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avoir protefté que c'est à tort qu'on lui attribue un Livre des Sentences qu'il n'a jamais composé, il conjure tous les Fidéles de ne pas noircir fon innocence, que la vérité met à couvert des fautes qu'on lui impute; puifque la charité chrétienne nout oblige de donner un bon fens aux chofes qui font douteufes.

Abeil

caufe.

Cette Apologie étant publiée en XIV. France, Abeillard partit pour aller à lard va Rome défendre fa caufe contre fes ad- à Rome pour déverfaires qu'il y avoit cités. Mais il fendre fa n'étoit pas encore à Lyon, qu'il apprit que le Pape l'avoit jugé fans l'entendre, que fur les feules Lettres de l'Abbé de Clairvaux, il l'avoit déclaré hérétique, condamné fes Ecrits au feu, & ordonné aux Evêques de France de le faire arrêter avec Arnauld de Bref fe (a), & de les tenir l'un & l'autre dans une prifon féparée.

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(a) Le Pape avoit raifon de faire arrêter Arnauld de Breffe: jamais le Saint Siége n'a eu de plus dangereux ennemi. Cet Italien, qui portoit le nom de la Ville où il étoit né n'alloit pas moins qu'à détrôner tous les Papes, & chaffer tous les Cardinaux. Il publioit hautement que les biens qu'ils poffedoient, étoient ufurpés qu'il falloit les en dépouiller, & rétablir le Sénat de Rome, où il avoit un parti fi puiffant, que peu s'en eft fallu que les Papes n'en aient été chaflez pour toujours: mais ceux-ci enfin quelque tems après aïant pris le deffus, Arnauld far obligé de fe retirer vers l'Empereur Frederic I., qui étoit brouillé avec eux. Ce Prince dans la fuite

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Cette trifte nouvelle confirmée de plufieurs endroits, fut un coup de foudre pour Abeillard, & qui le mit dans une étrange peine. Il ne pouvoit comprendre qu'un Pape auffi éclairé qu'étoit Innocent II. & qui paffoit pour un homme équitable, eût contre toutes les Loix divines & humaines, condamne un Abbé fur les accufations de fes adverfaires fans l'avoir entendu, & fans connoître, fi ce qu'on lui imputoit, étoit vrai ou faux, fi l'accusé en convenoit, & en cas qu'il en convînt, s'il perfiftoit dans fes fentimens, & beaucoup d'autres chofes qui devoient s'obferver dans un jugement de cette confequence.

Mais fa douleur redoubloit, lorfqu'il faifoit réflexion que faint Bernard qu'il honoroit infiniment, étoit l'Auteur de pour faire fa paix, leur livra Arnauld qui fut conduit à Rome, pendu & brûlé, & fes cendres jerrées dans le Tybre par ordre d'Adrien I V. Cela n'arriva neanmoins qu'après 10. ou 1. ans de guerre qu'Arnauld leur avoit faite par fes intrigues. Les ennemis d'Abeillard vouloient perfuader à Innocent II. qu'il étoit d'intelligence avec cet Arnauld ; c'eft pourquoi le Pape ordonne qu'on les arrête l'un & l'autre fi on peut. Mais cette prétendue intelligence eft une pure calomnie. Quoiqu'Arnauld cût étudié autrefois fous Abeillard, il n'avoit jamais eu de relation avec lui depuis ce temps-là, & l'on ne peut porter plus loin le refpe&t qu'Abeillard a toûjours eu pour le Saint Siége. ïl ne lui eft même jamais échappé une parole contre les Papes dans tous fes Ouvrages quoiqu'il eût tant de fujet de fe plaindre d'eux : au moins d'innocent II,

toutes

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toutes les difgraces. En effet on fouffre patiemment une persécution qui vient de la part des méchans. Ces hommes fans probité & fans religion s'élevent-ils contre nous & n'épar gnent-ils pour nous perdre ni la médifance ni la calomnie? nous ne fentons pour eux que du mépris. Mais quand un homme de bien & même un Saint fe déclare contre nous quoiqu'il le faffe par de bons motifs qui, le séduifent, c'eft alors que la plus grande ame eft déconcertée, & que la vie lui devient ennuïeuse: auffi Dieu ne met-il à de telles épreuves que ceux qu'il deftine à une grande gloire, & dont le courage lui eft connu.

