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au moment d'imprimer mon tableau; et je suis frappé de l'analogie qui se trouve entre votre distribution et la mienne. Mais nous différons, en quelques points. Par exemple, vous placez au rang des nazales la lettre ou plutôt la touche M. Moi, je trouve qu'elle est la troisième ou la plus faible des labiales. La première ou la plus forte des labiales est P, la seconde est B, et la troisième M. Je ne vois pas, du tout, l'analogie qu'il y a entre m et n, ou plutôt, entre ma et na. Car c'est un vice de notre barbare et gothique alphabet, que quelques touches y soient dénommées par l'antécédence de la voyelle, et d'autres par la subséquence. Nous disons ef, er, en, el; nous devrions dire la, fa, na, ra: je reviens à ma question, et je vous prie de me la résoudre.

SICARD. J'avais pensé comme le citoyen Volney, que la lettre m pouvait se rapporter à la touche labiale. Il est bien extraordinaire que ce soit un homme de la nature, qui vienne ici se placer entre nous deux pour nous mettre d'accord.

Vous avez, tous, entendu un de mes élèves parler ici, très-peu, il est vrai, mais assez pour que ce phénomène ait produit sur vous l'étonnement qu'il devait causer. Lorsque j'ai dit à cet élève d'enseigner à parler aux autres, et qu'il a voulu leur apprendre à prononcer la lettre m, il leur a pris le nez, le leur a serré a serré le sien, et a prononcé ma. Je n'ai qu'un mot à dire; j'ajouterai que j'avais cru, comme le citoyen Volney, que I'm appartenait à la touche labiale; mais je prierai le citoyen Volney, ainsi que tous les autres

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auditeurs, d'examiner si, dans laprononciation de l'M,

il n'y a pas quelque chose du son nazal; et alors, je dirai que cette lettre pourrait appartenir, en mêmetems, à la réunion des deux touches, et que la prononciation de l'effet de ces deux touches réunies la distingue des autres.

Garat. Ce que vient de dire le citoyen Sicard, je l'avais déjà pensé. Je crois que l'm est un son mitoyen entre le son nazal et le labial; et en écoutant, très-attentivement, le son émis par la voix, peut-être qu'il est difficile de ne pas y distinguer un peu du son nazal, quoique cette espèce de son y soit extrêmement léger. Vous voyez qu'on a représenté I'm et l'n, par des lettres qui ont quelque rapport ensemble. L'm n'est guères que l'n à laquelle on a joint un autre jambage.

Ces observations des peuples les plus ignorans, ont, quelquefois, une extrême finesse ; et ce qui paraît une preuve de génie n'est qu'une preuve de prévoyance de la nature pour bien conduire les premiers hommes. Ils n'ont pu être conduits que par l'observation. Ce premier guide est le meilleur de tous.

Volney. Lorsqu'on étudie la nature, il paraît que la route est toujours la même ; il se trouve, assez singulièrement, que j'ai suivi la route de votre sourd-muet. En analysant, avec quelque profondeur, la lettre m comparée à l'l et au p, je m'apperçus, très-bien, du son nazal qui l'accompagnait, et je vins à une expérience assez singulière.

J'allumai une bougie ; je mis une feuille de papier, entre mon nez et ma bouche, et j'examinai les effets

de l'air qui sortait de mon nez sur la bougie, tandis que ma bouche prononçait, par-dessous le papier : ayant étudié l'anatomie, il me fut facile d'analyser le jeu de tous les organes et de toutes les parties de la bouche. Or, la bouche étant bien fermée, on forme un son sourd et obscur, que nous appellons nazal, et qui prend, dans notre langue, quatre formes différentes, on, an, in,un. J'ai dit que ce son est une voyelle, parce qu'en effet, il en a le caractère, qui est l'émission de l'air par la trachée-artère, allant ébranler les deux membranes étendues sur le tambour vocal, et y excitant un frémissement qui produit le son. Vous avez vu des enfans s'amuser à souffler dans des gorges d'oies. Eh bien ! c'est absolument le méchanisme de la voix, dans l'homme, avec quelque différence d'organisation. Selon que les membranes se tendent et se rapprochent, le son devient plus aigu; et selon qu'elles s'écartent et se détendent, il devient plus bas et plus grave. Or, je dis donc que lorsque l'air a été chassé, il vient sortir, en partie, par le nez, et y fait les voyelles nazales, in, or, an, un.

