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fine, & par une conduite riante & ingé nieufe, qui n'eft pas moins l'effet du gé nie, que le plus grave fublime.

Mais nous avons des Poëmes Epiques, à prendre ce terme dans toute fa rigueur. En vain prétend on qu'Homere doit paffer pour parfait dans ce genre, puifque perfonne ne l'a furpaffé, ni même égalé. La plupart des Sçavans donnent la préférence à Virgile; bien des gens la donnent encore au Taffe. Ce qu'il y a de plus reçû, c'est que nôtre Nation a été malheureufe en ce genre, & que nous y fommes demeurez bien au deffous d'Homere. Voyons fi cette opinion eft équitable ou injufte ; & fous prétexte de rendre une juftice éxacte à nos Ecrivains, n'éxagerons pas nousmêmes nôtre défaite.

J'ai examiné le Clovis & le S. Louis, les deux meilleurs Poëmes de nôtre Langue, que perfonne ne lit plus, & qui font tombez dans un mépris dont on ne fçait guéres les causes. Tâchons, s'il fe peut, de les découvrir.

Ces deux Poëmes ne manquent d'aucune des conditions qu'on prétend effen

tielles à l'Epopée. Ils font l'un & l'autre une fable. L'un ne tend qu'à faire voir que la Providence arrive toûjours à ses fins, malgré les obftacles que les paffions des hommes y oppofent, & l'autre fait entendre qu'il n'y a rien d'impoffible à la piété conduite par le courage. Ils ont l'avantage de commencer tous deux comme l'Odiffée, par le milieu de l'action, & de fatisfaire la curiofité fur le refte, par des récits ingénieusement amenez. Ils m'ont paru de beaucoup meilleurs que l'Iliade, par la clarté du deffein, par l'unité de l'action, par des idées plus faines de la Divinité, par un discernement plus jufte de la vertu & du vice, par des caracteres plus beaux & mieux foûtenus, par des épisodes plus intéreffantes, par des incidents mieux préparez & moins prévûs, par des dif cours plus grands, mieux choifis, & mieux arrangez dans l'ordre de la paffion, & enfin par des comparaifons plus variées & mieux afforties. Peut-être ne comprend-on pas qu'avec tous ces avantages, nos Poëmes n'ayent pas réuffi? Mais pour éclaircir le paradoxe, voici

les défauts qui les ont décriez.

Nos Auteurs ont prodigué mal à propos le merveilleux, par une fervile imitation du Poëte Grec. Ils ont diftribué les Anges & les Démons dans les différens partis, comme Homere distribuë fes Dieux entre les Grecs & les Troyens. Les Démons tiennent lieu du Xanthe & du Simoïs pour des débordemens; & les Anges, de Junon & de Vulcain pour des incendies. Tout y eft prodige, tout y eft miracle. On a été choqué de ce merveilleux apocryphe, qui bleffe le refpect dû à la Religion. Nous pouvons bien peindre les véritables miracles que Dieu a opérez, mais il ne nous eft jamais permis de lui en fuppofer, fous prétexte du vrai femblable; & c'eft offenfer la sagesfe divine que de penser seulement qu'elle auroit dû faire, ce qu'elle n'a pas fait. Nos Poëtes ont craint apparemment qu'on ne leur refufât le nom d'Epiques, file miniftere du Ciel n'étoit auffi fenfible dans leur action, qu'il l'eft dans l'Iliade; & ils ont mieux aimé bleffer la raifon, que de violer des régles arbitraires, qui doivent toûjours relever d'elle.

Ils fe font encore égarez dans la mul tiplicité des épisodes. Pour les rendre intéreffans, ils ont imaginé des avantures fingulieres qui détournent d'autant plus de l'action principale. Ils ont fait un affemblage fatiguant de chofes rares, dont peut-être aucune ne fort abfolument de la vrai-femblance, mais qui toutes enfemble paroiffent abfurdes à force de fingularité.

Ce ne font pourtant pas là les défauts qui ont le plus nui à nos Poëmes. Le Taffe n'a pas laiffé de réüffir avec une pareille conduite. C'eft la langueur & tous les autres vices de la versification. Tantôt ce font des métaphores forcées, tantôt des jeux de mots puériles, fouvent un ftyle froid & profaique. Ils n'ont point cette élégance continue que le Lecteur éxige dans un ouvrage, d'au tant plus qu'il eft long, quoique par cela même, elle devienne prefque impoffible à l'Auteur. Faute de cette élegance qui confifte dans la beauté, dans la force & dans la grace des expreffions, on tombe dans l'ennui de page en page, de ligne en ligne. Malgré l'intereft total de l'ac

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tion, la foibleffe du détail défintéresse & tous ces vices de verfification femez de près en près, joints à l'uniformité fatigante de la rime, font enfin tomber le livre des mains.

Malheureusement nos grands Verfificateurs n'ont pas entrepris de Poëmes épiques; l'ouvrage eft trop long, le fuccès trop incertain. Ils s'en font tenus au plus aifé & au plus utile ; & le Poëme Epique étant devenu le partage des plus foibles,il n'eft pas étonnant qu'ils n'ayent pas foûtenu en ce genre, la gloire de la Nation.

Quoiqu'il en foit, ces Poëmes font tombez, & ils ont dû tomber, puifque leur objet étoit de plaire, & qu'ils nous ont ennuyez. Mais fi nous jugions ainfi de l'Iliade, elle feroit encore dans un plus grand décri. Perfonne prefque n'a le courage de la lire. Ceux qui à force de le vouloir, font venus à bout de l'achever dans Mc D. ne font pas tentez d'y revenir; & ils aimeront encore mieux la loüer que de la relire. Il n'y a que quelques Sçavans qui fe plaisent à l'admirer dans le Grec, parce qu'ils prennent le

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