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gination ne faifit pas, ou du moins aufquels l'efprit ne prête pas volontiers cette réalité néceffaire pour l'action; mais quand même l'Artiste réuffiroit à imprimer quelque forte de mouvement à ces efpeces d'Acreurs, la perfuafion où nous fommes que ce font des perfonnages fictifs, diminueroit toujours notre intérêt. Un Acteur tout puiffant qu'il foit pour faire naître en nous les fentimens qu'il reffent, ne parvient qu'à la moitié du but, fi ceux qui font autour de lui ne contribuent par leur jeu muet à terminer le tableau des paffions qu'il exprime. Or, pour le terminer ce tableau, & porter au cœur les plus vives impreffions, il faut que les personnages mis en fcêne foient fufceptibles d'un vif intérêt: c'est ce qu'on ne peut trouver en core une fois dans des perfonnages métaphyfiques, & qui n'ont d'autre existence que celle que notre imagination veut bien leur prêter.

Raphael fentoit bien ce défaut d'action dans les figures allégoriques. Auffi cet

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Artiste fi fage ne les a employé le plus fou vent que dans des hors-d'œuvre, comme dans les ornemens qui fervent de bordure ou de foutien à fes Tableaux, dans les bas-reliefs des ftatues qu'il faifoit entrer dans fes fujets de compofition. C'eft l'exemple qu'on fuivi le Pouffin, le Sueur & les plus grands Maîtres. D'où vient donc que les jeunes Artistes substituent fi volontiers ces fortes d'ornemens aux perfonnages hiftoriques? C'eft qu'il eft plus aifé de trouver les fymboles qui conviennent à une figure emblématique, que de bien caractériser une paffion.

Avouons-le cependant; fi c'eft ftérilité de génie que d'avoir recours aux figures allégoriques, lorfqu'elles ne font point néceffaires, c'eft connoiffance de fon Art que de fçavoir les employer à propos. Il eft même bien des penfées qu'il feroit impoffible à l'Artiste de faire entendre avec le fecours feul de l'Hiftoire. Raphael avoit à exprimer dans un Tableau, qu'on avoit fenti dans un tel tems un tremblement de

terre. Qu'a-t'il fait? il a peint une figure gigantefque, qui par fon gefte paroît foulever la terre avec un regard & une attitude terrible.

Un fecond avantage de l'Allégorie, c'eft de rendre en un feul Tableau plufieurs actions dont chacune demanderoit une toile féparée. Un Artifte, par exemple, qui auroit à exprimer la prise de plusieurs Villes, ne pourroit le faire hiftoriquement dans un feul Tableau, & encore moins dans une feule Médaille; il faudroit pour cela qu'il entrât dans un détail que le lieu de la fcêne ne lui permettroit pas; mais s'il appelle l'Allégorie à fon fecours, rien ne lui fera plus facile. Il représentera la Victoire avec fes attributs ordinaires, tenant les écuffons des Armes des Villes prifes, ou bien il représentera cette figure allégorique écrivant fur un bouclier les noms de ces Villes ou Fortereffes.

Les figures allégoriques fervent auffi à nous faire connoître les Vertus des Perfonnages historiques; c'eft ainfi que Mars

& Minerve font placés à côté d'un Roi, pour marquer fa valeur & fa fageffe; Thémis, à côté d'un Magiftrat, pour défigner fon équité; Harpocrate, Dieu du Silence, à côté d'un Miniftre, pour faire connoître fa difcrétion, &c.

Les figures allégoriques font encore d'un grand fecours dans la Poéfie & dans la Peinture, pour nous tranfmettre quelque chofe de fimple d'une maniere agréable, & qui plaise à l'imagination. Homere, au lieu de nous dire naturellement que les hommes prennent la fuite quand ils font épouvantés, introduit la fuite & la crainte comme compagnes inféparables; il nous préfente la difcorde mere des funérailles & de la trifteffe; la Beauté, habillée par les graces; la Guerre au front d'airain, portant la terreur & la confterna tion ainfi qu'un habillement. Virgile & tous les Poétes après lui, ont employé de pareilles images; Milton nous dit dans fon Paradis perdu, que la Victoire fe tenoit à la droite du Meffie, lorsqu'il marchoit

contre les Anges rebelles; qu'au lever du Soleil les heures ouvroient les portes de la lumiere; que la difcorde étoit fille du péché, &c.

Ce font ces images qui donnent de la chaleur, du mouvement même au ftile. Pourquoi prenons-nous tant de plaifir à la lecture des Poétes Grecs & Latins? C'eft que leur Poéfie eft une peinture continuelle; ils rappellent tout à nos fens, & c'est le plus grand art pour attacher l'attention du Lecteur, que de lui préfenter des objets qu'il peut voir en quelque façon. La Peinture qui n'eft proprement qu'une Poéfie muette, doit donc pour, nous plaire employer cette Poéfie de ftile. Ce fut fans doute avec trop de févérité qu'on accufa le Pouffin d'avoir mêlé la Fable avec la vérité, pour avoir dans fon Tableau de Moyfe fauvé introduit le Nil fous une figure humaine, au lieu de représenter un Fleuve fimplement. Cet Artiste ne nous a point représenté ce Fleuve comme un Dieu de l'Antiquité; s'il lui a

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