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fur elle, jufqu'à préferer le nom & la qualité de maîtreffe à celui d'époufe (4), quoique plus faint & plus au gufte, parce que celui-là nuifoit moins alors à fa réputation devant les hom mes, & qu'elle lui faifoit dans cet état un plus grand facrifice. Elle le fait fouvenir de l'excès d'amour qu'elle a encore eu pour lui depuis leur mariage, puifqu'elle s'eft faite Religieufe unique. ment pour lui plaire, quoiqu'elle n'eût alors aucun attrait pour le Cloître. Elle lui reproche la défiance qu'il eûc alors de fa fidélité; défiance qui fuc. jufqu'à l'engager dans l'état Religieux,, avant qu'il eût lui-même pris ce parti. De tous ces motifs elle en tire cette conséquence, qu'il feroit le plus ingrat. de tous les hommes s'il refufoit de lui rendre quelques vifites, ou de la con foler au moins par fes Lettres; quand

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(4) La mauvaise foi de Baile paroît ici dans tout fon jour, & il ne peut s'empêcher de découvrir le venin qu'il cache dans fon cœur contre les Catholiques Romains, fur tout contre les per onnes Religieufes. Car fous prétexte qu'Heloïse étoit Abbelle lorsqu'elle écri vit cette Lettre il lui fait dire que toute Religienfe qu'elle eft, elle aimeroit mieux être la P d'Abeiltard, que la femme légitime de l'Empereur fi elle cût été actuellement dans ces fentimens, quoi qu'elle ne faffe que rapporter dans l'amertume de fon ame ceux où elle étoit avant fa converfion, & avant même (on mariage. Il poufle la calomn e jus qu'à la coniparer, toute Religieufe qu'elle étoit, à Stra tonice. Voy. fon Dic Crit, fur Helaïje, p. 44.

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comme

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ce ne feroit que pour l'aider à fervit Dieu avec moins de diftraction. Elle Jai demande agréablement s'il n'a point de honte de lui avoir écrit autrefois tant de billets doux pour l'engager dans une paffion criminelle, & de lui refufer des Lettres à préfent pour la porter Dieu, & enflammer fon cœur d'un amour auffi pur & auffi faint, que l'exige l'état qu'ils ont embraffé l'un & l'autre. Eft-ce, dit-elle, que ce qui vous attachoit autrefois à moi étoit plûtôt l'ardeur de la cupidité que la force d'un noble amour ? J'ai fujet de le croire, ajoûte-t-elle, puif que moment que cette paffion groffiere n'a plus été en état de se fatisfaire je n'ai eû en vous aucune marque d'amour; & vous m'avez tellement négligée, ou même oubliée, que je në fuis ni foulagée par vos vifites, ni confolée par vos Lettres. Si je n'en mérite aucune, vous ne pouvez pas dire la même chose de mes Religieufes qui font vos filles, & qui font redevables à vous feul du Monaftere qu'elles pof fedent. Aïant tant fait pour des étrangers, pour des ingrats, pour des barbares, ne ferez-vous rien pour l'édifi cation, pour la confolation de vos filles: elles qui vous regardent comme

leur pere, & qui vous chériffent prefqu'autant que moi? Tel eft à peu près le contenu de cette premiere Lettre d'Heloïfe.

d'Abeil

Je ne fçai quelle impreffion elle fit Réponse fur l'Esprit d'Abeillard,; mais mais il eft cer- lard. tain qu'on ne peut voir une réponse plus grave. plus humble & plus chrétienne. Il palle fous filence tout ce qu'Heloïfe lui avoit mandé de fon at tachement pour fa perfonne. Il ne lui dit rien fur toutes les marques qu'il avoit autrefois reçues de fon amour, & dont elle tâchoit de lui rappeller le fouvenir. Il femble qu'Abeillard ait oublié, & qu'il veut qu'Heloïfe oublie auffi qu'il a été fon amant & fon époux, & qu'il l'eft encore, pour ne penfer qu'à l'augufte qualité d'époufe de Jefus-Chrift dont elle eft revêtue. Il fe contente de lui dire, que ce n'eft point par négligence qu'il a differé de lui écrire, mais parce qu'il avoit une fi haute idée de fa piété & de son érudition, qu'il n'avoit pas cru que fes avis lui fuffent néceffaires; que cependant fi elle croïoit en avoir befoin, elle pouvoit lui mander les fujets fur lef quels elle vouloit qu'il lui donnât quelque inftruction, & qu'il tâcheroit de la fatisfaire. Il la remercie de la

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part qu'elle veut bien prendre à fes afArctions; il fe recommande a fes prieres, & à celles de fa Communauté, fair voir par une fçavante énumération des plus beaux endroits de l'Ecriture, combien les prieres des Vierges & des saintes femmes font agréables à Dieu, & lui marque en particulier une formule de priere (a) fort édifiante, qu'il souhaite être dite pour lui tous les jours par fa Communauté après les Heures Canoniales. Enfin il lui déclare qu'il veut qu'après fa mort fon corps foit porté dans leur Monaftere pour y être inhumé afin que la vue de ce trifte fpectacle où aboutiffent tous les grands deffeins des hommes, les excite à prier Dieu pour le repos de fon ame. Heloïfe ne s'attendoit pas à une telle Se onde réponse. Elle lui récrit, & lui reproche d'H loi d'avoir augmenté la douleur, plûtôt beil ard. que de lui avoir donné quelque confo

VII.

Let:re

fe à A

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lation, en lui parlant de fa mort comme

(1) Cette priere eft un Répons que voici: Ne derelinquas me, Domine, Pater & Dominator witæ meæ, at non corruam in conspectu adverfariorum meorum « ne gaudeat de me inimicus meus. . Apprchende arma

feuiam, & exurge in adjutorium mihi. Ne gaudeat, &c. Salvum fac fervum tuum, &c. Mitte ei, Domine, auxilium de fancto, &c. Oremus, Deus, qui per fervum tuum, ancilla's tuas in nomine tuo dignatus es hic aggregare. te quæfumus ut eum ab ommi adverfi. tate protegas, & ancillis tuis incolumem reddas. Per Dominum, &c.

prochaine. Cette pensée l'accable, & elle avoue qu'elle ne peut la foûtenir : ce qu'elle lui témoigne d'une maniere fi patétique & fi touchante, qu'on a peine à retenir fes larmes en lifant cette Lettre. Elle s'accufe enfuite d'être la caufe de tous les malheurs ; elle voudroit pouvoir s'en venger fur elle-mê-me: & fe trouvant dans l'impuiffance de le faire, elle appelle à fon fecours toutes les difgraces de la vie, afin qu'el les viennent fondre fur elle, & qu'elles épargnent l'innocent, en épargnant la perfonne d'Abeillard. Puis revenant tout d'un coup à des fentimens plus chrétiens & plus modérés, elle s'écrie: Mais n'ai-je pas la voïe de la Pénitence pour fatisfaire à vôtre juftice, ô mon Dieu! Pourquoi donc n'ai-je pas le courage de l'embraffer? Pourquoi ne. m'y livrer pas entierement! Mais hélas! dit-elle, loin d'être dans cet heureux état, je suis encore fi foible, que le fouvenir des plaifirs paffez n'eft pas même effacé de ma mémoire. Ils fe préfentent continuellement à mon efprit, & me font mourir toute vivante. Ces funeftes idées ne me donnent point de repos ni jour ni nuit, elles me persécutent jufques dans mon fommeil, Malheureufe que je fuis, pourfuit-elle,

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