Imágenes de páginas
PDF
EPUB

A la journée de Tibériade de l'an 1187, les Mufulmans firent un horrible carnage des Chrétiens. Tous ceux que l'on trouva les armes à la main périrent par l'épée. Arnaud de Chastillon, le Maître du Temple, celui des Hofpitaliers & la fleur de la Nobleffe Françoife furent faits prifonniers avec le Roi Lufignan. La perte la plus fenfible fut celle de la vraie Croix portée par l'Evêque d'Acre qui fut maffacré. Les Grecs & les Latins partagèrent cette affliction; & les Mufulmans en firent l'ornement de leur triomphe.

En 1191, Philippe-Augufte Roi de France, & Richard Roi d'Angleterre s'étant croifés fe rendirent devant Acre qui leur ouvrit les portes après treize jours de fiége, & par un des principaux articles de la capitulation, les Emirs s'obligèrent au nom de leur Maître à rendre la vraie Croix prife à la journée de Tibériade.

En 1204 les François & les Vénitiens prirent Conftantinople par efcalade. Les richeffes de cette Ville furent la proie des conquérans qui en partagèrent les dépouilles. La part des François fut eftimée quatre cents mille marcs d'argent. Les vainqueurs facriléges fe livrèrent à tous les excès de l'avarice & de la débauche. Les Images furent foulées aux pieds; les Reliques furent jettées dans des lieux immondes ; les vafes facrés furent employés à des ufages vils & profanes; le Sang de notre Seigneur fut répandu par terre; les foldats rompoient les Châffes, & les Reliquaires, pour s'en approprier l'or, l'argent & les pierreries, tandis que des ames pieufes recueilloient les Reliques qu'ils dédaignoient & qui fe répandirent depuis dans les Eglifes d'Occident. Toutes ces abominations font rapportées par Nicetas, qui en fut le trifte témoin. Du nombre de ces pieufes richeffes le Duc de Venife obtint une portion du bois de la vraie Croix enchâffée en or, qu'on croyoit être celle que Conftantin portoit à la guerre, avec une fiole du Sang de notre Seigneur, un bras de Saint George & une partie du Chef de Saint Jean-Baptifte. Le Duc Henri envoya çes Reliques à Ve

B

nife, où elles furent placées dans fa Chapelle. L'Empereur Baudouin s'appropria la Couronne d'épines, & envoya en Flandres une petite fiole du Sang miraculeux. Le Roi de France ne fut point oublié dans cette pieuse distribution.

En 1217 Raoul Patriarche de Jérufalem, partit d'Acre, portant avec lui la Ste Croix ou plutôt une pârtie. On étoit alors perfuadé que les Chrétiens avant de livrer la bataille de Tibériade l'avoient partagée en deux & qu'ils en portèrent une au combat, où elle fut perdue.

En 1219 le Sultan Mélic-Camel voyant la Ville de Damiete vivement preffée par les Chrétiens, offrit pour en faire lever le fiége de rendre la vraie Croix, mais il ne fut point écouté, parce qu'on favoit qu'après la prife d'Acre, Saladin l'avoit fait inutilement chercher pour l'échanger contre les prifonniers.

En 1221 le même Sultan voulant retirer Damiete de la domination des Chrétiens leur fit les offres les plus éblouiffantes; les François dépourvus de vivres, & prêts d'être engloutis par l'inondation des eaux du Nil, ne confentirent à rien qu'à condition que la portion de la vraie Croix emportée de Jérufalem par Saladin leur feroit rendue. Cet Hiftorique fuffit pour faire connoître le prix que les Chrétiens attachoient à cette précieuse Relique.

