La Langue d'oc prife dans le fens de langage, fut refferrée depuis dans un plus petit efpace & affectée en particulier à la Province qui en a tiré fon nom : ce fut la langue qu'on continua d'y parler: on n'en eut point d'autre, non-feulement pour l'inftru&tion publique, mais même pour les regiftres & les cadaftres qu'on n'a ceffé d'écrire en Languedocien que depuis environ deux fiecles. La langue de la Capitale, ou de la Cour a gagné depuis bien moins de temps les Provinces les plus recu lées; le goût de la littérature françoife s'y est répandu peu à peu, & le Languedocien négligé paffe déjà chez quelques perfonnes pour un jargon & porte communément, quoique fort improprement, (a) le nom de patois c'eft cependant encore le langage du peuple ; acquifes & au langage qu'on y parloit. Cette même dénomination prife dans ce dernier fens eft au fond fynonyme de celle de, Languedocien, que porte le titre de ce Dictionnaire; & fi elle n'a pas en ce fens, & quant au nom, une fi grande étendue; elle n'en a pas moins la même fignification; avec cette feule différence, que la Langue-d'oc eft l'ancien langage qui s'eft perpétué en grande partie dans le Languedocien moderne de cette Province particuliere & des Provinces voisines, où l'on parloit la Langue-d'oc; langage divifé autrefois, comme il continue de l'être aujourd'hui en différens dialectes; qui depuis Antibes jufqu'à Bordeaux, fe rapprochent fe mêlent, fe fondent, pour ainfi dire, par des nuances infenfibles l'un dans l'autre : en forte qu'on ne fauroit affigner les limites qui les féparent, ni marquer où l'un finit & où l'autre commence ; & que le Rhône même ne tranche point les dialectes de fa droite d'avec ceux de fa gauche; ils portent chacun des empreintes l'un de l'autre & tout ce qui peut établir entre eux une forte de confanguinité. D'où il réfulte que non-feulement le Provençal, mais généralement tous les idiomes gafcons de nos Provinces méridionales, font du reffort de ce Dictionnaire; & qu'ils viendront, comme naturellement, fe ranger fous le titre qu'il porte, fi un Amateur intelligent & zélé veut un jour prendre la peine de les y raffembler, en recourant aux fources dont nous n'avons pas été à portée, ou qui nous ont manqué ce qui produira une collection tout autrement volumineufe & bien plus intéreffante que celle que nous préfentons, ici à nos Compatriotes. Voy. l'article Lëngado. De là réfulte encore la difficulté d'une chofe qu'on nous avoit demandée, qui étoit, d'indiquer que tel terme étoit du dialecte de telle province, de tel canton, de telle ville: ce que pour bien d'autres raifons nous n'avons pu ni dû entreprendre. (a) Voyez l'article Patës, ou parqués. mais même celui des honnêtes gens élevés dans cette Province: c'est le premier qui fe préfente & qu'ils emploient plus volontiers, lorfque libres des égards qu'on doit à un fupérieur, ou de la gêne que caufe un étranger, ils ont à traiter avec un ami, ou à s'entretenir familiérement dans leur domeftique : le François, qu'ils ne trouvent guere de mife que dans le férieux, devient pour la plupart une langue étrangere, & pour ainfi dire, de cérémonie : ils forcent nature lorfqu'ils y ont recours il eft certain au moins, que s'ils n'ont eu de bonne heure des modeles à fuivre, des Maîtres pour confulter, & fi avec ces fecours & celui des bons livres, ils ne fe font fait par un long exercice une habitude du François, le tour & l'expreffion leur échappent, la langue du pays perce; ils croient parler françois & ne font que francifer le pur Languedocien. Les difficultés que nous éprouvons à cet égard viennent en partie de ce que nous penfons en languedocien avant de nous exprimer en françois : cette langue-ci devient par là une traduction de la nôtre : il eft rare que cette traduction ne foit littérale, qu'elle ne fente trop l'original, & qu'on ne faffe un alliage informe de deux idiômes dont le génie est si différent. C'est la vraie ori. gine des gafconifmes, ou des fautes de françois qu'on nous reproche & dont peu de nos Compatriotes font entiérement exempts. Ces fautes