la

Tant que faint Chryfoftome ne vit que les libertins de Conftantinople, les flatteurs de l'Imperatrice Eudoxie, & quelques Evêques de Cour, lui faire, guerre, & favorifer le parti de ses ennemis, il s'en confola aisément : la paix de fon ame ne fut pas même troublée à la nouvelle de fa dépofition & de fon exil. Mais lorfqu'il apprit que faint Jerôme avoit pris contre lui le parti de Theophile d'Alexandrie qu'il difoit ouvertement que fa dépofition étoit jufte, & qu'il s'étoit attiré tous les mauvais traitemens qu'il fouf

Tome II.

G

XVII.

froit, cette nouvelle le pénétra de douleur; alors il ne put s'empêcher de dire qu'elle le touchoit plus, que tout. ce qu'il fouffroit de la part de fes en

nemis.

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Abeillard percé d'un femblable trait qui partoit de la main de faint Bernard, tomba dans une extrême perplexité d'efprit. Il ne fçavoit à quoi se réfoudre. Si je vais à Rome, fe difoit-il, on m'y traitera peut-être encore en perfonne, comme je l'ai déja été dans mon abfence, fur l'expofition que mes ennemis ont donnée de mes prétenduës héréfies fi je retourne au Paraclet ou à Saint-Gildas ces mêmes ennemis fçauront bien m'en tirer, pour m'ôter peut-être la vie, fous prétexte d'entrer dans les deffeins du Pape. Ces deux partis également périlleux le tinrenti quelque temps en fufpens: mais enfin déterminé par le témoignage que fa confcience & la foûmiffion de fon efprit aux décisions de l'Eglife, rendoient à fon innocence, il réfolut d'al ler à Rome pour fe juftifier. Continuant fa route, la nuit le furprit, & L'obligea de s'arrêter à Cluni.

Cluni eft une ancienne Abbaïe.de L'Abbé l'Ordre de Saint Benoît fituée fur les confins du Duché de Bour

de Cluni

l'arrête,

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ger a

gogne (a), à quinze ou feize lieuës de & veue Lyon. Pierre le Vénérable en étoit nga alors Abbé, & gouvernoit ce fameux efter Monaftere, & tous ceux qui en dépen- chez k dent, avec beaucoup de fageffe & de régularité. C'étoit un homme d'une grande douceur, fçavant ami des Doctes & des perfonnes de piété : ce qui lui avoit acquis une grande confidération dans le monde. Il n'avoit jamais vû Abeillard, mais il le connoiffoit de réputation, & avoit lû quelques-uns de fes Ouvrages. D'abord qu'il fçût fon arrivée, il fut audevant de lui, & le reçût avec toutes les marques de diftinction. La converfation fe lia facilement, & ces deux illuftres Abbés en peu de temps devin

rent amis intimes.

Abeillard ne put lui cacher le fujet de fon voïage, ni s'empêcher de lui faire le récit de fes difgraces, particulierement de ce qui fe paffoit depuis quelques années entre l'Abbé de Clairvaux & lui, & l'embarras où il fe trouvoit par la trifte fituation de fes affaires. Il ne pouvoit s'adreffer à um

(a) Ce Duché n'étoit pas encore réuni à la Couronne: ainfi l'Abbaïe de Cluni étoit alors hors de France. Sa fondation eft de l'an 9:0. par Bernon Ab bé de Gigniac, foûtenu des libéralités de Guillaume I. Duc d'Aquitaine, & Comte d'Auvergne.

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