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L'AIGLON,

LA PIE ET LE CIGNE.

FABLE.

A SON ALTESSE SERENISSIM E

MONSEIGNEUR LE PRINCE DE CONTY.

JADIS

ADIS l'Efclave Phrigien,

Dans l'humble état où le fort le fit naître,

Inventa l'Apologue, & par un tel moïen

Ofa donner des leçons à fon Maître.

A fes defirs le fuccès répondit.

Ce n'étoient pas Contes ineptes :

Les Brutes aux Humains y donnoient des préceptes :
Avec plaifir fon maitre l'entendit.

Pareils fermons fans envelope

Auroient déplu dans la bouche d'Esope.
Il préchoit fans autorité:

A

Mais l'ingénieux badinage

Fit aimer la moralité;

Et Xantus afranchit enfin ce nouveau Sage.
Efope fit un noble ufage

Du préfent de Xantus.

Il corrigea les mœurs, & parcourant la Grece,
Fit de fon art divin admirer la fageffe
Jufques dans la Cour de Crefus.

Ce Prince, qui regnoit fur un puissant Empire,
Etoit environné de Courtifans flateurs.

Aucun d'eux n'eût ofé blâmer ou contredire
Ses foibleffes & fes erreurs.

L'auftere verité redoutoit fa prefence.

Pour être trop fincere, un jour

Solon fut banni de fa Cour.

Tout fage qu'il étoit il manqua de prudence.
La verité trop nuë offense.

Efope s'y prit mieux, & graces à son art
On l'écouta. Compere le Renard,

Maitre Corbeau, la Fourmi, la Cigale
Amuferent le Prince : il goûta la morale.
Il voulut même que fon nom

De cet Ouvrage utile augmentát le renom.
Le Phrigien lui dédia fes Fables.

Phedre depuis & fes femblables,

Jous un voile naif cachant les veritez,

Ont vû des plus grands Rois leurs livres feuilletez.
PRINCE, cher nourriffon des Filles de Mémoire,
Qui toutes à l'envi vous offrent leurs lauriers

En attendant que le Dieu des Guerriers
Dans les nobles hazards vous guidant à la gloire,
Des Héros vos ayeux vous montre les fentiers,
Recevez ce tribut que vous offre ma veine.
Sur le Pinde François j'ofe après la Fontaine,
Faire parler les Animaux.

Dans cette carriere épineuse

Je croirai mon audace heureuse,

Si vous daignez oüir leurs entretiens nouveaux.

POUR

Pour la premiere fois un Aiglon prit l'essor.

Il rencontra Margot la pie.

Aprenez-moi, dit-il, ma mie,

La carte du Païs. Je ne connois encor

Que le rocher qui vit élever mon enfance:

Il m'eft, je croi, de conféquence

De bien fçavoir qui font les habitans de l'air.
Vous en verrez, Seigneur, de diférent plumage,
Lui répondit Margot; mais tous doivent hommage

A l'Aigle du grand Jupiter.

Vous en fortez: ainfi fans vous contraindre Vous pouvez leur donner à tous des coups de bec

Et même les croquer fans qu'ils puiffent s'en plaindre Ils vous doivent trop de refpect:

Car ils font nez pour votre usage.

Ah, que ne fuis-je auffi Princeffe des Oiseaux !

J'en croquerois & des plus beaux.

Elle en auroit dit davantage;

Quand un Cygne furvint, oifeau de haut parage,
Qui fortoit du facré valon.

Il connoiffoit Margot, & dit à notre Aiglon:
Défiez-vous, Seigneur, de cette babillarde.
Vous ignorez encor ce qu'on hazarde

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A l'écouter: mais fon caquet flateur

Eft un poifon fubtil & féducteur.

Iffu du plus beau fang de la gent emplumée,

Imitez-en la générosité.

Votre pere en ces lieux fit chérir fa bonté.

Demandez à la Renommée

Qui publia fouvent fes vertus, fes bienfaits.
Il écoutqit nos airs, même les chanfonnettes

Des Roffignols & des Fauvettes,

Et plein d'égards pour les moindres Sujets,

Tout fentit fes faveurs jufques aux Roitelets.
Helas! il ne vit plus ; & les Parques cruelles
Nous l'ont ravi trop tôt : ô regrets fuperflus !
Mais on voit dans fon Fils briller les étincelles
De toutes fes vertus.

Suivez l'heureux panchant qui vous mene à la gloire.
L'espoir feul nous confole; & nous nous flaton stous
De retrouver en vous

Cet Aigle génereux, cher à notre mémoire.

L'Aiglon, touché de ce discours,

Profita d'un confeil prudent & falutaire.

Il bannit Margot pour toujours,

Et fuivit conftamment les traces de fon

pere.

PRINCE, Vous êtes cet Aiglon.

Vous aimez les avis que donne la raison,
Et méprifant la flaterie,

Vous écoutez le Cigne, & banniffez la Pie.

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