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ragoûts & de liqueurs ; & que la nourriture ne feroit que de légumes, de fruits, de pain & d'eau. Ce fut cependant moins encore dans ces obfervances qu'on mit l'effence (a) du jeûne du Carême, que dans l'obligation de ne manger qu'une fois dans vingt-quatre heures, & cet unique repas ne fe permettoit qu'aa foir. Cette obligation étoit même telle, que ce n'étoit plus jeûner que de manger avant ce tems.

Il eft vrai qu'on étoit encore partagé (b) en Italie du tems de Bede, vers le milieu du huitiéme fiecle, fur le nombre de quarante jours de jeûne; car quoique l'on convinft de quarante-deux jours d'abftinence dans plufieurs Eglifes, on n'y jeûnoit que trente-fix jours. Mais on y ajoûta quatre jours de furcroît dans le neuviéme fiecle, & le nombre de quarante jours fe trouve fixé, & univerfellement établi dans l'onziéme (c). Les regles mêmes touchant l'abstinence, ne fe trouvent bien fixées que vers le feptiéme fiecle (d); car ce fut vers ce tems que les Conciles s'en expliquerent, & qu'il fut arrêté qu'on fe priveroit de viande pendant le tems

(a) Differt. fur Phemin. p. 84. (b) Baillet, p. 83. (c) Id. p. 86. (d) Id. p. 119. Thomaff. c. 6. Tome II.

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du Carême, & par cette abftinence on entendoit principalement celle des animaux à quatre pieds, & des oifeaux (a), quoique les plus exacts l'entendiffent auffi de la chair des poiffons, dont ils défendoient l'ufage (b).

Ce qui paroît certain, c'eft que dans le huitiéme fiecle la permiffion (c) de manger du poiffon, n'étoit que pour les malades. Cette pratique fur-tout fut celle des Grecs (d) & des Orientaux (e), car ils fe refufoient le poiffon quand ils jeûnoient, & le permettoient uniquement à leurs malades (ƒ). Il fe trouvoit auffi des veftiges de cette févérité dans l'Eglife latine; car faint Martin (g) n'en ufoit que dans les grandes fêtes, telle que celle de Pâques ; & faint Jerôme en accordoit aux religieufes (b) dans leurs jeûnes ordinaires & non dans ceux du Carême, encore ces poiffons ne devoient-ils être, ni délicats, ni apprêtez; ils devoient être de la nature de ceux qu'on nomme imparfaits, comme les huitres, les féches, les écreviffes, que les Grecs permettoient

(a) Ibid. p. 116. (b) Thomaff. c. x. (c) Baillet, 123. (d) Thoma. p. 281. (e) Cardinal. Brancat. Differt. de chocolat. p. 176.(ƒ)Thomass. p. 282. (8) Sulpic. Sever, dialog, (h) Ad Lætam, de inftit. fil.

aux infirmes & aux vieillards, peutêtre quand ils étoient en dignité & perfonnes publiques, comme on le vit dans la perfonne de l'Empereur Andronic qui dans un âge fort avancé, n'usoit que de cette forte de poiffon (a).

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C'étoit donc une forte d'indulgence alors, que d'ufer de poiffon (b), par où l'on doit juger de la méprife de ceux qui auroient voulu fe donner la liberté de manger de la volaille (e), perfuadez que les oifeaux ayant été produits de l'eau, comme les poiffons, ils devoient être de même nature. Mais c'étoit raffiner en matiere de fenfualité que de renoncer ainfi à la groffe viande, pour se ménager l'ufage d'une plus délicate; car qui ne voit combien la volupté gagnoit à cet échange? Non mihi videntur illi refecare delectationes corporis, fed mutare (d). Auffi faint Jerôme a-t-il fait voir le ridicule de cette mauvaife pratique. Procul fint à conviviis aves. nec ideo te carnibus vefci non putes, fi... quadrupedum efculentias repro

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: non enim hæc pedum numero, fed [navitate guftus judicantur (e) Ainfi,

(a) Thomaff. p. 282. (b) Id. c, x• (c) Ibid. d) Julien Pomere, dans Thoma. p. 63. (e) Epift. ad Salv. deviduit.

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quoique cette permiffion de manger de la volaille paroiffe fondée fur la regle(a) de faint Benoît, & fur une pratique de faint Céfaire (b), qui accordoit la volaille aux Religieufes infirmes: Pulli, dit-il, pro infirmis prabeantur, lufage de l'Eglife a été contraire: & ce fentiment s'eft trouvé négligé. La raifon de cette indulgence venoit de la facilité qu'il falloit procurer aux monafteres d'alors par rapport aux malades; car éloignez comme ils étoient des villes, c'étoit plûtôt fait pour eux, & d'une moindre dépenfe, de tuer des volailles que des moutons & des veaux. Il falloit d'ailleurs fi peu de viande dans ces monafteres, où elle s'accordoit rarement, & peu de perfonnes, qu'il auroit été fuperflu de tuer un bœuf, & qu'il fuffisoit de tuer une volaille. L'amour du filence & de la retraite, ou la crainte de frequenter les Villes les aura engagez infenfiblement dans cette opinion, & leur fimplicité a pû l'excufer, mais la raifon ne la favorite pas, comme on s'en perfuadera par la réflexion fuivante.

Quand il feroit autant certain qu'il eft douteux, que les oiseaux foient fortis des eaux, & qu'ils en ayent été pro(a) C. 45. 48.(b) Recapitul. e. 17,

duits, on ne pourroit pas en conclure qu'ils duffent être de la nature des poiffons. Ceferoit indignement confondre' nos manieres d'imaginer, avec celle dont le créateur agit. Nos fens mal' inftruits du fond des chofes, nous les représentent ressemblantes aux matieres d'où elles font forties: mais c'est s'oublier ou fe livrer à une méprise, dont la phyfique peut nous faire revenir. En effet, c'eft l'arrangement & le mouvement de la matiere, établis & réglez par le Créateur, qui ont fait la nature & la difference des chofes; & de là viennent leurs manieres d'êtres, & leurs qualitez. Or, la même idée qui nous perfuade que le fouverain être, a pû former de rien des milliers de corps & de fubftances admirables, nous convainc que tout eft indifférent dans fes mains pour les vûes qu'il se propofe, puifque fa volonté feule les exécute en fouveraine. Après cela, n'auroit-il pû former que des fubftances de même nature que les poiffons parce qu'il les auroit tirées de l'eau, lui qui venoit d'animer un peu de limon & en faire la plus parfaite des créatures? Lui auroit-il été moins poffible de tirer des eaux des êtres autant differens

D. iij.

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