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à la nature de notre être, est, à sa naissance, aussi irrésistible, aussi forcé, aussi nécessaire, aussi nonvoulu, qu'il est nécessaire de recevoir des idées quand quelque objet extérieur frappe quelqu'un de

nos sens.

La première opération de l'homme organique est done une nécessité chez lui; il doit voir aussitôt qu'il ouvre l'œil. La première opération de l'homme intellectuel est d'avoir des idées aussitôt que quelqu'objet frappe quelqu'un de ses sens; la première opération de l'homme moral est de vouloir, sans pouvoir s'en empêcher, aussitôt qu'un objet convenable à sa nature, vient frapper quelqu'un de ses sens : il est entraîné vers cet objet, vers lequel il se précipiterait infailliblement, si la raison dont l'a doué l'auteur de la nature, ne venait aussitôt éclairer ce penchant aveugle, et subjuguer l'instinct comme la raison éternelle domine la raison.

La seconde opération de l'œil organique, c'est de REGARDER. Il pourrait fermer les yeux, et n'avoir fait que voir; c'est voir une seconde fois, c'est appuyer sur le premier VOIR, qui fait le REGARD: ce REGARD est le VOIR Voulu; c'est-là que commence l'intention.

La seconde opération de l'homme intellectuel, qui pourrait passagèrement n'avoir qu'une idée et ne pas s'y arrêter, est PFNSER; c'est la seule qui puisse dépendre de son intention. L'esprit, dans cette opération, regarde, à sa manière, c'est-à-dire qu'il pèse une idée, qu'il regarde l'objet sur lequel il n'avait d'abord eté involontairement qu'un coup-d'œil; et la seconde

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opération de l'homme moral, dont la volonté vient d'être remuée, et d'éprouver cette secousse que produit l'approche d'un objet conforme à sa nature; ce second degré c'est la volonté encore, mais c'est la volonté voulue.

Je sens que ces termes doivent choquer par leur rapprochement, car la volonté peut-elle jamais être involontaire et par conséquent ne pas être la volonté ? Je veux dire que le premier mouvement excité dans la volonté échappe en quelque sorte à l'ame raisonnable et n'est encore que la volonté élémentaire, la volonté radicale, la volonté d'instinct ; qu'elle ne devient la volonté complette que quand elle est accompagnée de la réflexion; qu'on peut donc distinguer deux volontés dans l'homme, comme on distingue en morale des actes d'homme et des actes humains. Et cette volonté réfléchie, qui est la seconde opération du cœur, ou de l'homme moral, je l'appelle DESIR, comme j'appelle penser la seconde opération de l'esprit, comme j'appelle regarder, laseconde opération de l'œil physique.

La troisième opération de l'ail organique c'est de se fixer sur l'objet, de le regarder davantage pour le mieux voir; et de même la troisième opération de l'homme intellectuel c'est la méditation ou la réflexion, c'est-à-dire, de mieux regarder intellectuellement pour mieux voir encore.

La troisième opération de l'homme moral ce sera de n'avoir pas seulement un desir de l'objet, mais de se reposer sur cet objet; et c'est l'AIMER, c'est l'AMOUR. Telle est la chaîne des opérations de l'homme, consi

déré comme être organique, comme être intellectuel et comine être moral: ce sont là les moyens que j'ai employés pour faire entendre aux sourds-muets les idées abstraites qui appartiennent soit à l'entendement, soit à la volonté.

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Un élèvr. Citoyen, dans la dernière séance votre élève a défini ainsi le mot idéer : porter l'oeil inté"rieur sur l'image d'un objet, ou vu, ou touché, ou flairé. Vous avez observé qu'il n'a pas ajouté ou entendu, parce que le sourd - muet n'a point d'idée de cette opération. Mais je vous demanderai une chose; le verbe entendre, présente deux opérations ; une opération intellectuelle et une opération physique: je vou. drais savoir comment vous pourriez leur faire sentir la différence du mot entendre, lorsqu'il exprime une opération intellectuelle, et lorsqu'il exprime une opération physique.

