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» la guerre, & en même tems ménager » les deniers publics; obliger au service » des perfonnes que l'on voudroit d'ail» leurs ne pas offenfer; être chargé de tout au dedans & au dehors ; & s'ac» quitter de tous ces devoirs au milieu » d'envieux, de factieux, d'ennemis dé» clarés, c'est une fituation plus rude & plus difficile qu'on ne peut fe l'ima» giner. Ajoutez à tout cela un inconvé>nient qui m'eft propre & personnel. Si » les autres font quelque faute, leur an» cienne nobleffe, les actions glorieufes » de leurs ancêtres, le crédit de leurs » proches & de leurs alliés, le grand » nombre de leurs clients, tout cela vient, » pour ainsi dire, à leur fecours, & les » met à couvert au lieu que toutes mes >> reffources font en moi-même, & que » je ne puis trouver d'appui que dans la » vertu & l'innocence; car tout le refte » me manque. Je vois que tout le monde va les yeux fur moi. Les gens équitables » & judicieux me favorifent, parce qu'ils

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» font perfuadés que dans toutes mes ac» tions je n'ai en vue que le bien public; » mais les Nobles ne cherchent que des >> occafions de me décrier & de me nuire. » C'est une raison pour moi de faire de » nouveaux efforts pour ne point fruftrer » votre attente., & pour rendre leurs » mauvais deffeins inutiles. Depuis ma plus » tendre jeunesse je me fuis accoutumé & » endurci au travail & au danger. Ce que » je faifois ci-devant par un amour gra» tuit de la vertu, je dois à plus forte » raison, depuis que vous m'avez comblé » de vos bienfaits, le faire par reconnoif» fance; & c'est bien ma résolution. Il >> eft difficile que ceux qui, pour arriver >> aux charges, ont pris le mafque de la continuent à fe contraindre » lorsque leur ambition est satisfaite. Pour » moi qui m'y fuis exercé toute ma vie, » je puis dire qu'une longue habitude me » l'a rendue en quelque forte comme na» turelle. Vous m'avez chargé de la guerre >> contre Jugurtha; & c'eft de quoi la

» vertu,

» Nobleffe eft extrêmement piquée. Or » je vous prie, Romains, examinez en >> vous-mêmes, fi, au lieu du choix que >> vous avez fait, il conviendroit mieux » que vous allaffiez prendre, dans cette » troupe de Nobles, pour remplir l'em» ploi dont il s'agit, ou bien quelqu'autre » pareil, un homme d'une ancienne fa» mille, & décorée par les plus grandes » charges de l'État, mais fans fervice & fans » expérience; afin que dans la conduite » d'une guerre fi importante, embarraffé » faute d'usage & tout déconcerté, il » prenne parmi ce peuple qu'il méprise

guide & un moniteur qui lui montre >> fon devoir. En effet il arrive fouvent » qu'un homme que vous avez nommé » Général pour conduire une armée » auroit befoin d'un autre Général pour » le conduire lui-même, & lui tenir lieu » de maître. J'en connois qui ayant été >> faits Confuls, ont commencé à lire nos >> hiftoires, & à étudier dans les livres » des Grecs la fcience militaire. C'est

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manifeftement renverfer l'ordre des cho» ses. Car bien qu'on ne commande qu'après avoir reçu l'autorité; avant que » d'avoir l'autorité, il faut avoir appris à » commander. Souffrez maintenant, Ro» mains, qu'à ces Nobles fi fiers je com» pare votre Conful, qu'ils prétendent > rabaiffer par le titre d'homme nouveau. » Ce qu'ils apprennent par la lecture & » par les préceptes, je l'ai appris par » l'exercice & par l'expérience même. » L'instruction que leur donnent les livres, » de nombreuses années de fervices me » l'ont donnée. Jugez maintenant de quoi » il faut faire plus de cas, des actions ou » des paroles. Ils méprisent mon peu de » naissance, & moi leur peu de valeur. >> On me reproche ma fortune, & on leur » reproche à eux l'indignité de leur con» duite. Mais après tout, je fçais que » hommes font tous de même nature, & » que par conféquent les plus braves font » les plus nobles. Et véritablement fi l'on » pouvoit demander à préfent aux peres

les

» d'Albinus ou de Calpurnius, qui ils ai» meroient mieux avoir eu pour fils, ou » de ceux qui fe trouvent descendus d'eux » véritablement, ou de moi; eft-il dou» teux qu'ils ne répondiffent, qu'ils ont » toujours fouhaité des enfans vertueux & >> estimables par leur mérite? S'ils croient » avoir droit de me mépriser, il faut donc » qu'ils méprifent auffi leurs ancêtres » qui, auffi-bien que moi, ont commence » leur nobleffe par la vertu. Ils envient » ma dignité; qu'ils envient auffi mes tra»vaux, mes périls, l'innocence de ma » vie, qui m'ont fervi de degrés pour y » arriver. Mais ces hommes, gâtés par un orgueil pervers, fe conduifent comme » s'ils méprifoient vos dignités, & les » demandent avec hardieffe & confiance, » comme s'ils les avoient méritées par une >> conduite fage & vertueufe. Ils font cer » tainement dans une erreur bien groffiere » de vouloir unir en eux des chofes fi » incompatibles, & de prétendre aux ré> compenfes de la vertu, en jouiffant du

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