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XXXVI. Ainsi ce T. Ligarius, qui pour lors n'a travaillé (car il ne devinoit pas les fuites) qu'à vous faire juger qu'il avoit de la vigilance & de la probité, vous demande aujourd'hui, comme fuppliant, la vie de fon frere; inftruit par le devoir qu'il remplit auprès de vous, quand vous leur rendrez à tous deux, vous ne les rendrez pas feulement tous trois à eux-mêmes, mais à tout ce que vous voyez ici de gens illuftres, mais à nous, leurs vrais amis, enfin à la Republique.

XXXVII. Faites donc aujourd'hui dans le barreau pour ces trois freres fi vertueux, & fi chers à tout ce qu'il y a d'honnêtes gens ici, ce que vous avez fait ces jours paffez dans le Senat pour Marcellus. Vous l'accordâtes aux prieres des Senateurs, accordez Ligarius aux prieres du Peuple, dont les fentimens vous ont toujours été prétieux : & fi ce jour fut fi glorieux pour vous, & fi favorable pour le peuple Romain, n'hefitez pas, je vous prie, CE'SAR, à chercher le plus fouvent que vous pourrez les occafions d'acquerir une pareille gloire: rien n'est si populaire que la bonté : & de toutes vos vertus, quelque nombreufes qu'elles foient, 4 il n'y en a point de plus admirable ni de plus aimable que la compaffion.

XXXVIII. Les hommes ne fçauroient, en rien, aprocher plus près des Dieux, qu'en

donnant la vie à d'autres hommes. Ce que la fortune a fait de plus grand pour vous, c'est de vous donner le pouvoir d'en sauver un très-grand nombre ; & ce que la nature a fait de meilleur, c'eft de vous en donner la volonté. Peut-être l'importance de la caufe exigeroit une plus longue harangue, mais le caractere de votre cœur une plus pour courte auroit fuffi. Comme donc je fuis perfuadé que tout ce que d'autres ou moi nous pourrions vous dire, feroit moins utile que ce que vous vous direz à vous-même. Je finis, & je vous avertis feulement que fi vous donnez la vie à ce malheureux exilé, vous la donnez à tous ceux qui font ici.

POUR

DEJOTARUS

XLV. ORAISON.

SOMMAIRE.

L'an de Rome 708. L'An de Ciceron 62.

Dejotarus étoit un Tétrarque, & par la prudente conduite qu'il fçut tenir avec les Romains, il obtint le titre de Roi pour lui & pour fon fils. S'étant trouvé dans le parti de Pompée, il s'abandonna, après la bataille de Phar. fale, à la clemenee de Céfar, qui lui pardonna; mais qui, pour le punir, lui retrancha une partie de fon Royau. me. Céfar étant revenu contre Pharnace Roi du Pont, Dejotarus lui don. na l'hospitalité magnifiquement, & foûtint fon parti dans le combat. Cé. far de retour à Rome, cherchoit les moyens de faire rentrer Dejotarus dans cette partie de fon Royaume, qu'on lui laißoit, lorsque le gendre de ce

Roi envoya des gens pour l'accufer d'avoir voulu empoisonner Céfar dans Le tems qu'il l'avoit dans fa maifon, Dejotarus de fon côté envoya du monde pour le défendre; entr'autres Son Medecin, que le fils de ce gendre corrompit: ainfi fon petit-fils & fon domestique furent contre lui. Le fu jet de la caufe étoit excellent à traiter pour l'interêt de Dejotarus, parce que Cefar n'étoit pas prévenu d'ai greur. Ce difcours fut prononcé dans la maifon même de Céfar,

L

Q

Uoique dans toutes les caufes importantes que je foûtiens, ô CE SAR, j'aye coûtume de me troubler plus for tement qu'il ne femble convenir à mon experience & à mon âge; j'avoue que dans cel le-ci tant de chofes me font trembler, que tout ce que ma confiance me donne d'ardeur pour défendre les interêrs de Dejotarus, eft rallenti par la crainte qui tient mes talens enchaînez, J'ai d'abord à parler pour la vie & pour les biens d'un Roi: & quoiqu'il n'y ait rien d'injufte à le faire, que parce que vous avez, dit-on, couru rifque de votre perfonne; il eft neanmoins fi hors d'usage qu'un Roi foit acculé de crimes qui

mettent fa vie en danger, qu'avant ce temsci l'on n'a rien entendu dire de femblable. II. De plus, je fuis contraint aujourd'hui de défendre contre une atroce accusation un Prince dont j'avois coûtume auparavant de faire l'éloge avec tout le Senat, pour les fervices qu'il a continuellement rendus à la Republique. Ajoûtez que je fuis encore effrayé par le caractere des accufateurs, par la cruauté de l'un, & par l'indignité de l'autre, (1) Caftor n'eft-il pas bien cruel, pour ne pas dire impie & fcelerat, d'expofer fon ayeul au danger de perdre la vie? de faire craindre fa jeuneffe à celui dont il étoit obligé de défendre & de foûtenir la vieilleffe? (2) d'établir la reputation de fes premieres années fur l'impieté & fur le crime? de corrompre par presens l'efclave de fon ayeul? de l'engager à s'en rendre accufateur,& de l'aller prendre (3) jusqu'aux pieds des députez que ce Roi vous envoyoit.

III. Quand je voyois devant moi ce miferable deferteur accuser, en son absence, son maître, & le meilleur ami de notre Republi

(1) Caftor. C'étoit le petit-fils de Dejotarus, qui avoit marié fa fille au pere deCaftor,de l'autre c'étoit fon Medecin domeftique. (2) D'établir &c. Les jeunes gens croyoient le

rendre recommandables par les accufations qu'ils intentoient.

(3) Aux pieds, c. Ce Medecin était des députez que Dejotarus a voit envoyez pour le dé fendre,

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