LE PROFESSEUR. Voici comment je m'y prends: d'abord pour le premier sens, le sens physique, on ne peut le lui faire comprendre que par des analogies,par des à-peu près, parce qu'il ne peut avoir l'idée du son; voici comment je fais : Je charge quelqu'un de frapper à la porte de la salle où je suis avec mon élève; et aussitôt qu'il a frappé, s'il a frappé quatre coups, je compte chaque coups sur mes doigts, et ensuite je lui dis sors, va-t-en demander à celui qui a frappé, combien de coups il a frappé. Celui qui a frappé répond à mon élève qu'il a frappé quatre coups. Je dois vous dire en passant que ce fut pour moi un

grand amusement la première fois que je fis cette expérience; mon élève crut qu'il y avait une certaine magie dans la connaissance de ces quatre coups. II eut la même admiration que les ignorans ont quand ils voient des tours de gobelets. Il ne put concevoir comment j'avais deviné ces quatre coups frappés sur une porte, sans voir celui qui frappait. Je fis alors une expérience, que mon prédécesseur m'avait apprise. C'était d'avoir un seau d'eau, dans lequel on faisait tomber une balle de plomb; et aussitôt que la balle tombait, l'eau s'agitait au dessus des bords du vase. Je dis à l'élève que l'air était un fluide comme cette eau, mais moins épais; qu'on pouvait donc agiter l'air comme on agitait l'eau. Je pris un petit écran, j'agitai l'air contre son visage. Il s'apperçut qu'il était touché par l'air sans que je le touchasse avec l'écran, Je lui dis que je touchais son visage avec ce fluide qui est répandu autour de nous, et que je venais de produire le même effet que la balle de plomb avait produit dans le seau.

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Quind je lui eus donné l'idée de l'air qui est autour de nous, et au milieu duquel nous nageons comme les poissons nagent dans l'eau, je lui fis voir, en rapprochant sa main de ma bouche, que, lorsque nous parlions, il y avait aussi un ébranlement dans l'air. I en fut convaincu. Je lui dis que cet air était rempli de petites bulles qui se communiquaient, qu'elles allaient frapper d'une distance à l'autre l'oreille de celui qui était attentif. Mais écouter serait encore nul. Je lui dis que nous avions dans l'oreille une espèce de petit marteau comme le battant d'une cloche; qu'aus

sitôt que la colonne d'air venait frapper sur ce marteau, ce marteau frappait aussi cette cloche intérieure, que nous appellons oreille; j'appellai ce marteau timpan ; qu'alors nous étions avertis. Le même effet se produirait chez toi, lui dis - je, si ta cloche n'était pas sans battant, ou si le battant de ta cloche n'était desséché, n'était enfin nul; tu n'as pas de battant ou tu as un mauvais battant, lui dis-je. Il entendit cela parfaitement. Je repris ainsi : nous avons chacun un battant; le mien est parfaitement bon, mais le tien ne peut pas sonner. Ainsi chaque coup frappé sur cette porte fait impression sur l'air environnant, et se communique jusqu'aux bulles qui communiquent avec le battant de ma cloche, ou le timpan de mon oreille : les impressions produites sur le timpan sont donc l'effet de celles qui sont produites sur l'air qui environne la porte; et elles sont également distinctes et faciles à compter. Voilà, lui dis-je en finissant, comment, sans voir la main qui frappe, je peux compter les coups frappés. Et c'est la connaissance de ces impressions extérieures qui viennent retentir à nos oreilles, que nous appelons ENTENTE: et le verbe, qui sert de racine à ce mot,et dont ce mot est l'abstraction ENTENDRE. ENTENDRE est donc le voir de l'oreille; c'est connaître par le rapport du sens de l'ouïe, les impressions que font les corps frappés sur l'air envi

IoNnant.

C'est ainsi que j'ai donné au sourd - muet, autant que cela était possible, la connaissance du mot ENTENDRE dans sa première acception.

C'est la connaissance de ce mot, pris dans son ac

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