Il est remarquable que, lorsque dans la famille labiale, vous voulez effectuer une de ces consonnes, vous êtes obligé, dans la première, qui est la plus faible, de ménager le serrement des lèvres, parce que, si vous serrez un peu fort, vous trouverez, au second degré, B; ainsi, M, est le plus doux des trois contacts des deux lèvres et c'est par cette raison qu'il faut rejetter une partie de l'air par le nez, sur-tout à raison l'on prononce em, et non pas ma, c'est-à

de ce que
dire, la voyelle avant, et non pas après.

Ainsi, je vous prie d'examiner s'il n'est pas vrai que I'm soit la plus douce et la plus légère de toutes les touches labiales; qu'après, vient le B; qu'ensuite vient le P: il y a même des nations chez qui il y a une quatrième touche forte, Les Arméniens ont, ce qu'ils appellent, le P dur .. ; et dans leur langue, il n'est pas plus permis de confondre le P dur avec le P doux, qu'il n'est permis, dans la nôtre, de confondre le P avec le B.

Lorsque je me suis occupé de ces objets, j'ai consulté des hommes de langues très-diverses, et lorsque je rencontrai ce P nouveau, j'en fus étonné : je croyois que cela ne pouvait exister; (et faites bien attention à cette observation), ce ne fut que lorsque mon oreille eut contracté une grande habitude de ce son, que je parvins à faire une différence entre le P dur et te P doux (car., appelé p doux, dans l'Encyclopédie, est B.

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Chez les Arabes, il y a une différence d'un autre genre: ils n'ont point de p; et quand on veut faire prononcer à un Arabe P, il prononce B; il ne peut s'y habituer qu'après beaucoup de tems.

car

Je dirai encore qu'on ne peut tirer aucune induction de la semi-ressemblance de figure entre m et n, il faudrait que cette analogie se trouvât dans plusieurs alphabets. Il est vrai que dans ceux d'Europe, qui sont tirés du romain, il y a analogie du ma au na; mais dans vingt ou trente alphabets étrangers que je pourrais citer, je n'en connais aucun où il y ait cette analogie du na au ma; et je demande pourquoi, chez

tant de nations, cette analogie de la figure ne se

trouve pas.

D'ailleurs je vous prie de bien examiner la manière dont se forme le na. Le bout de la langue s'attache audessus de la racine des gencives; il sort des poumons une force d'air qui, poussant la langue, la fait tomber, et lui fait dire na, même en tenant le nez bouché.

Ainsi, c'est à l'observation anatomique de bien déterminer et de caractériser les lettres dont vous avez, d'ailleurs, parfaitement, saisi l'esprit de famille, et la division par organe, qui me semble la seule bonne, la seule fondée sur la raison. Je vous prie de vouloir bien me dire votre opinion sur ces observations.

SICARD. Il me paraît difficile de se refuser à la justesse des observations du citoyen Volney : j'ajouterai qu'il est très-important de classer nos lettres, de ne pas les présenter sans ordre, sans raison et sans méthode; les enfans ne les retiendront qu'autant qu'on pourra les attribuer, les rapporter à quelque chose qui soit connu d'eux, et qui ait quelqu'analogie avec des causes dont les lettres soient, pour ainsi dire, les effets. On ne peut se dissimuler que la prononciation de ma ne rende nécessaire une légère émission d'air par les narines, que les narines ne jouent ici un rôle dans la prononciation de cette lettre, et que les autres touches n'y contribuent. On ne peut, non plus, désavouer que la touche labiale n'y contribue aussi pour sa part; ainsi je redirai encore que la lettre M peut être rapportée, à-la-fois, à la touche labiale et à la touche na

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