& les Sauvages s'y oppoférent, apparemment parce qu'ils étoient accoûtumés à mes manieres, & qu'ils ne fe plaifoient point au changement. Ce fut donc le P. de Ville qui y fut envoyé en ma place. Ce Pere qui étoit depuis peu de tems avec nous fait voir maintenant par fon zéle, par le talent qu'il a de gagner les Sauvages, & par le progrès qu'il fait parmi eux, que Dieu le deftinoit à cette Miffion, ne m'en ayant pas jugé digne. Quand je fus de retour à ma Miffion, je benis Dieu des faveurs dont il l'avoit comblée pendant mon abfence. Il y eut cette année-là une récolte abondante de froment & de bled fauvage. Outre la beauté du lieu nous avons encore des falines dans le voisinage, qui nous font XI. Rec R d'une grande utilité. On vient de nous amener des Vaches qui nous rendront les mêmes fervices pour le labour, que les Boeufs rendent en France. On s'eft efforcé d'apprivoifer les Bœufs sauvages, mais on n'a jamais pu y réuffir. Les mines de plomb & d'étain ne font pas loin d'ici: on en trouveroit peut-être de plus confidérables, comme je l'ai dit plus haut, fi quelque perfonne intelligente s'employoit à les découvrir. Nous ne fommes qu'à 30 lieuës du Missouri, ou Pekitanoui. C'est une grande riviere qui fe jette dans le Mississipi, & l'on prétend qu'elle vient encore de plus loin que ce fleuve. C'est au haut de cette riviere que font les meilleures mines des Espagnols. Enfin nous fommes affez près de la riviere Ouabache, qui pareillement fe décharge au-def fous de nous dans le Miffiffipi. On peut facilement par le moyen de cette riviere commercer avec les Miamis, & avec une infinité d'autres Nations plus éloignées; car elle s'étend jufqu'au pays des Iroquois. Tous ces avantages favorifent extrêmement le deffein qu'ont quelques François de s'établir dans notre Village. De vous dire fi ces fortes d'établiffemens doi-.. vent contribuer au bien de la Religion, c'eft fur quoi il ne m'eft pas facile de m'expliquer. Que les François qui viendront parmi nous, reffemblent à ceux que j'y ay vû autrefois, qui édifioient nos Néophytes par leur piété, & par la régularité de leurs mœurs, rien ne fera plus confolant pour nous, ni plus utile au progrès de l'Evangile. Mais fi par malheur quelques-uns d'eux venoient à faire profeffion de libertinage, & peut-être d'irreligion, comme il eft à craindre, ce feroit fait de notre Mission: leur pernicieux exemple feroit plus d'impreffion fur l'efprit des Sauvages que tout ce que nous pourrions dire pour les préferver des mêmes déréglemens; ils ne manqueroient pas de nous reprocher, comme ils l'ont déja fait en quelque endroit, que nous abufons de la facilité qu'ils ont à nous croire; que les loix du Chriftianisme ne font pas auffi féveres que nous l'enseignons; qu'il n'est pas croyable que des perfonnes éclairées, comme font les François, & élevées dans le fein de la Religion, vouluffent courir à leur perte, & fe précipiter dans l'enfer, s'il étoit vrai que telle & telle action méritât un châtiment fi terrible. Tous les raifonnemens que le Miffionnaire pourroit oppofer à cette impreffion du mauvais exemple, n'auroient nulle force fur l'efprit d'un peuple qui n'eft guéres touché que de ce qui frappe les fens. Ainfi, mon Révérend Pere, aidez-moi à prier le Seigneur qu'il rende mes appréhensions vaines, & qu'il continue à répandre fes bénédictions fur mes foibles travaux. Je me recommande à vos faints Sacrifices, & fuis avec beaucoup de respect, MON REVEREND PERE Votre très-humble & très- obéiffant ferviteur en Notre Seigneur P. GABRIEL MAREST, Miffionnaire de la Compagnie de JESUS, |