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N Ancien a fort bien remarqué que les Poëtes veulent être utiles & agreables. C'eft le but général qu'on doit fe propofer dans les beaux Arts: cependant le fruit qu'on retire de la lecture des Poëtes eft different, felon les diverfes efpeces de Poëfies. Plufieurs Poëmes, comme l'Eglogue, l'Elegie, la Cantate, & la plupart des Poëfies lyriques n'ont d'autre utilité que de procurer un honnête amusement. L'efprit de l'homme ne peut pas être toujours appliqué à des matieres graves & épineuses, il a befoin de fe délaffer quelquefois. Les images riantes fenfibles & naturelles de ces Poëmes font propres à produire cet effet: mais il faut convenir que ceux qui tendent à corriger les mœurs font d'une nature plus excellente que les autres, dont la feule utilité confifte dans l'amufement qu'ils procurent; & c'eft de ces Poëmes agreables & inftructifs tout à la fois dont Horace veut fans doute parler.

La Fable eft de ce dernier genre; elle veut plaire & inftruire; & peut-être va t-elle mieux à fon but qu'aucune autre espece de Poëme; plus difcrete & plus modérée que la Satyre, elle épargne à ceux qu'elle cenfure le chagrin de s'entendre nommer, & ne donne point au Lecteur la joïe maligne que ces traits médifans lui caufent pour l'ordinaire : moins licentieuse que beaucoup d'autres Poëmes ›

elle n'admet aucun épifode qui puiffe donner ateinte à la fin principale qu'elle fe propose. Non-feulement la Fable eft plus propre à inftruire que tout autre Poëme, on peut ajoûter encore qu'elle eft mieux proportionnée à la nature de l'efprit humain que la Philofophie. Si l'homme par fon origine celefte, eft capable de contempler la verité, l'empire les fens exercent fur lui, ne lui permet pas que d'en foûtenir la lumiere ; & la corruption de fon cœur fait fouvent qu'il ne l'aime point: d'où vient que, pour s'accommoder à fa foibleffe, les Orateurs & les Poëtes ont eu recours aux figures & aux allegories, imitant en cela les Medecins, qui, pour faire prendre aux enfans une potion amere, frotent les bords du vafe de quelque liqueur agréable. Par ce moïen la verité, devenue fenfible, a été mieux entendue & mieux goûtée de la multitude que les préceptes fublimes & abftraits des Philofophes; & les voiles dont on l'a envelopée ont empêché les hommes les plus vains de s'en offenfer. Ainfi plus l'image eft fimple & familiere, plus elle eft propre à réformer les mœurs. C'eft en ce point principalement que les Fabuliftes l'emportent fur tous les donneurs de préceptes. Propofez pour modele les actions des grands Hommes, excitez le monde à les imiter la plûpart s'en défendront, & ne rougiront point d'avouer leur impuiffance & leur foibleffe: mais ils ne trouveront point d'excufe pour ne pas faire ce qu'ils voïent pratiquer par les Abeilles & les Fourmis ils auroient honte d'être affujettis aux paffions des animaux qu'ils méprisent le plus. C'eft pour cela que Platon confeille d'apprendre les Fables aux enfans. On doit, dit-il, former leur efprit Lucr. Lib. 1. & 4.

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avec plus de foin que leur corps: car il eft de la prudence de ceux qui font chargez de leur éducation de leur donner d'abord de bonnes impreffions, pour prévenir les mauvaises habitudes qu'ils pourroient contracter, & qui fe corrigent difficilement. La Fable est à leur portée. L'image fenfible & fa- ́ miliere attire leur attention: mais ce qui d'abord paroît un badinage fe change enfuite en précepte. C'étoit là le but d'Efope & des anciens Fabulistes ils vouloient inftruire les enfans, & n'être pas inutiles aux perfonnes d'un âge plus avancé. Ce deffein leur a réüffi, & tout le monde fçait les éloges qu'ils en ont reçûs. Il eft vrai qu'en ce fiecle peu de gens confiderent la Poëfie en general comme inftructive. On va à la Comedie pour rire, & pour examiner fi l'on n'y reconnoîtra pas le portrait de fon voifin on cherche dans la Satyre le plaifir d'y voir tourner les autres en ridicule : les Fables ont le même fort: on ne les lit que pour s'amufer. Ceux qui ont le moins d'efprit s'arrêtent à l'image materielle, & au fens propre de la narration : les autres s'attachant à l'allegorie en font de malignes applications: peu de gens s'y reconnoiffent, & profitent de l'inftruction. Ce qui contribue à empêcher l'effet de la moralité, c'eft que le Lecteur fe perfuade aifément que la vanité plûtôt que le deffein d'inftruire fait naître ces fortes d'Ouvrages: conjecture qui n'eft fouvent que trop bien fondée, mais qui ne regarde pas moins ceux qui écrivent en profe que les Poëtes. Quoiqu'il en foit, afin que la Fable puiffe être utile, elle doit être agréable. C'eft un moïen fans quoi elle ne peut aller à fa fin: tout Poëme, où l'on fe propofe d'inftruire, doit pourtant commencer par plaire. Il n'en eft pas de la

