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cette efpece de domeftiques eft mife en réferve, & on les donne à quelque autre Prince du fang lorfqu'on fait fa maison, & qu'on l'éleve à la même dignité.

La feconde, que c'eft une coutume établie parmi les Mantcheoux, que lorfqu'un domeftique prend la fuite, en quelque endroit que foit fon maître, foit en fon palais, foit à la guerre, ou même en exil, il eft obligé d'en informer le tribunal, & de défigner le nom, l'âge, la figure & les traits du vifage du fugitif, fans quoi il feroit refponfable des mauvaifes actions dont il fe rendroit coupable. Le tribunal chargé de cette forte d'affaire, fait les perquifitions les plus exactes des déferteurs, & les punit févérement. On leur imprime à la joue une marque ineffaçable, & on les rend à leurs maîtres.

Ce petit éclairciffement m'a paru néceffaire pour l'intelligence de ce que j'ai à vous dire dans la fuite de cette lettre. Auffi-tôt donc que ces illuftres exilés furent arrivés au Fourdane, chacun d'eux fongea à fe loger avec fa famille : les habitans du lieu perfuadés que ces Princes étoient fort riches, & abufant de la néceffité preffante où ils fe trouvoient, mirent le louage de leurs mai

fons à un prix exceffif, enforte que le Prince Paul, & un de fes freres, jugeant bien qu'ils feroient-là un long féjour, prirent le parti d'acheter un terrein, & de fe bâtir des inaifons, plutôt que de fe mettre en fi gros frais pour un fimple louage. Un licentié, habitant de Fourdane, qui avoit reçu autrefois des graces de Sourniama, lui offrit fa maifon. Le Prince accepta fon offre, & l'acheta dans la fuite..

Cependant toute communication avec Peking étoit abfolument interdite à Sourniama. L'Empereur lui avoit défendu d'y envoyer aucun de fes domeftiques; ce n'étoit que de-là néanmoins que lui & les Princes fes enfans pouvoient tirer les fecours néceffaires à leur fubfiftance. Le licentié fut touché de voir des perfonnes de ce rang éloignées de leur patrie, dans un délaiffement général, fans amis, fans fupport comme il n'étoit pas leur domeftique, il crut pouvoir fans aucun rifque faire le voyage de Peking, & procurer quelque affistance à ces Princes abandonnés.

L'Empereur qui a par-tout des efpions, fut bientôt informé, & du plaifir que le licentié avoit fait à Sourniama, en lui yendant fa maison, & de fon arrivée à

Peking. Il y eut ordre de l'arrêter : on le mit en prifon, on l'appliqua à la queftion, & la violence des tourmens tira de ui les lettres adreffées aux Princes amis de Sourniama, dont il étoit le porteur. On mit auffi tôt la main fur ces Princes, & on les conduifit en prifon avec l'Intendant de Sourniama, domeftique de fa porte, qu'il avoit laiffé à Peking pour veiller au foin de fes affaires, & lui fournir peu à peu l'argent qui lui étoit néceffaire.

Les réponses que firent les prifonniers dans les interrogatoires qu'ils fubirent, impliquerent plufieurs autres perfonnes dans la même affaire. On les emprifonna fur le champ, & on donna ordre au Général de Fourdane de fe rendre inceffamment à la Cour.

Cet ordre auquel il n'étoit pas natu→ rel de s'attendre, & les emprifonnemens qui le précéderent, effrayerent les domeftiques de Sourniama. Plufieurs d'entre eux renoncerent au foin de fes affaires pour ne penfer qu'à leur propre fûreté d'autres s'enrichirent aux dépens de leurs maîtres qui les avoient comblés de bienfaits, & qui les honoroient encore de leur confiance; tels furent quelques dow meftiques de la porte, qui chargés de

percevoir les revenus des terres & des maifons de ces Seigneurs, refuferent de s'en défaifir, fous le fpécieux prétexte que ces biens feroient infailliblement confifqués; qu'on leur demanderoit compte des fonds & des rentes échues depuis le départ de Sourniama, & qu'après ce compte rendu on les feroit domeftiques d'une autre maison.

Cependant le Général de Fourdane arriva à Peking. Il étoit créature de Sourniama, & c'étoit à fa protection qu'il devoit fa fortune; auffi eut-il pour fon bienfaiteur tous les égards que le devoir de fa charge, & la fidélité à fon Prince lui permirent. Dès qu'il parut à la Cour, l'Empereur le fit venir en fa préfence, & eut avec lui de longs entretiens, dont on n'auroit rien appris, fi le temps n'en eût découvert une partie.

Il fut bientôt renvoyé à fon pofte. Quand il approcha du Fourdane, tous les Officiers de la place vinrent au-devant de lui felon la coutume; Sourniama s'y trouva auffi, mais le Général fit femblant de ne le pas appercevoir, & affecta de détourner la tête. Ce fut pour le vieillard un trifte augure des nouveaux malheurs dont il étoit menacé. En effet de lendemain il lui vint de la part du

Général un ordre qui lui prefcrivoit de fortir de la ville, lui, fa famille & tous fes gens, & d'aller demeurer au milieu d'une campagne qu'il lui affigna à deux lieues de la place, avec défenfe d'y remettre le pied.

Cette nouvelle que nous n'apprîmes. que d'une maniere confufe, nous affligea fenfiblement, & nous commençâmes à croire, comme beaucoup d'autres, que le deffein étoit de laiffer ces Princes languir & fe confumer peu à peu dans ce défert; tout ce que nous pûmes faire dans de fi triftes conjonctures, fut de redoubler auprès de Dieu nos prieres, afin de leur obtenir la force de fupporter patiemment de fi rudes épreuves.

Je cherchois inutilement le moyen de faire paffer quelques mots de confolation à ces illuftres affligés; tous les paffages m'étoient fermés. Si quelque domeftique fidele fe hafardoit de venir à Peking, il le faifoit très-fecrétement, & nous n'en avions nulle connoiffance. Enfin vers les Fêtes de Noël fix mois après le départ de ces Princes, deux hommes inconnus, qui fe difoient Chrétiens, vinrent dans notre maison, & demanderent à me parler. Je les fis entrer dans ma chambre; le plus ancien me fit

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