Imágenes de páginas
PDF
EPUB

taille navale de Démétrius contre Ptolomée.

Ptolomée, dit l'Auteur, vint à pleines voiles avec une flotte de cent cinquante vaiffeaux. Il avoit donné ordre à Menelas, qui étoit à Salamine, tout proche de l'endroit où fe donna la bataille, qu'après que le combat feroit engagé & la mêlée la plus furienfe, il vint avec les vaiffeaux qu'il avoit, charger l'arriére-garde de Démétrius & la mettre en defordre; mais Démétrius avoit eu la précaution de laiffer dix vaiffeaux pour s'oppofer à ces foixante de Menelas: car ce petit nombre étoit fuffifant pour garder l'entrée du port, qui étoit fort étroite, & pour empêcher Menelas d'en fortir, ce que celui-ci n'eut garde de faire.

chaque pas. Ceux qui les voioient ailleurs qu'à la guerre, ne fçavoient qu'en penfer. On auroit dit qu'en partant ils laiffoient leur efprit & leur raifon à la Ville & à la Cour, pour les reprendre au retour : ils en avoient alors très-grand befoin pour juftifier leur mauvaise conduite; auffi ne manquoient-ils pas de perfuader ceux qui ne s'étoient pas trouvez fur les lieux, & qui ne fçavoient ce que c'étoit que la guerre ; leurs fophifmes & leurs fubtilitez militaires mettoient le Miniftre fur les dents, mais ils fe gardoient bien d'ouvrir la bouche devant des gens habiles & éclairez. On remarque cependant que ces fortes de Sophiftes, toujours battus & jamais battans, font ceux qui montent le plus vite aux honneurs de la guerre. On diroit que la fortune les y fait monter, pour les confoler de leurs difgraces; ou pour per fuader à ceux qu'elle n'éléve point que la valeur & l'intelligence font allez récompenfées par la gloire qu'on retire des belles actions. C'eft ce que répondit un jour un Miniftre à Milord Clar, qui fe plaignoit d'avoir été oublié dans une promotion d'Officiers Généraux, qui fe fit peu aprés la bataille d'Hock ftet, où il avoit été fort bleffé. N'étoit-ce pas là un bel éloge pour ceux qui fe trouvoient fur la lfte? Cette belle fentence ne demeura rapfans replipas que. Si cela eft, lui répondit l'homme, je vous obligerai à me rendre juftice: car je me ferai battre, & je fuirai aufli vîte & aufli loin que je pourrai. Il ne fe contenta pas de cette réponse cette réponse, il s'en plaignit au Roi. Ce grand Prince, qui chériffoit la valeur & le courage, le mit au nombre des Elus. Reprenons maintenant notre fujet, d'où cette digreffion nous a un peu écarté. Les Carthaginois n'entendoient

Si le Carthaginois eût fait cela, il réduifoit le Romain à l'inaction, & dans cet état il avoit tout le tems qu'il lui falloit pour attendre le refte de fa flotte: aprés cette jonction il lui étoit libre de faire tout ce qu'il auroit voulu, revirer, fe remettre au large, & hazarder une bataille fi l'envie lui en eût pris. Ce parti é toit digne d'un homme de courage & entendu ; il en avoit pourtant un fi celui-là lui eût femblé un peu trop délicat, quoiqu'il ne le fût qu'en apparence. Rien ne l'empêchoit de virer de bord, aprés le fuccez du premier combat, & de fe procher du refte de fa flotte, qui accouroit au fecours, de la joindre & de revenir enfuite en bon ordre. Il avoit affez de tems pour cela, mais non pas affez d'efprit & de courage pour s'y déterminer. Il a été des Généraux qui ne manquoient ni de l'un ni de l'autre, à qui pourtant la tête tournoit dans les bons comme dans les mauvais fuccez; ils rendoient inutiles les uns, & ne voioient aucun remède aux autres. Ils clochoient à

point

point trop raillerie fur les fautes de leurs Généraux, qui alloient à la ruine de leurs affaires, & qui leur paroiffoient dignes de châtiment. Ils les faifoient bravement mettre en croix. Les Athéniens n'étoient pas fi cruels, ils fe contentoient de l'éxil ou de la cigue.

Amilcar n'éprouva rien de tout cela, non en confidération du fuccez du premier combat, mais parce que le fecond n'aboutit à rien, & que chacun s'attribua la victoire : on va le voir tout à l'heure.

§. II.

