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reconnoître qu'il peut fe nourrir de très-peu de chofe. On ne peut en douter, puifqu'une petite quantité de matiére peut s'y diviser jusqu'à s'anéantir, & s'en aller prefqu'à rien, tant que les forces qui y font deftinées font dans leur entier, comme on le doit fuppofer dans l'état de fanté, qui eft celui où l'on oblige principalement au jeûne. Merveilleufeœconomie de la nature ! Preuve admirable de la fageffe du Créateur ! qui ne conferve nos corps, qu'en les récréant prefque à tous les momens de la vie, tant au moyen des loix qu'il a établies, il employe peu de matiére pour les faire vivre. La végétation des plantes confirme ce qu'on vient d'a vancer; une rofée legere, un peu de pluye rendent fécondes des campagnes entieres de gros arbres fubfiftent & croiffent dans des endroits arides & pierreux; & à voir un million de plantes qui croiffent, fleuriffent & pullulent dans des rochers & fur des murailles, peut-on imaginer que ce foit à force de fucs nourriciers, que les corps s'entretiennent & fe nourriffent ? Les hiftoires rapportent quelque chofe de femblable, touchant la nourriture de ces faints Hermites, qui paffoient les

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journées entieres, fouvent des femaines, fans d'autre nourriture, que de quelques dattes ou de femblables fruits fecs, dont ils ne faifoient prefque que goûter. Ce n'eft pas cependant qu'on voulût faire revivre ni rappeller ces affreuses auftérités, mais du moins font-elles des preuves, de ce que peut la nature en matiére de jeûne, & que nos corps feroient moins bleffés qu'on ne pense de celui du Carême. En effet, ces jeûnes étant aujourd'hui beaucoup au-deffous de ceux de nos peres, qui ne voit que nos corps étant les mêmes en force, & nos paffions auffi vives, le jeûne n'a rien des dangers dont on l'accufe, & que le joug du Carême eft moins dur qu'importun?

CHAPITRE V I..

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Ce que c'eft que jeûner.

UN Auteur (4) célébre par

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fon éru

dition mais que l'intérêt d'un malheureux schisme engageoit à fe déclarer contre les pratiques de l'Eglife. Romaine, a entrepris de prouver dans un ouvrage (b) fait exprès, que l'idée que les Catholiques fe font du jeûne, eft fauffe & mal entendue. Tout occupé du mot de jeûne, il croit qu'il fignifie uniquement l'abftinence du boire & du manger (e),& que c'eft le mal entendre, que de l'appliquer à la privation de la viande, &c. Mais par cela feul il paroîtroit que ce fçavant homme auroit eu plus de goût & d'habileté dans les belles lettres, que de lumiere dans la fcience Eccléfiaftique. Le trop de fçavoir (d) l'avoit enyvré d'une autre folie (e) que de, celle de la croix; & plus inftruit des regles de la grammaire que de celles de la véritable Eglife, il

(a) Dallaus. (b) De jejunio & quadragef. (c) Ib. c. 1. & 2. (d) Multæ te litteræ ad infaniam convertunt. Act. c. 26. v. 24. (c) Nos ftulti propter Chriftum, 1. ad Corinth. c. 4. V. 10.

,

s'eft occupé dans fon ouvrage d'un paralogifme continuel. Tout fon difcours en effet eft un étalage d'une érudition mal fondée, qui peut bien faire voir la vanité d'une fcience, qui n'eft pas réglée par la charité, mais qui ne peut ébranler le dogme d'une Eglife que l'enfer (a) même ne fçauroit affoiblir..

On fçait, & on lui accorde que jeûner & s'abstenir du boire & du manger, eft la même chose parmi les Grammairiens; mais s'en tenir ici à la rigueur du terme, c'eft s'arrêter à une lettre capable d'affoiblir ou d'éteindre la piété, parce qu'elle éloigne de l'efprit de l'Eglife qui en fait le foûtien. Si donc l'Eglife & fes Docteurs ont étendu la force de ce terme à quelqu'autre abftinence, que celle du boire & du manger, ou ce qui prouve encore davantage, fi à l'idée litterale de jeûne; ils en ont ajoûté une autre plus parfai te; celui des Catholiques ne différera de celui de M. Daillé, qu'en ce qu'il obligera à quelque chofe de plus parfait. Or, c'eft ce qu'on fera voir dans la fuite, en montrant que le jeûne Eccléfiaftique, oblige non-feulement à fe priver de boire & de manger de quoi (a) Matth. c. 16. v, 18.

que ce foit pendant un certain tems; mais à ne s'accorder après ce tems rien de ce qui a eu vie, ou qui pût eny

vrer.

Il ne paroît pas même que dans les fiécles paffés on ait interpreté fi rigoureusement le mot de jeûne, ou qu'on l'ait renfermé dans des bornes fi étroites; car peu s'en font tenus à la feule idée de la privation du boire & du manger; la plupart y ont ajoûté dautres pratiques. David (a) joignit les gémiffemens, les profternations & la retraite à celui qu'il s'impofa pour obtenir la guérifon de fon fils l'impie Achab (b) ajoûta le cilice au fien : les Ninivites (c) firent à peu près de même : Efther (d) ordonna à Mardochée de faire prier les Juifs, tandis qu'elle s'humilieroit devant Dieu par le jeûne. Le jeûne de Daniel (e) pendant trois semaines, confiftoit dans l'abstinence de la chair des animaux & du vin. Le faint homme Tobie (f) accompagnoit le fien de la priere, & fon fils (g) avec fa nouvelle époufe fe préparerent au mariage

(a) Reg. 1. 2. c. 12. v. 16. (b) Reg. 1. 3. c. 21. v. 27. (c) Jonas, c. 3. (d) Efther, c. v. (e) Daniel, c. 10. (f) Tob. c. 12. v. 8. (g) C. 8.

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