font plus ordinaires dans le style familier de la converfation que dans tout autre; foit que les fecours néceffaires pour s'exercer dans ce premier genre foient plus rares; foit que le petit nombre de livres écrits dans ce ftyle ne traitent pas de tout ce qui fait le fujet ordinaire des converfations: toujours eft-il certain qu'un homme de lettres de ce pays-ci, qui écrira purement en françois fur différens fujets de littérature, fera fouvent embarraffé s'il faut s'entretenir dans cette même langue fur une infinité de chofes qui fe paffent fous les yeux; qu'il héfitera dans la converfation, fi elle roule fur le ménage de la ville, ou de la campagne, fur les arts, fur les métiers, &c. ou bien pour s'affranchir de la gêne qu'il éprouve, il finira en languedocien un propos qu'il avoit commencé en françois. On a fenti depuis long-temps qu'il nous manquoit un Ouvrage (a) dans lequel on levât les principales difficultés qui nous arrêtent : quelque difficile, ou quelque ingrat que fut le travail qu'il demandoit, nous avons ofé l'entreprendre dans ce recueil, où nous avons rangé à la fuite alphabétique des mots languedociens les termes françois qui y répondent & les fautes qu'ils occafionent dans cette derniere langue. Le titre que porte cet Ouvrage n'annonce point un Dictionnaire complet de tous les termes languedociens. L'entreprise eut été d'une trop longue haleine y en ayant beaucoup qui changeant d'une ville à l'autre & quelquefois beaucoup plus près, il eut fallu recueillir les termes des plus petits villages & se jeter dans des détails infinis ce foin même, comme on le verra plus bas, étoit inutile pour notre objet; & nous pouvons affurer que quoique ce recueil ne contienne qu'un choix des termes de fept ou huit villes des principaux cantons du haut & du bas Languedoc & des Cevennes, il pourra cependant fervir aux habitans du refte de la Province & des Provinces voisines. Pour fe le perfuader, il suffira d'obferver que nous entendons, à quelques termes près, l'idiôme de ces cantons & de ces Provinces, & que leurs habitans entendent le nôtre à leur tour: la diverfité de langage dans ces différens endroits ne fe trouve le plus fouvent que dans quelque changement de lettres, dans la terminaifon des mots & dans le ton de leur prononciation: la plûpart des expreffions y font communes, le tour de phrase peu différent nous nous en fommes affurés en traverfant les Provinces qui s'étendent de l'une à l'autre mer; & en parcourant un bon nombre de petites feuilles imprimées dans les différens dialectes de ces Provinces. Il en eft à peu près comme de la langue Grecque dans fes différens dialectes, on y trouve le même ton, le même accent, (a) Le Dictionnaire de Doujat mis à la fuite des Œuvres de Goudouli, eft fait dans d'autres vues: ce n'eft qu'une lifte affez mal digérée de beaucoup de termes du Ramelet mondi, rendus le plus fouvent en vieux françois de ce temps là. L'unique but qu'on s'y eft propofé eft de donner l'intelligence des Euvres de ce Poëte: il s'en faut bien cependant qu'on y trouve tous les termes qui arrêtent dans la lecture de cet Ouvrage. le même fond de langage: (a) c'est pour cela fans doute que nous tombons tous dans les mêmes gafconifmes, & que les Parifiens donnent à cet égard une patrie commune, ou un même nom de patrie à tous les habitans de nos Provinces méridionales, qu'ils appellent tous indifféremment Gafcons; comme ceux-ci à leur tour donnent le nom de Franchiman à tous ceux du nord du Royaume dont le françois eft la langue vulgaire. Quoi qu'il en foit de cette divifion de la France par rapport au langage; ( fur quoi on peut confulter l'article Troubadou) il eft certain que les Gafcons pris dans l'étendue qu'on donne vulgairement à ce terme, font tous à peu près les mêmes fautes, ou les mêmes gafconifmes en parlant françois ; & qu'ils éprouvent le même embarras lorsqu'ils s'énoncent en cette langue : d'où il est aisé de conclure qu'en ne relevant les fautes de françois que de quelques cantons particuliers, nous aurons embraffé celles qui font communes aux habitans