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Lettres de quelques Nous étions en tout vingt-quatre perfonnes enfermées dans la Fortereffe. Je dois rendre ce témoignage à la fermeté de ces fervens Chrétiens, que non-feulement ils n'ont point chancellé dans leur foy, mais qu'ils ont fait paroître une force digne des Fideles de la primitive Eglife.

Agréez, Monfieur, que je vous faffe connoître quelques-uns de ces généreux Néophytes. Je fuis perfuadé que vous ferez édifié de leur conftance, & que vous bénirez le Seigneur du courage qu'il leur a infpiré. Il y avoit

trois Brames & une B amenati. Le plus âgé de ces Brames avoit été autrefois un des plus ardens défenfeurs de l'Idolâtrie. Són zele l'avoit porté à s'engager par veu de faire bâtir un Temple aux faux Dieux qu'il adoroit: mais comme il n'avoit pas l'ar

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gent néceffaire pour accomplir sa promesse, il prit la réfolution de parcourir le païs en habit de ·Pandaron * & de s'attirer par l'austérité de fa vie des aumônes abondantes. Pour cela il fe fit mettre au col deux grandes plaques de fer percées aux deux côtez de l'ouverture, & attachées par des clouds qu'il avoit fait river, pour s'ôter à lui-même le pouvoir de les arracher : ces plaques avoient deux coudées de longueur, & une coudée de largeur. Il ne pouvoit reposer la nuit à moins qu'on ne lui mît un gros couffin pour lui foutenir la tête. Il courut ainfi plufieurs Provinces, accompagné de trois ou quatre Brames & de cinq ou fix Choutres qui recevoient les aumônes. Il avoit déja amaffé fept cens écus, lorf

* Pénitent des Indes.

qu'il arriva à Cottati, où il trouva le P. Maynard & le P. Martin. Cottati eft une Ville célébre par le féjour qu'y fit autrefois S. François Xavier, & par les merveilles qu'il y opere encore aujourd'hui. Notre Brame eut plufieurs conférences avec les Miffionnaires & avec les Catéchistes, & après diverfes disputes, où il fut parfaitement convaincu de la fauffeté des Divinitez Payennes, il commença à ouvrir les yeux à la lumiere, & il reconnut enfin que le Dieu des Chrétiens étoit le feul qu'il falloit adorer.

Il n'eut pas de peine à comprendre quelle étoit l'inutilité, ou plûtôt l'extravagance de la vie qu'il avoit menée jufqu'alors, il fe déchargea de ce poids affreux qu'il portoit fur fes épaules en vue d'attendrir les Peuples par la rigueur de fa pénitence, &

d'agrandir l'Empire du Demon; & après s'être fait suffisamment inftruire des Véritez du Chriftianisme, il demanda le Baptême. Les Miffionnaires ne jugerent pas à propos de lui accorder fitôt cette grace: ils crurent qu'il falloit l'éprouver pendant quelque tems pour s'affurer davantage de fa perfévérance, & ils le renvoyerent dans fon propre Païs pour voir de quelle maniere il s'y comporteroit. Le bruit s'y étoit déja répandu qu'il fongeoit à fe faire Chrétien. Quand les Brames fçurent fon arrivée ils allerent audevant de lui, & le comblerent de careffes, s'imaginant lui faire changer le deffein qu'il avoit de fuivre la Loy de Jefus Chrift. Mais voyant qu'il ne faifoit nul état de leurs difcours, ils en vinrent aux plus indignes traitemens. Ils l'accu

ferent auprès du Maniagaren* dẹ la Province, d'avoir volé cinq cens écus des aumônes qu'on lui avoit faites la conftruction pour d'un Temple. Sa maison fut aussitôt abandonnée au pillage. Sa femme, qui avoit mis en dépôt chez un ami quelques bijoux d'or & d'argent, fut trahie, & tout fut livré au Gouverneur. Le Catéchumene fut emprisonné, & on lui fit fouffrir divers tourmens pour l'obliger à rendre l'argent que les Brames l'accufoient fauffement d'avoir pris.

Les Brames avant que de fe porter à ces à ces extrêmitez, avoient fait venir leur Gourou ** de Tricherapali, pour tâcher d'ébranler la conftance du Catéchumene : La conférence qu'il eut avec le

* Intendant de Province.

** Nom qu'on donne aux Prêtres Indiens.

Gourou

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