Poëfie comme des autres Sciences. On lira un Hiftorien, un Philofophe, quoique leurs livres foient d'un mauvais ftyle, pourvû que l'Hiftorien foit fidele, & que le fyftême du Philofophe explique bien la Nature & fes phénomènes : mais un Poëme mal écrit reftera dans l'oubli. En vain il donnera les plus fages inftructions: elles ne compenferont jamais le défagrément que cause à l'oreille le défaut d'harmonie. On peut dire, que de méchans vers ne font ni vers, ni profe. C'eft une production monftrueufe; & l'on fçait toujours fort mauvais gré à l'Auteur de nous en avoir impofé dans le titre de fon Livre.

Il eft fur-tout très difficile de réüffir dans cette forte de Poëfie dont il s'agit ici. C'eft s'engager dans une carriere dangereufe que d'écrire en un genre qui a été porté à fon plus haut point de perfection. Le Chef-d'œuvre que le Public a dans les mains eft une piece de comparaison redoutable à ceux qui courant la même carriere laiffent échaper les moindres négligences. On ne doutera nullement que je parle des Fables du celebre La Fontaine : c'est un modele fi parfait, qu'il n'a pû être encore imité : c'eft l'écueil où tous nos Fabuliftes ont fait naufrage.

La Fable eft un petit Poëme qui contient un précepte caché fous une image allegorique: ainfi plus l'allegorie eft jufte & naturelle, plus la Fable eft parfaite. L'allegorie eft naturelle, quand l'image eft vrai-femblable, & que rien n'y eft contraire à l'inftinct des animaux, qui font les perfonnages ordinaires de la Fable. L'allegorie eft jufte, lorfque l'image eft une, & qu'elle reprefente précisément & fans équivoque l'action & les caracteres que l'on

veut peindre; en forte que la moralité foit une confequence évidente de cette action.

Les Anciens n'y ont pas regardé de fi près., Commençons par la vraisemblance. Dans Efope un bâton flottant fur l'onde paroît être de loin un puiffant navire. Rien n'est moins naturel que cette fuppofition; puifqu'au contraire le plus grand navire regardé de loin semble être un bâton flottant. Dans Phédre, la Chévre, la Géniffe & la Brebis veulent partager un Cerf avec le Lion, comme fi le Cerf pouvoit être la pâture de tous ces animaux. Paffons à ce qui regarde la jufteffe de l'allegorie. Les Anciens ne font pas plus exacts en ce point. La fable du Satyre & du Paffant en fournit une preuve. Sa morale n'eft qu'une allusion, & n'eft fondée que fur un jeu de mots équivoque. Un Satyre invite un Paffant à manger. On lui prefente un potage trop chaud. Il fouffle deffus pour le refroidir: il fouffle auffi fur fes doigts pour les réchauffer: il n'avoit pas tort: cependant le Satyre chaffe ce pauvre homme de fon antre, en lui difant: Arriere ceux dont la bouche fouffle le chaud & le froid.

Il faut fe prêter aux fictions des Fabuliftes, & leur paffer quelque chofe, tant à l'égard de la vraisemblance que de la jufteffe. Ils fuppofent qu'un Loup peut fufpendre fon apétit en voïant un Agneau, & ne le devorer qu'après lui avoir fait querelle, qu'un Lion peut devenir amoureux d'une Fille, & un Homme de fa Chatte. Le Renard fert à manger à la Cigogne fur une affiette,& celle-ci prefente au Renard de la viande dans une bouteille. Tout cela femble peu naturel, ainfi que les focietez d'animaux qui font ennemis, & dont l'un eft la proie de l'autre. Cependant, lorsqu'on y fait réflexion,

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