Après avoir été battu, une retraite honorable eft quelque chofe, mais un grand Général peut faire plus.

tant de hardieffe & de résolution.

Le Conful arrive fur lui avec tout le courage poffible, lui prend & lui coule à fond une partie de fes vaisfeaux; & fi le refte de fa flotte ne fût arrivé dans le tems qu'il alloit tout perdre, fa retraite devenoit impoffible. Il fe retira : mais quoique l'on fe retire en bon ordre apres avoir été battu, il eft toujours honteux de retrograder, lorfque la cause de notre défaite vient de notre imprudence, & de notre peu de hardieffe à profiter des premiers avantages d'un combat.

par

Cette action fauva Régulus du fa témé blâme qu'il s'étoit attiré rité, & lui acquit plus de réputation que n'en acquiérent les autres par les plus grandes victoires. C'est par de femblables réfolutions que les Endant le Général Cartha- hommes véritablement courageux fe

Preuves de cette vérité.

Pginois demeure ainfi fufpendu, tirent des embarras les plus income

[ocr errors]

entre ce qu'il devoit faire ou ce qu'il devoit éviter, & qu'il laiffe échaper ces momens qui font fi précieux à la guerre, les Romains, qui confidéroient moins la perte de dix vaiffeaux que la honte de les avoir perdus, débouchent diligemment du port, & voguent en bon ordre aux ennemis, bien réfolus de n'en pas faire à deux fois, & de réparer l'imprudence de leur Général.

Le Carthaginois ne s'attendoit à rien moins qu'à ce qui alloit arriver. Les idées agréables qu'il fe formoit de fon premier combat, le groffiffoient & l'embelliffoient dans la tête. Il n'attendoit que l'arrivée du refte de fa flotte, pour terminer une journée qu'il croioit fi fort avancée: mais quelle dût être fa furprise, lorfqu'il fe vit lui-même attaqué? Il en dût être d'autant plus étonné, qu'il eft très-rare que le vaincu revienne un moment après, & foit le premier à attaquer & à affronter l'ennemi avec Tome I.

modes. Cette élévation d'ame, cette profonde connoiffance de la guerre, ne brillent jamais mieux que dans les infortunes les plus terraffantes; elles leur fourniffent des lumiéres & des reffources furprenantes, & aufquelles on ne fe feroit jamais attendu. La journée qui les perd, eft celle de leur falut & de leur gloire.

La victoire du Conful Remain me confirme dans la penfée où je fuis, que quelque battue que foit une armée, tant qu'il refte du courage & de la bonne volonté dans les troupes, un Chef habile & de grande valeur ne doit défefperer de rien: car à la guerre le mal eft toujours plus dans l'opinion que dans la chofe même. C'eft cette opinion, jointe à l'ignorance & à notre peu de hardieffe, qui nous déconcerte & nous bouche le jugement: car dans le fond la perte d'une bataille eft le plus fouvent fort peu de chofe. Tout le monde ne pense pas ainsi, dira

[ocr errors]

quelqu'un. Où trouver des Généraux qui ne foient ébranlez de la perte d'une bataille, ou de la déroute de leurs armées ? Où font ceux qui trouvent des ressources au-delà de celles que les plus grands Capitaines, qui font tombez dans ces fortes d'infortunes, prennent ordinairement? Quel autre reméde, finon de rallier les reftes d'une armée diffipée & battue, & de fe fauver par une retraite honorable ? C'est tout ce qu'on peut raisonnablement attendre du fang froid, du courage, de l'habileté, de l'expérience du Général, & de la difcipline de fes troupes.

N'y auroit-il donc que cela dont un Général puiffe être capable pour fe tirer d'un mauvais pas? Ce feroit s'abuser bien groffiérement, que de croire que la fcience du Général d'armée foit réduite à une retraite. Il n'eft pas vrai qu'un grand Capitaine n'ait d'autre reffource, d'autre parti à prendre après la perte d'une bataille: quoique la chole foit trèsrare, ce n'eft pas pourtant ce qui l'éléve le plus. Se retirer bravement & fiérement, c'eft quelque chofe : c'eft même beaucoup, mais ce n'eft pas le plus qu'on puiffe faire ; la bataille n'eft pas moins perdue, fi l'on ne va plus loin; c'est ce que fera un Géfera un Général du premier ordre. Il ne fe conpas de rallier les débris de fon armée, & de fe retirer en bon ordre, en présence du victorieux; il méditera fa revanche, retournera fur fes pas, & couchera de fon refte avec d'autant plus d'efpérance de réuffir, que le coup fera moins at tendu, & d'un tour nouveau; car qui peut s'imaginer qu'une armée battue & terraffée, foit capable de prendre une telle résolution?