de nos Provinces méridionales ou au moins la plus grande partie. (b) C'eft de quoi le Lecteur pourra s'appercevoir en parcourant cet Ouvrage dont voici le deffein. Nous y avons raffemblé autant de termes que nous avons pu, qui n'ayant que peu ou point d'analogie avec le françois qui y répond, n'aident point à trouver ces derniers, ou à fe les rappeler: (c) tels font la plupart des (a) Cela eft fi vrai que les Cevennois en particulier qui ont fait quelque féjour à Toulouse ne trouvent de différence dans le langage courant du peuple de cette ville d'avec celui qui eft propre aux Cevennes, que dans une douzaine d'expreffions qu'ils ont coutume de raffembler dans une phrafe qui contient les termes de Gous Brefpalia, Engranéro, Goûjho, &c. Si dans des cantons plus éloignés l'ur de l'autre il fe rencontre un plus grand nombre de ces termes que n'entendent pas ceux d'un canton plus éloigné; on en doit conclure tout au plus, que ces termes caractérisent un dialecte particulier; & non, un langage tout différent. (b) On en voit la preuve dans le Livre intitulé, Les Gasconifmes corrigés, dont l'Auteur a relevé à Touloufe la plupart des fautes que nous avions marquées dix ans auparavant, dans la premiere édition du préfent Ouvrage. (c) Les Dictionnaires Italiens & Efpagnols françois, compofés d'après ces vues; c'eft-à-dire, dont or retrancheroit les articles qui ne différent du françois que par l'orthographe ou par la terminaifon, feroient réduits à un bien moindre volume, coûteroient beaucoup moins & feroient tout auffi utiles à ceux qui s'appliquent termes que le Languedocien a empruntés du Latin, & un grand nombre qui nous viennent des Wifigots & des Sarrafins qui après les Romains s'emparerent de nos Provinces & dont l'idiôme, ou au moins fes débris se font principalement confervés dans l'Espagnol : tels font encore, quoiqu'en petit nombre, ceux que le voisinage des Colonies Grecques, Agdes & Marfeille, nous a apportés. (Voy. l'article Empura), & bien d'autres enfin dont on ne peut guere attribuer l'origine qu'à la langue des Celtes, ou Gaulois qui furent les plus anciens habitans connus de ce pays ci (a). Lorfque l'étymologie de ces différens termes s'eft préfentée d'elle-même, nous n'avons pas négligé de la marquer; il s'agiffoit fur-tout de découvrir dans le françois l'équivalent des termes languedociens & de bien rendre ces derniers; ce qui n'étoit pas quelquefois un petit embarras. Les Dictionnaires les plus eftimés, fur-tout celui de l'Académie de la dernière édition, nous ont applani bien des difficultés, fans avoir cependant éclairci tous nos doutes cette reffource même nous ayant manqué plus d'une fois, il a fallu recourir à des termes des Provinces où le françois eft la langue vulgaire. Ces termes déjà affectés & dans l'analogie de la langue françoife, à l'étude de ces langues. On trouve à point nommé dans ces Recueils un très grand nombre de termes qu'on entendoit d'avan ce, ou qu'on auroit deviné avec la plus légere teinture de latin; tandis qu'on y cherche inutilement ceux qui arrêtent dans la leâure d'un Auteur Italien ou Efpagnol : & parce que ces termes n'ont aucun rapport avec le latin, ou le françois, il femble que ç'ait été une raifon de les omettre dans les Dictionnaires, où on auroit dû les trouver de préférence. (a) La langue Celtique s'eft principalement confervée dans le Bas breton dont le P. Dom Taillandier Bénédictin a donné un Dictionnaire dans lequel nous avons fouvent vu des rapports avec notre Languedocien, que nous avons marqués. » Le Celtique, dit Dom Taillandier, qui fubfifte dans le Basbreton arémorique & dans le Gallois, eft l'une des plus anciennes. > langues de l'univers : elle fut altérée, & prefque par-tout oubliée >> par la conquête des Romains, & par la prédication de l'Évangile » & faute de Livres écrits en Celtique. La conquête des Francs fit >>de nouveaux changemens, diverfes langues fe fuccéderent jufqu'à la langue Romance: mais les reftes de l'ancienne langue Gau»loife, ou Celtique fe font mieux confervés dans le jargon des > Provinces. » |