390 LETTRE DU PERE ANTOINE SEPP, MISSIONNAIRE DE LA COMPAGNIE DE JESUS. Au Pere GUILLAUME STINGL HAIM, Provincial de la même Compagnie dans la Province de la haute Allemagne. M ON REVEREND PERE, La paix de Notre-Seigneur.] La Miffion du Paraguay, une des plus floriffantes que nous per ayons dans le nouveau Monde, mérite certainement votre attention, & celle de toutes les fonnes qui s'intereffent à la propagation de la Foy. La grace que Dieu m'a faite de m'y confacrer depuis plufieurs années, me met en état de vous en donner des connoiffances, qui vous apprendront les qualitez que doivent avoir ceux qui vous preffent de les envoyer partager avec nous les travaux de la vie Apoftolique. Au refte je ne vous entretiendrai ici que de ce qui me regarde, laiffant aux autres Miffionnaires le foin d'informer leurs amis qui font en Europe, de ce qui fe paffe dans les nouvelles Miffions qui leur font confiées. Il y a peu d'années qu'on avoit pris le deffein de porter la Foy chez des Peuples infidéles, qu'on appelle ici Tfcharos. Ils font prefque auffi féroces que les bêtes parmi lesquelles ils vivent ils vont quafi tout nuds, & ils n'ont guéres de l'homme que la figure. Il ne faudroit point d'autre preuve de leur barbarie, que la bizarre coûtume qu'ils obfervent à la mort de leurs Proches: quand quelqu'un vient à mourir, chacun de fes parens doit fe couper l'extrémité des doigts de la main, ou même un doigt tout entier, pour mieux témoigner fa douleur: s'il arrive qu'il meure affez de personnes, pour que leurs mains foient tout-à-fait mutilées, ils vont aux pieds dont ils fe font pareillement couper les doigts, à mesure que la mort leur enleve quelque parent. On fongea donc à civilifer ces Barbares, & à leur annoncer l'Evangile. On jetta les yeux pour cela fur deux Miffionnaires pleins de zéle & de courage, fçavoir, le P. Antoine Bohm qui eft mort depuis quelque tems de la mort des Saints, & le P. Hypolite Doctili Italien. L'un & l'autre ont acquis un grand ufage de traitter avec les Indiens, par le grand nombre des Nations du Paraguay qu'ils ont converties à la Foy. Un de ces Indiens nommé Moreira, qui étoit fort accrédité parmi fes Compatriotes, & qui entendoit affez bien la langue Efpagnole, s'offrit aux Miffionnaires pour leur fervir d'Interprete. L'offre fut acceptée avec joye: c'étoit un impofteur qui abufoit de la confiance des deux hommes Apoftoliques, & qui loin d'entrer dans leurs vûes, ne cherchoit qu'à ruïner leur projet, & à rendre odieux le nom Chrétien. Lorfque les Peres expliquoient à ces Infidéles les verités de la Religion, le perfide Truchemant au lieu d'interpréter leurs paroles dans la lanles avertiffoit de fe pays, gue du précautionner contre la tyrannie des Espagnols, & leur faifoit entendre que ces nouveaux venus ne penfoient qu'à les attirer peu à peu vers leurs Peuplades, afin de les livrer enfuite aux ennemis de la Nation, & de les jetter dans un cruel efclavage. Il n'en fallut pas davantage pour irriter tous les efprits contre les Miffionnaires: on prenoit déja des mefures pour les maffacrer. Le P. Bohm eût été facrifié le premier à leur fureur fi un Neophyte qui l'accompa gnoit, n'eût arrêté le bras d'un de ces Barbares qu'il avoit déja levé, pour lui décharger un coup |