ceux qui vous sont supérieurs en dignité. Mes collègues n'ignorent pas l'obéissance que nous devons tous aux décrets du sénat ; et s'ils sont réfractaires à ses ordonnances, je nommerai un dictateur, qui, par son autorité absolue, saura bien, sans votre intervention, les obliger à se démettre de leurs charges. >>

Les deux tribuns, ne pouvant résister plus longtemps à ce consentement unanime du sénat, abdiquèrent leur magistrature, et on procéda à une nouvelle élection.

Mais les tribuns du peuple ne se contentèrent pas de la déposition de ces deux généraux, et pendant que ceux qui avaient pris leur place conduisaient une nouvelle armée au siége de Veïies, ces magistrats plébéiens donnèrent assignation à Sergius et à Virginius devant l'assemblée du peuple. Ils n'oublièrent rien dans cette occasion pour aigrir les esprits de la multitude, non seulement contre ces deux accusés, mais encore contre le corps entier du sénat.

[An de Rome 352] Ils représentèrent, avec autant d'art que de malice, que l'unique objet de cette compagnie était de diminuer le nombre du peuple, d'affaiblir sa puissance, d'empêcher ses assemblées, ou du moins d'en éloigner la convocation; que la dernière disgrâce ne devait point être considérée comme un de ces malheurs ordinaires qui peuvent arriver même aux plus grands capitaines;

mais que c'était une suite de cette conspiration secrète de faire périr le peuple; que les généraux, après avoir employé plusieurs campagnes au siége ou au blocus de Veïes, n'avaient laissé brûler leurs gabions, emporter leurs forts, et ruiner tous leurs ouvrages, que pour prolonger la guerre; qu'on avait ensuite vendu le camp de Sergius aux ennemis; que ce général, plutôt que de demander du secours à son collègue, avait mieux aimé laisser tailler en pièces ses soldats, et que Virginius avait regardé cette déroute des légions comme une victoire, qui, sans tirer l'épée, le délivrait lui et son parti d'autant d'ennemis qu'il y avait de plébéiens dans ces différens corps; qu'après une action si infâme, le sénat se flattait d'éblouir encore le peuple, sous prétexte qu'il avait obligé les deux généraux à quitter le commandement de leurs armées mais que le peuple devait faire voir, par le châtiment rigoureux qu'il ordonnerait contre les coupables, qu'il n'était pas capable de se laisser tromper par un artifice si grossier; que, pour prévenir dans la suite les mauvais desseins de la noblesse, il ne fallait remplir le tribunat militaire que de braves plébéiens, qui veillassent également à la défense de la patrie et à la conservation particulière du peuple.

En vain Sergius allégua pour son excuse le sort ordinaire des armes, la terreur qui s'était répandue dans son armée, et l'infidélité de son collègue, qui l'avait abandonné et comme livré à l'ennemi qui l'attaquait de deux côtés. On ne voulut point

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