Imágenes de páginas
PDF
EPUB

soldats dans son camp; et il se trouva bientôt à la tête de plus de quarante mille hommes, Romains ou alliés, qui tous se croyaient invincibles sous un si grand général.

Pendant qu'il armait, et qu'il songeait à faire lever le blocus du Capitole, quelques soldats gaulois ayant aperçu dans la montagne sur laquelle ce fort est situé des traces du passage de Pontius, en firent leur rapport à Brennus, qui forma aussitôt le dessein de surprendre cette place par la même route. Il choisit dans son armée ceux de ses soldats qui habitaient des montagnes, et qui étaient accoutumés dès leur jeunesse à y gravir. Ces soldats, ayant reçu leurs ordres, partent la nuit, à la faveur des ténèbres, grimpent de rocher en rocher; et, avec beaucoup de peine et un péril encore plus grand, ils s'avancent peu à peu en se donnant la main les uns aux autres, et arrivent au pied de la muraille, qui, de ce côté-là, se trouva peu élevée, à cause qu'un endroit si escarpé paraissait hors d'insulte.

La sentinelle était endormie, et les Gaulois commençaient à escalader la muraille, lorsque des oies consacrées à Junon, et qu'on nourrissait comme des oiseaux sacrés par principe de religion, s'éveillèrent au bruit que firent les Gaulois, et se mirent à crier. M. Manlius, personnage consulaire, s'éveille au bruit, accourt, et se présente le premier pour défendre la muraille. Lui seul fait face aux ennemis; il abat d'abord la main d'un Gaulois qui l'avait levée pour lui décharger un coup de hache,

et en même temps il frappe si rudement de son bouclier un autre soldat qu'il le fait rouler du haut en bas du rocher. Toute la garnison se porta bientôt au même endroit. On pousse, on presse les Gaulois Manlius, à la tête des Romains, les renverse les uns sur les autres; le terrain leur manque pour pouvoir s'enfuir; et la plupart, en voulant éviter le fer ennemi, se jettent dans des précipices, en sorte qu'il y en eut peu qui pussenț regagner leur camp.

La première chose que firent les assiégés, après avoir évité un si grand péril, fut de précipiter du haut du rocher la sentinelle, qu'on avait trouvée endormie. Il fut question ensuite de récompenser M. Manlius qui, par sa vigilance et par sa valeur, venait de sauver la république. Chaque soldat lui donna une demi-livre de farine, et une petite mesure de vin qu'il se déroba sur son nécessaire. Récompense qui n'est remarquable que par rapport à la disette des vivres qui commençaient à manquer dans la place. Brennus, désespérant de s'en rendre maître autrement que par la famine, la tenait si étroitement investie, que, depuis sept mois que durait le siége, on n'avait pu y jeter le moindre secours.

La même disette se faisait sentir dans son camp. Depuis qu'on avait déféré la dictature à Camille, cet habile général, maître de la campagne, occupait tous les passages. Les Gaulois n'osaient s'écarter pour aller au fourrage sans s'exposer à être taillés en pièces; en sorte que Brennus, qui assié

geait le Capitole, était assiégé lui-même, et il souffrait les mêmes incommodités qu'il faisait souffrir aux assiégés.

Dans cette misère commune les sentinelles du Capitole et celles de l'armée ennemie commencèrent à parler d'accommodement: ces discours passèrent insensiblement aux chefs, qui ne s'en éloignèrent pas. Le sénat, qui n'avait aucune nouvelle de Camille depuis qu'il l'avait nommé dictateur, et qui se voyait pressé par la faim, résolut d'entrer en négociation. Sulpicius, tribun militaire, en fut chargé, et il convint avec Brennus de lui donner mille livres d'or, à condition qu'il lèverait le siége, et qu'il sortirait incessamment des états de la république. On apporta l'or; mais quand il fut question de le peser les Gaulois se servirent de faux poids. Les Romains se récriant contre cette supercherie, Brennus, au lieu de faire cesser une injustice si visible, mit, outre le poids, son épée et son baudrier dans le plat qui contrepesait l'or. Sulpicius, outré d'une si indigne vexation, lui demanda la raison d'une conduite si extraordinaire. « Et qu'est-ce que ce pourrait être, répondit insolemment le barbare, sinon malheur aux vaincus? >>

Pendant cette contestation Camille s'était avancé jusque aux portes de Rome avec son armée. Ayant appris qu'on était entré en conférence, il prit avec lui sept principaux officiers, et s'étant fait accompagner d'une grosse escorte, il résolut de se rendre au lieu de la conférence pour y ménager lui-même

les intérêts de son pays, ou, comme il est plus vraisemblable, pour faire connaître aux députés des assiégés qu'il était en état de les dégager et de faire bientôt lever le siége.

Son armée, par ses ordres, le suivait au petit pas, et les Gaulois, qui se reposaient sur la foi d'un traité de paix, laissèrent approcher les premiers de cette armée sans s'y opposer.

corps

:

Aussitôt que Camille parut dans l'assemblée les députés du sénat s'ouvrirent pour lui faire place, comme au premier magistrat de la république. Après lui avoir rendu compte du traité qu'ils avaient fait avec Brennus, ils se plaignirent de la supercherie que ce prince leur faisait dans l'exécution « Remportez cet or dans le Capitole, ditil à ces députés; et vous, Gaulois, ajouta-t-il, retirez-vous avec vos poids et vos balances. Ce n'est qu'avec du fer que les Romains doivent recouvrer leur pays. » Brennus, surpris de cette hauteur qu'il n'avait point encore éprouvée dans aucun Romain, lui représenta qu'il contrevenait à un traité conclu. Mais Camille lui repartit qu'étant dictateur on n'avait pu rien arrêter sans sa participation. La dispute s'échauffant, on en vint bientôt aux armes. Camille, qui l'avait prévu, fit avancer ses troupes; on se chargea de part et d'autre avec fureur : les Romains, malgré l'inégalité du lieu où ils combattaient, poussent de tous côtés les Gaulois; Brennus les rallie, lève le siége, et campe à quelques milles de Rome. Camille le suit avec la même ardeur, l'attaque de nouveau, et le

défait; la plupart des Gaulois furent tués sur la place, ou dans la fuite par les habitans des villages prochains.

Ce fut ainsi que Rome, qui avait été prise contre toute apparence, fut recouvrée par la valeur d'un exilé qui sacrifia son ressentiment au salut de sa patrie. Mais s'il la sauva dans la guerre, et par la voie des armes, on peut dire qu'il la conserva une seconde fois pendant la paix, et après en avoir chassé les ennemis.

La ville était détruite, les maisons abattues, les murailles de la ville rasées, comme nous l'avons dit; et il fallait, pour ainsi dire, chercher Rome dans Rome même. Dans une désolation si générale, les tribuns du peuple renouvelèrent l'ancienne proposition de s'établir à Veïes, et ils demandaient qu'on y transférât le sénat et le peuple, et qu'on en fît le siége de l'empire.

Ils représentaient dans toutes les assemblées l'extrême misère du peuple, échappé, comme tout nu, du naufrage, épuisé par tant de malheurs, sans forces, sans argent, et incapable de rebâtir une ville entière, dont il ne restait plus que des ruines pendant que Veïes offrait aux Romains une place fortifiée par l'art et la nature, des bâtimens superbes, un air sain, et un territoire fertile.

:

Le sénat, qui s'était fait un point de religion de n'abandonner jamais Rome, n'opposait à des motifs qui paraissaient si raisonnables que des prières et des caresses. Les plus illustres de ce corps mon

« AnteriorContinuar »