Les opinions font encore partagées fur l'efpèce du bois de la vraie Croix. Jufte-Lipfe (1) penfe qu'il eft de chêne, contre le fentiment de ceux qui ont avancé que trois ou quatre efpèces de bois furent employées à fa conftruction, & contre l'opinion des Saints Peres qui ont affuré que le pied étoit de

(1) Cenfemus è quercu; 1o. quia viri fide digni afferunt frufta facratiffimi hujus ligni qua hodiè extant, fpeciem referre; 2°. tùm quia crebra & frequens in Judaa olim & nunc quoque illa arbor; 3°. quia robuftum lignum & fixioni latura aptum : quod fuperioris aliquot avi fcriptores tria aut quatuor genera ligni in cruce dominicâ agnofcunt, Cedrum, Palmam, Cypreffum, Olivam, curiosè magis dictum quàm verè.

cedre, & le refte de chêne. Je demande qu'un jour les naturalistes foient mis à même de déterminer l'efpece de bois qui compofe la grande croix de la Sainte-Chapelle.

En 1239 Baudouin de Courtenai preffé par les Bulgares, & entouré de Grecs fchifmatiques qui auroient mieux aimé fléchir devant le Turban, que devant la Thiare, étoit fans reffource & fans argent pour repouffer cette invafion. Il vint en France pour folliciter la piété de Saint Louis auquel il représenta que les Seigneurs enfermés dans Conftantinople alloient être réduits à une telle extrémité, qu'ils feroient obligés de vendre la Couronne d'épines à des Barbares, ou du moins de la mettre en gage dans des mains profanes : pourquoi, lui dit-il, je defire ardemment de vous faire paffer cette précieuse Relique à vous, mon Coufin, mon Seigneur, & mon bienfaicleur, & au royaume de France ma patrie. Louis accepta cette offre qu'il ambitionnoit plus que tous les Trônes du monde, & les ordres furent donnés pour en accélérer l'exécution. André & Jacques, tous deux Frères Prêcheurs, accompagnerent l'Envoyé de Baudouin à Conftantinople, ou le premier avoit été Gardieu du Couvent de fon Ordre. Il avoit fouvent contemplé la Ste-Couronne, & l'on ne pouvoit lui en impofer.

Les Barons de l'Empire avoient effectivement engagé les faintes Reliques, à diverfes perfonnes de diftinction pour treize mille foixante-quinze (1) Hyperpéres, avec la faculté de rem

(1) Hyperperum, moneta Imperatorum Byzantinorum aurea, fic appellata, quafi ex auro eximiè rutilo & recocto confecta effèt. Du Cang. Gloffar.

Non omittendus nummus hyperperon, ultimorum temporum Conftantinopolitani imperii. Is fuit aureus, & argenteus ponde drachma. Itaque aqualis fuit solato Francico, in argento drachma.... libra Francica funt viginti folidi.... Franci conftituunt fuam libram vicenis. Libra etiam hodiè & Francus vocatur. Jofeph. Scaliger. Jul. Cæf. F. de re nummariâ differtatio, liber Pofthumus. Ex officinâ Plantinianâ. Raphelengii. an. 1616.

D'après ce texte, on reconnoît qu'en 1226, l'agnel valoit douze & demifols d'alors; ce qui fait 14 livres actuelles, parce que le fol valoit un peu

La Sainte Couronne apportée à Paris.

bourfer. La Ste - Couronne avoit été mise en dépôt entre les mains de Pancrace Gaverfon, Camérier commun des Vénitiens, & placée dans leur Eglife de Panto-Crator à Conftantinople, où elle étoit encore lorfque les Députés arrivèrent.

Dès que les Barons furent inftruits des volontés de leur Maître, ils convinrent avec Gaverson que la Relique feroit portée à Venise par les Députés de Saint Louis & les Ambaffadeurs de l'Empire, accompagnés des plus nobles d'entre les Vénitiens. Le convoi mit à la voile dans le tems de Noël, faison où la mer est le plus orageufe. La confiance des Députés éleva leur ame au-deffus de la crainte des périls, & elle fut justifiée ; ils arrivèrent à Venife fans avoir effuyé de tempêtes. Vatace, Empereur Grec, avoit détaché plusieurs galeres qui croifoient aux différens détroits où les François devoient paffer, pour leur enlever ce précieux butin. Sa vigilance fut trompée; Dieu veilloit fur eux.

