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X.

le dirons, après que nous aurons vû lă: fuite de fes Lettres à Heloïfe.

Cette digne Abbeffe obéït ponctuelTrofé- lement à l'ordre qui lui avoit été donete né de ne plus parler de leurs infortulofe a nes. Elle avoue néanmoins dans cette

d'He.

Abeil

lard.

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troifiéme Lettre qu'elle a bien de la peine à s'en empêcher; mais qu'étant moins difficile d'arrêter fa main que fa pensée, elle efpere que la vertu d'obéiffance lui donnera affez de force pour le fatisfaire fur cet article. Elle entre donc auffi-tôt dans une matiere fort differente, puifqu'elle le prie en fon nom & au nom de fes filles 1. De les inftruire de l'origine des Religieufes, & de l'autorité de leur profeffion. 2°. De leur compofer une Regle propre & particuliere à des filles; n'y aïant pas d'apparence, dit-elle, que faint Benoît ait jamais penfé à faire obferver fa Régle aux perfonnes de nôtre fexe, puifqu'il y a inferé tant de chofes qui ne peuvent nous convenir. Elle en apporte plufieurs exemples qu'elle touche avec beaucoup de délicateffe. Sur les habits, elle fait voir qu'un froc, des calçons, un fcapulaire pour le travail, & des chemifes de ferge ne font point propres pour des filles. Sur l'Office Divin, qu'il n'ap

partient pas à une Abbeffe de chanter Î'Evangile, & d'entonner le Te Deum. Sur l'hofpitalité, qu'il n'eft pas poffible qu'une Abbeffe mange avec les hôtes; que le commerce des deux fexes eft trop dangereux, fur-tout à table, où la châleur du vin eft capable de faire perdre les meilleures réfolutions aux perfonnes les plus fages: & fi on me dit, ajoûte-t'elle, que nous ne devons recevoir dans nos maifons que les perfonnes de nôtre fexe : je réponds que les hommes qui ont fait tant de bien à nos Monafteres, s'en trouveront offensés; & de plus, que les femmes du monde font encore plus dangereufes, & plus propres à introduire chez des Religieufes l'efprit du fiécle. Sur le travail, elle repréfente que des filles enfermées & délicates ne peuvent pas aller faire la moiffon, fanner les foins, couper les bois, & autres chofes de cette nature que la Regle prefcrit. Enfin elle touche prefque tous les articlesde cette Regle, & montre avec beaucoup d'adreffe qu'elle n'a jamais été faite pour des filles. Elle preffe donc fortement Abeillard de leur dreffer une Regle pleine de difcrétion, & qui s'ac commode à leur foibleffe, étant bien juste, puisqu'il eft après Dieu le Fon

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Réfle

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dateur de leur Monaftere, qu'il fois auffi l'Inftituteur de leur Regle; de crainte qu'après lui il ne leur vienne un Supérieur qui n'ait ni fa capacité, ni même fa bonté pour leur maifon.

Si Heloïfe en fut demeuréé-là, il sions fur n'y auroit rien dans cette Lettre qui cette Let- ne méritât des loüanges, fur-tout fi on

DEC.

confidere la pureté & l'élévation d'un ftyle qu'elle releve par un grand nombre de paffages de l'Ecriture, des Saints Peres, & des plus beaux endroits des Poëtes. Mais elle pouffe un peu trop Join l'adouciffement de la Regle qu'elle demande; car elle prétend qu'on en doit retrancher l'abftinence & le jeûne, & que c'eft affez pour des filles de fuivre les traces des Evêques & des Prêtres qui font les maîtres & les fupérieurs de tous les Chrétiens. Sur ce pied, les Moines ne voudroient plus jeûner, ni s'abstenir de l'ufage de la viande, qu'autant que les Evêques & les Prêtres s'en abftiennent, puifqu'ils font, comme des Religieufes, leurs maîtres & leurs Supérieurs.

Elle devoit donc confidérer que l'état Monaftique étant un état de plus grande perfection, que n'eft celui du commun des Chrétiens; il ne faut pas re gler les exercices de ceux qui l'ont em

braffé, fur le modele des perfonnes du fiécle; que de tout temps la Profeffion Religieufe a été regardée comme un dévouement à la Pénitence; & ceux qui s'y engagent, comme des pénitens publics, destinés à expier leurs propres péchez, & ceux des peuples (a) qu'elle eft dans la pensée des Saints un retracement parfait de la Pénitence de Jefus-Christ, & par consé quent qu'elle en doit être une imitation: fidelle. Or, quoique ce divin Sauveur ait été obligé de permettre à fes Apôtres de manger tout ce qu'on leur préfenteroit, & qu'il leur en ait donné lui-même l'exemple, parce que l'obligation où ils étoient de porter l'Evangile par tout le monde, ne leur permettoit pas d'en ufer autrement: cependant nous ne pouvons ignorer que l'austérité de la vie de Jefus-Chrift a été grande; que fes jeûnes étoient longs, fes veilles prefque, continuelles ; qu'il a fouvent manqué, comme il dit luimême, des chofes que la nature. ne refufe pas aux oiseaux du Ciel, ni aux animaux de la terre : & pour ne parler que de la nourriture, nous voïons bien qu'avec fes Difciples il mangeoit

(a) Religiofa triffitia aut propria luget peccata, and aliena, S. Greg. Moral,

du poiffon; mais nous ne voïons point qu'il ait jamais mangé de viande, excepté l'Agneau Pafchal, qui étoit un devoir de Religion.

Enfin quand il feroit vrai que Jefus-Chrift mangeoit ordinairement de la viande, les Religieux doivent fe fouvenir que c'eft à eux particulierement qu'il appartient de fuppléer à ce qui manque aux fouffrances du Sauveur.. C'eft dans cet efprit que tous les Inftituteurs des Ordres Monaftiques avant le fiécle d'Abeillard, ont ordonné l'abs tinence de viande : & fi nous en voïons à préfent qui ne l'obfervent pas, c'eft que fouvent ils ont dégéneré de leur premiere Inftitution.

Mais pour détruire l'Indulgence que demandoit Heloïfe pour fes filles, il n'y a qu'à lire l'Hiftoire Ecclefiaftique, & l'on trouvera que dans tous ces fameux Monafteres de l'Orient, où l'on voïoit deux ou trois cens Religieufes, & des filles de la premiere qualité; l'ufage de la viande & du vin en étoit banni, & elles fe contentoient de fruits, de racines & de légumes. La vie de faint Euphrafie, telle que la rapporte Baillet M. Baillet, le plus exacte de tous nos Ecrivains, en est une prenve autentique. Auffi eft-il vrai qu'Heloïfe chan

an 13.

Mars,

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