Imágenes de páginas
PDF
EPUB

de notre néant. L'une nous porte au refpect, l'autre à l'adoration, c'est-àdire, au fentiment d'une foumiffion profonde, & d'une dépendance parfaite, qui nous dépouillant du préjujugé de nous-mêmes, nous confond & nous anéantit devant ce fouverainEftre, en qui, & par qui feul nous fubfiftons: In illo enim vivimus, movemur & sumus (a). De tels fentimens nous détachent d'autant plus d'avec nous-mêmes, qu'on le déprend plus aifément des chofes qu'on ne tient que d'emprunt. Ces fentimens portent donc à la defapropriation & au renoncement: & la vie elle-même paroît toute dûe parce qu'elle eft moins un bien propre qu'un dépôt, moins une jouiffance qu'un ufage. Mais le jeûne renferme tous ces fentimens: c'eft un aveu de notre dépendance, un hommage à la divinité, un renoncement, un facrifice; car s'il ménage la victime, ce n'eft que pour en prolonger l'immolation. C'eft donc l'art de fouffrir fans fe quitter, de s'abandonner fans fe perdre, de se confumer fans fe détruire; c'est un retour de la créature vers le Créateur, un devoir naturel de reconnoiffance, d'a(a) S. Paul.

néantiffement & d'adoration.

Cette penfée paroît d'autant plus vraye, que le plus célebre des jeûnes, dont les Livres faints nous ont laiffél'exemple, a été entrepris par Moïse, fans aucun ordre de la part de Dieu. Ce fut auffi volontairement (a), & fans y être obligé par aucune loi, que Judith (b), Efther (c), Efdras(d), & les Maccabées (e), fe condamnerent au jeûne. It eft pourtant vrai que ce fur de la part de Dieu, que Jonas fut envoyé prêcher le jeûne aux Ninivites; mais des peuples que le débordement & la licence avoient emportez au-delà des devoirs naturels, avoient befoin d'un ordre exprès pour rentrer dans celui du jeûne, dont ils avoient befoin pour appaifer la colere de Dieu. Il eft encore parlé d'un jeûne commandé chaque année dans le Lévitique; mais à ces exemples près, il fe trouve dans l'ancien teftament peu de jeûnes commandez, Ceux mêmes qu'on vouoit (f) volontairement, étoient fi peu de précepte, qu'il dépendoit de la volonté

[ocr errors]

(a) Thomass. p. 3. (b) Judith, c. 4. (c) Efther, c. 9. & 14. (d) Efdras, l. 1. c. 8. (e) Mackab, 1. C..3. l. 2. c. 13. (f) Nomb. c. 30. v. 14,

l'ordre des

d'un mari ou d'un pere de les laiffer pratiquer, ou de les interdire à leurs femmes ou à leurs enfans. Ce n'étoit pas non plus par dieux ou des oracles, qui étoient leurs organes, que la plupart des jeûnes fe pratiquoient dans le Paganisme, puif que c'étoit après des abftinences volontaires, & non infpirées, que les payens les confultoient (a). Il n'y a donc pas de raison de se faire une idée fi étrange du jeûne, comme s'il étoit d'invention nouvelle, & peu conforme à la nature. Les principales nations l'ont fi constamment & fi univerfellement pratiqué qu'il doit moins paffer pour une pratique dangereufe, que pour un ufage commun, qui va plus à affujettir & à contenir la nature dans fes devoirs qu'à l'altérer ou à la détruire,

(a) Tertull. de anima.

[ocr errors]

M

CHAPITRE V.

Du jeûne des Chrétiens.

AIs rien ne réhauffe tant le prix du jeûne, que l'usage & le cas qu'en fit la Religion Chrétienne. Ce que l'inftinct, le caprice & la fuperftition avoient infpiré aux payens, devint l'exercice de la foi dès disciples de Jefus-Chrift. Ce ne fut plus un culte fuperftitieux & aveugle pour eux, la foi en confacra l'ufage, la piété s'en nourrit; il devint enfin la bafe & le foutien de la vertu : Jejunium non folùm perfecta virtus eft, fed caterarum virtutum fundamentum & fanctificatio (a). Ils comprirent qu'un Dieu humilié pour eux, demandoit des adorateurs qui s'anéantiflent, & que ce feroit mal recon noître le prix de la mort d'un Dieu fait homme, que de ne mourir qu'une fois pour lui; qu'il falloit donc en fon honneur fe faire un fupplice de la vie, & mourir tous les jours par reconnoiffance: & ce fut dans le jeûne qu'ils en trouverent le moyen. Ils s'étudie

(a) S. Jerôme.

rent donc à le rendre continuel: Sint tibi jejunia continua, id eft, quotidie efurire (a): & dans cette vûe il n'y eut partie dans le corps, qu'ils ne condamnaf fent à jeûner: jejunet oculus, jejunet auris, jejunet lingua, jejunet manus, jejunet ftomachus (b). L'efprit même n'en devoit pas être exemt: Anima ipfa jejunet à vitiis (c). Car convaincus qu'ils étoient, que tout devoit honorer Dieu dans un Chrétien, le jeûne leur auroit paru imparfait, s'il n'eût exercé que le corps: Cave ne jejunii utilitatem folà ciborum abftinentiâ metiaris ( d ). Il devoit auffi être intérieur, afin que le cœur ne démentît point les actions: Carnem non comedis, & comedis fratrem ; cultrum nec in gallinas, nec in vitulos expedimus; & gladium adversùs fratrem ftringimus. C'eft le reproche qu'un Pere (c)de l'Eglife adreffe à ceux qui contents des apparences du jeûne, fe permettoient de perfécuter leurs freres, & de les haïr en même tems qu'ils fe mortifioient par la pénitence. Cette févérité à l'égard du jeûne, étoit fondée encore fur cette maxime, que l'homme s'étant perdu par la fenfualité & par l'intemperance, il devoit fe racheter par l'abftinence &

(a) Apud Viring. p. 54. (b) S. Bernard. ferm. 3. de quadrag. (c) Id. ibid. (d) S. Bafil. (e) Id.

« AnteriorContinuar »