Arrivée à Venise la Relique fut mise en dépôt dans le Tréfor de la Chapelle de Saint-Marc. Le Roi inftruit du fuccès de la négociation de fes Députés envoya, ainfi que Baudouin, des Ambaffadeurs avec l'argent néceffaire pour fe l'approprier. De leur côté les Marchands François établis à Venife, plus riches encore des dons de la foi qu'avantagés de la fortune, ouvrirent leur bourse pour payer la fomme ftipulée. Les Vénitiens auroient bien defiré garder cette Relique, mais retenus par la foi du traité ils la reftituèrent quoique à regret.

plus d'une livre actuelle. Mais la proportion de l'or à l'argent étant en 1239, d'environ douze à un, en multipliant le fol d'alors par 12 pour avoir le fol d'or, on trouve qu'en 1239 le fol d'or eft égal à un peu plus de 12 livres actuelles.

La drachme d'argent égale au denier d'argent des Empereurs Romains valoit fous Néron un peu plus de dix huit de nos fols actuels, & probablement elle avoit encore la même valeur en 1239. Donc 13,075 hyperpéres d'ar vaudroient aujourd'hui 156,900 liv., & pareille quantité d'hyperpéres d'argent vaudroient un peu moins que 13,075 livres.

Les Ambaffadeurs après avoir reconnu les fceaux fe mirent en route, & quoique la faifon fût pluvieufe, ils n'effuyèrent pas une goutte d'eau. Arrivés en Champagne, le Roi partit auffi-tôt pour les joindre. Il étoit accompagné de la Reine, de fes Frères, de l'Archevêque de Sens, de l'Evêque du Puy, & des Seigneurs les plus diftingués de fa Cour. Il rencontra la Relique près de Sens; elle étoit enfermée dans une triple caffette. La première étoit de bois. On l'ouvrit, & on vérifia les fceaux des Seigneurs François & du Duc de Venise appofés fur la caffette d'argent dans laquelle fe trouva un vafe d'or, contenant la Ste-Couronne. L'ayant découverte on la fit voir à tous les Affiftans, qui fondirent en larmes s'imaginant voir réellement Jésus-Chrift couronné d'épines. Puis le Roi mit fon fcellé fur la caffette. Tant de précautions écartent affurément tout foupçon d'infidélité.

Le lendemain la Relique fut portée à Sens dont on avoit tendu toutes les rues. A l'entrée de la Ville, le Roi & le Comte d'Artois, l'aîné de fes Frères, la portèrent sur leurs épaules, les pieds nuds. Le Clergé alla au-devant, & les principaux Seigneurs chargés à leur tour de ce fardeau honorable la placèrent dans l'Eglife Métropolitaine de Saint-Etienne. On fe mit enfuite en route pour Paris, où la réception de la Relique fe fit avec la plus grande folemnité. Tout le Clergé régulier & féculier fut convoqué à cette cérémonie. Les Religieux de SaintDenis dès la pointe du jour fe rendirent à l'endroit qui avoit été indiqué, hors de Paris du côté de Vincennes; tous ceux qui affiftèrent à cette Proceffion marchèrent nuds pieds. On avoit dreffé un magnifique repofoir près de l'Abbaye Saint-Antoine, où la Châffe fut exposée aux yeux du peuple. Guillaume, Chantre de Saint-Denis, entonna tout ce qui fut chanté pendant la marche & l'Abbé eut place à la droite de l'Autel, avec les Archevêques, Evêques & les autres Abbés, tous en habits pontificaux. Enfin le 18 jour d'Août la Relique arriva, & fut placée au Palais dans la Chapelle de Saint-Nicolas.

« AnteriorContinuar »