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Plutarq

rencontrer aucun obftacle, ou l'amitié les vaincroit tous.

Que ne fçait-on pas de Pylade & d'Ode mult. refte, de Théfée & de Pirithoüs, de Nise

amicitiâ.

& d'Euryale, de Damon & de Pythias ? Que ne fçait-on pas de l'étroite liaison du jeune Scipion avec Polybe qui devint fi utile à ce jeune Romain, & qui ne lui a gueres moins fait d'honneur dans la poftérité, que toutes ses victoires ? de l'amitié du fecond Scipion, & de Lelius, furnommé le Sage, dont Ciceron nous a tracé le plus beau tableau ? Il faut entendre Lelius lui-même ( c'est-à-dire, les paroles que Ciceron lui met dans la bouche) fur la parfaite union qui régnoit entre Scipion & lui.

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« Pour moi, dit Lelius, de tous les

préfens de la nature & de tous ceux de » la fortune, je n'en trouve aucun que je » puiffe mettre en comparaifon avec le >> bonheur que j'ai eu d'avoir Scipion pour » ami. Je trouvois dans notre amitié une

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parfaite conformité de fentimens fur les » affaires publiques; un fonds inépuisable » de confeils & de fecours dans les affaires

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particulieres; un repos, une paix, une >> douceur qui ne fe peuvent exprimer. » Jamais je n'ai bleffé Scipion dans la » moindre chose dont j'aie pu m'apper» cevoir; jamais il ne lui eft échappé une » feule parole que j'euffe voulu ne pas » entendre. Nous n'avions qu'une même » maison & une même table à frais com» muns, dont la frugalité étoit également » du goût de tous deux. A la guerre, en » voyage, à la campagne nous avons toujours été ensemble. Je ne parle point » de nos études, & du foin que nous >> avions l'un & l'autre d'apprendre tou>> jours quelque chofe : c'est à quoi nous paffions toutes les heures de notre loisir, » loin des yeux & du commerce des » hommes ».

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T

Una domus erat, idem victus, ifque communis, neque folùm militia, fed etiam

H

peregrinationes rufticationefque com

munes.

Ciceron, de amicitiâ, 103, 104.

Indépendamment des Scipions & des Lelius, que n'a-t-on point vu dans les plus anciens Hiftoriens, comme dans les fastes de Rome, de ces grouppes d'amis, de ces foldats à jamais célebres? Des Fabrices & des Curius, des Papus Emilius & des C. Lufcinus, des M. Curius & des T. Coruncanius, des Philus & des Rupilius, des Mummius Maximus & des L. Paulus, des M. Cato & des C. Gallus, des P. Nafica, & des T. Gracchus, des L. Furius & des Q. Tubero, des P. Rutilius & des Aulus Virginius, dont l'union conftante & mémorable fut confacrée à tous les fiecles à venir.

Chers compagnons! foldats du plus haut comme du dernier grade, vous aimez votre Roi, votre nation! aimez-vous donc réciproquement, ou vous n'aimeriez pas véritablement votre maître & votre

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patrie; nulle autre fociété n'a tous vos
liens; l'honneur, l'intrépidité, l'estime la
plus mutuelle, l'intérêt le plus commun,
tout vous parle en faveur de la gloire des
armes! Ecoutez la voix de l'amitié, elle
eft la plus forte, elle eft celle de la na-
ture, elle est l'espoir, le falut de l'État :
par-tout où l'amitié ne trouveroit pas
d'abord entre vous cette égalité parfaite,
que cette même amitié l'y mette; ce fen-
timent trouva par tout, ou fit toujours
par-tout des égaux: amicitia aut pares in- Ciceroni
venit, aut facit. Les anciens l'ont divinifée,
& nos premiers peres, les premiers guer
riers en ont placé l'Idole au milieu des
armées, entre la Victoire & le Dieu des
combats. Qu'on n'entende jamais dire dans
les nôtres, dans nos armées, qu'on ne
puiffe jamais faire au militaire François
l'odieufe application de ces mots, si fa-
miliers dans la bouche d'Ariftote : O mes
amis, il n'y a nul ami !

Montaigne. Diogene Laërce, in vită
Ariftotelis, L. 5. Segm. 21.

L'hiftoire Grecque nous à laiffé un exemple de tendreffe & de religion bien touchant.

...Cleobis & Biton d'Argos, deux freres, modeles parfaits de l'amitié fraternelle, & du refpe&t qui eft dû aux parents, un jour de fête où la Prêtreffe leur mere devoit aller au Temple de Junon, fes bœufs tardant trop à venir, fe mirent euxmêmes au joug, & traînerent le char de leur mieux jufqu'au Temple.

En voici un de nos jours qui a quelque reffemblance avec l'aventure de Cleobis & de Biton, mais bien plus religieux & bien plus remarquable encore.

Deux foldats du Régiment de Champagne, efpérant trouver fur un champ de bataille le corps de leur Capitaine & celui d'un de leurs Sergents, qu'ils avoient jugé n'être pas tout-à-fait morts, s'y tranfporterent pendant la nuit, en ayant obtenu la permiffion de leurs Chefs; ils fouillent dans les différents monceaux de cadavres, & reconnoiffent avec leur Capitaine &

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