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qu'on aime à voir les Auteurs eftimez déchoir d'une réputation qui incommode jusqu'à ceux qui font le moins à portée d'y prétendre.

L'autre espece de Public, qui par fon petit nombre à peine en mérite le nom ne cherche dans les conteftations littéraires que l'éclairciffement de la vérité. Il est bien aife de voir s'élever fur les mêmes matieres des fentimens différents ; parce qu'alors les Auteurs intereffez á défendre leur opinion, raffemblent avec tout l'art dont ils font capables, les diverfes raifons qui l'appuyent, les expofent dans leur plus grand jour, découvrent & font fentir le foible de leurs ad verfaires; & qu'enfin par ces difcuffions éxactes, ils mettent le Lecteur en état de juger fainement des choses.

Ce ne font point les tours ingénieux, ni le fel piquant de l'Ironie qui charment ces fortes de Lecteurs. Ils ne font attention qu'à la folidité des raifonnements: ils les pesent à part; & dépoüillez de tous les ornements étrangers à la caufe, & contents d'avoir évité l'erreur ils ne connoiffent point la joye maligne

d'en voir convaincre les autres.

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A ces deux fortes de Public répondent auffi deux genres d'Auteurs. La plûpart ne fe propofent en difputant que le frivole honneur de vaincre, à quelque prix que ce puiffe être. Dès qu'ils ont avancé une opinion, il ne leur eft plus poffible de convenir qu'elle foit fausse; ils fe croiroient même deshonorez d'en rien rabattre, & moitié illusion, moitié mauvaise foy, ils font armes de tout pour la défendre. Plus les raifons contraires les frappent, plus elles les irriils tournent toute la fagacité de leur efprit à imaginer des détours pour échaper à la vérité qui les preffe, & rafermiffant le mieux qu'ils peuvent leurs préjugez ébranlez, ils payent de fubtilitez, de hauteurs, & d'injures même, quand ils ne fçauroient payer de raison. Plûtôt que de ne pas triompher, ils se forgent des chiméres; & les attaquent. Ils imputent à leur adverfaire ce qu'il n'a pas dit, s'obstinent à donner à toutes les propofitions des fens détachez, fans vouloir, ou peut-être, fans pouvoir comprendre qu'elles fe modifient les unes les

autres, & qu'il en résulte un fens général qui fait précisément la question. Quelquefois même, pour derniere reffource, ne pouvant décréditer les raifons, ils effayent de décréditer l'Auteur qui les allegue, en luy reprochant d'autres fautes indifférentes au fait préfent: ce qui n'eft, à parler jufte, que fe venger lâchement de fon propre tort.

Quelques Auteurs au contraire, n'ont d'autre vûë dans la difpute, que d'entendre & de faire entendre la raison, le leur eft auffi bon de la main des au

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tres que de la leur, ils étudient dans ce qu'on leur oppofe ce qu'il peut y avoir de raisonnable; auffi contents quelquefois, en avoüant qu'ils fe font trompez, que le peuvent être ceux qui les rédui fent à en convenir.

Ce caractere me paroît si estimable, que je me le proposerai toûjours pour modelle dans la difpute où je fuis obligé d'entrer. J'éxaminerai les objections de Mc Dacier, comme fije me les étois faites à moi-même ? Je comparerai fes raifons & les miennes comme fi elles étoient également mes propres idées, &

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qu'il s'agit de me déterminer entr'elles, par la feule force de l'évidence. C'est un engagement que je prends exprès à la face de l'Academie, pour m'animer à rendre ma réponse plus digne de ce Public judicieux, pour qui feul on devroit écrire.

Le Livre de Me Dacier annoncé depuis long-temps, parut quelques jours après que j'eus récité cette efpece de Préface dans l'Academie, je le lûs avec attention pour y chercher mes erreurs; & comme j'avois promis de pardonner les injures à qui me détromperoit, je m'accoûtumai aifément à celles dont il eft plein, dans l'efpérance qu'on rempliroit la condition; mais après avoir achevé tout le livre, je trouvay qu'il n'y avoit que la moitié de l'ouvrage fait. J'ay déja eu les injures, il ne reste plus qu'à me détromper.

Dans l'engagement où je fuis de répondre, j'ay fongé comme Me D. à faire un Livre qui pût être utile indépendam. ment de nôtre difpute. Elle a choifi les Caufes de la Corruption du Goût, qui

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font plûtôt chez elle le prétexte, que le deffein de l'ouvrage. Pour moi, je me suis laiffé conduire à ma matiere ; il m'a paru qu'elle me donnoit lieu à des Reflexions judicieuses fur la Critique. Je tâcherai donc d'en faire le fonds de ma réponse; de femer par tout des principes de raifonnement, dont les endroits que j'ay à refuter ne feront que l'application; & je prendray garde fur tout à ne dire contre Mc D. que ce qu'entraîne la néceffité de ma défense.

Je luy ay rendu dans mes Odes un hommage public que je confirme encore avec plaifir. Le compliment que je luy ay fait étoit fondé fur une eftime trèsréelle, l'érudition eftimable dans les hommes, l'eft encore plus dans une femme, par fa rareté. Il faut avouer que Mc D. l'a portée à un haut point; elle en a fervi utilement fon fiecle par un grand nombre de Traductions fidelles ; & puifque je ne fçay point le Grec, je fuis du nombre de ceux qui luy ont là-dessus lę plus d'obligation.

Je ne rabats donc rien des fentiments qui luy font dûs; mais enfin, comme les

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