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» plaifir de l'oifiveté. Quand ils parlent » devant vous, ou dans le Sénat ils » ont un extrême foin de célébrer leurs >> ancêtres, & croient, en rapportant leurs >> glorieux exploits, fe faire à eux-mêmes » beaucoup d'honneur. C'est tout le con» traire; car plus la vie de ces grands » hommes eft remplie de belles actions » plus celle de leurs descendants, si elle >> en eft vuide, attire fur eux le mépris. » La gloire des ancêtres, il faut l'avouer, » eft une lumiere pour leur poftérité ; » mais une lumiere qui en éclaire égale>>ment les vices & les vertus. Pour moi je ne puis pas vanter mes ancêtres, mais je puis rapporter mes propres exploits; » ce qui est sans doute beaucoup plus glorieux. Voyez, je vous prie, combien » ils font injuftes. Ils prétendent tirer du » luftre d'un mérite étranger; & ils ne veulent pas que j'en tire de celui qui » m'eft propre, parce que je n'ai point » chez moi ces anciennes images dont ils » parent leurs maifons, & parce que mon

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» illuftration eft récente mais ne vaut-il >> pas mieux être foi-même l'auteur de » sa noblesse, que de déshonorer celle » qu'on a reçue de fes peres? Je sçais que » s'ils entreprenoient de me répondre, ils » ne manqueroient point de belles pa» roles, & feroient des difcours fort élo» quens. C'est une gloire que je ne pré

tends point leur difputer. Mais comme » pendant que vous prenez plaifir à m'ho»norer, ils ne ceffent en toute occafion » de nous déchirer vous & moi par des >> difcours calomnieux, j'ai cru ne devoir » pas me taire, de peur qu'on prît mon >> filence pour un aveu. Car dans le fond,

je n'ai rien à craindre, & nul difcours » ne peut me nuire ; s'il est véritable, il » ne peut être qu'à ma louange; & s'il eft » faux, mes actions le démentent affez » & le détruisent. Mais parce que c'est à » vous, Romains, que l'on s'en prend, & >> que l'on ofe vous blâmer de m'avoir con » fié d'abord la fouveraine dignité de la Ré» publique, puis le commandement d'une

» guerre très - importante; examinez fé>> rieusement, je vous en conjure, fi vous » avez lieu de vous en repentir. Je ne >> faurois, pour garants de ce que vous > devez attendre de moi, vous donner » les images, les confulats, les triom»phes de mes ancêtres : mais, s'il en est » besoin, je puis vous produire des ré> compenses militaires de toute espece, » piques, enseignes, couronnes; je puis » vous montrer les cicatrices des bleffures » honorables, que j'ai toutes reçues par» devant. Ce font là mes images, ce sont » les titres de ma nobleffe, qui ne m'a » point été laiffée par fucceffion, comme » à mes adverfaires, mais que j'ai acquife » par mes travaux & mes dangers. Vous » ne voyez rien d'arrangé dans mes pa» roles : c'est un talent dont je ne me pique » point, & dont je ne fais pas grand cas. » La vertu fe fait affez connoître par elle» même; d'autres peuvent avoir besoin de beaux difcours pour couvrir la honte de » leurs actions. Jene me fuis point appliqué

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> à étudier les lettres grecques, voyant que
>> ceux qui les enseignoient n'en font pas
» devenus plus gens de bien. Mais ce que
» j'ai appris, & ce qui vaut mieux pour
» le service de la République, c'est à ma-
» nier l'épée, à garder exactement mon
» poste, à bien attaquer ou défendre une
» ville, à ne rien craindre que la mau-
» vaise réputation, à fouffrir également
» le froid & le chaud, à n'avoir point
» d'autre lit que la terre, à fupporter en
» même tems & la faim & le travail. Voilà
» à quoi j'exhorterai mes foldats. Je ne
» les ferai point vivre à l'étroit, pen-
» dant
que ferai dans l'abondance; je
» ne m'attirerai point toute la gloire, en
» ne leur laiffant que le travail; ce n'est
» point ainsi que l'on en doit ufer par
>> rapport à des citoyens. Vivre foi-même
» dans la molleffe, & exiger du foldat
» de rudes travaux, c'eft agir en maître,
» non en Général. C'est par une conduite
» toute différente que nos ancêtres fe font
acquis tant de réputation, & ont fait

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» tant d'honneur à la République. Main» tenant la Nobleffe, après avoir entié» rement dégénéré de fa gloire, nous » méprife, nous qui tâchons de marcher » sur ses traces, & exige de vous toutes » les dignités, comme de droit, fans avoir » fongé à les mériter. Je le répete: ces » hommes fi fiers de leur naissance se font >> illusion à eux-mêmes. Leurs ancêtres » leur ont laiffé tout ce qui étoit de na» ture à pouvoir être tranfmis, leurs ri» chesses, leurs images, la gloire de leur » nom & de leurs belles actions; mais > ils ne leur ont pas laiffé leur vertu, & » ils ne pouvoient pas le faire; la vertu » étant le feul de tous les biens qu'on ne » peut ni transmettre, ni recevoir par » fucceffion. Ils difent que je vis groffie» rement, & fans ce qu'ils appellent po» liteffe & belles manieres, parce que je » n'entends pas fort à ordonner un festin; » que je ne fais aucun usage, dans les >> repas que je donne, de comédiens ni » de bouffons; & que je n'achete pas plus

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