Sil n'y avoit pas d'exemples de ce que je viens de dire, je ne trouverois pas étrange de rencon

trer ici des oppofitions; mais ces éxemples font en foule, non seulement dans les anciens, mais encore chez nos modernes. Quand même je ne ferois pas muni de ces autoritez, ma propofition ne feroit ne feroit pas moins fondée fur la raison, & fur ce que peut la honte d'une défaite fur le cœur des hommes véritablement courageux.

C'eft une remarque que j'ai faite une infinité de fois, & que je fais tous les jours; (car dans ce que je vais dire ici, je fuis fondé fur ce que j'ai vû d'heureux ou de malheureux. dans les combats & dans les batailles où je me fuis trouvé,) que le vaincu, bien informé de l'état du victorieux, de fa négligence & de fon peu de précaution, deux défauts affez ordinaires dans les grandes victoires, auroit pû facilement attaquer, après avoir rallié fes troupes, & les avoir remifes de leur trouble & de leur épouvante, marcher enfuite au vainqueur, & le combattre avec l'avantage qui naît toujours des furprises, pourvû qu'elles foient fubites,promptes & impétueufes. Que Régulus, après avoir été battu, revienne enfuite à la tête de toutes les forces, il n'y a rien là de fort extraordinaire, & que tout Général ne doive faire. Il n'avoit combattu qu'avec une efcadre, le refte de fon armée ne fe fentoit pas de cette difgrace: mais de rallier les reftes & les débris d'une défaite complette, remarcher au victorieux, l'attaquer & le furprendre, voilà le grand, le fublime & le merveilleux d'un Général d'armée, le plus fin & le plus profond du courage & de la fcience des armes. On a vû des armées battues & diffipées entiérement, & qu'on avoit cru hors d'état de fe relever jamais, après la perte de leur canon, de leur bagage & le pillage de leur camp, pourfui

vies au loin; & très-longtems, fe rallier & remarcher à l'ennemi par une résolution prompte & fubite, par le courage & l'adreffe de leur Général, recommencer un nouveau combat, & finir par la victoire & la ruine entiére du victorieux. L'hiftorien des fucceffeurs d'Alexandre le Grand, me fournira un très-bel éxemple; il fait trop bien à notre fujet, pour ne pas l'inferer ici tel que l'Auteur le rapporte.

Caffander, averti du départ de Clite, & de fes fuccez, envoia Nicanor, Gouverneur de Munichie, avec une flotte de fix vingt voiles, pour combattre l'ennemi, quelque part où il pût le rencontrer. Les armées navales arrivées à la hauteur de Byfance, l'on commença de se battre. Soit que les troupes de Nicanor cuffent moins de valeur que celles de Clite, ou que fes matelots euffent moins d'adreffe, il eut le malheur de perdre la victoire: les ennemis lui coulèrent à fond dix-fept navires, lui en enlevérent quarante: le refte eut bien de la peine à gagner Le port de Calcedoine. Comme il eft affez ordinaire aux vainqueurs de s'exfler de leur victoire, celle que Clite venoit de remporter lui aiant fait préfumer que les ennemis n'oferoient plus paroître en mer, lui fit négliger des précautions qu'il devoit prendre, & cette négligence fut la caufe de la perte de fon armée & de fa vie.

Antigone, qui ne manquoit point de reffource dans les plus grandes difgraces, n'eut pas plutôt appris la perte de la victoire que venoit de faire Nicanor, qu'il ne douta point qu'il n'en pût prévenir les fuites, en retournant à la charge fur les ennemis, affuré que Clite, enivré de fon bonheur, avoit quitté la mer, & qu'il campoit avec affez de négligence à quelque distance de la flotte. Après avoir obtenu des Citoiens de Byfance un certain nombre

من

de petits navires, il y fit charger quantité d'arbalêtiers, avec un détachement de fa meilleure infanterie, armée à la legére. Ces navires pafferent en Europe avec une extrême rapidité, jetterent l'ancre affez proche du camp des ennemis : profitant de l'obscurité de la nuit, ils vinrent fondre fur eux avec tant d'ardeur & de précipitation, qu'on les vit aussitôt en defordre, les uns courant à leurs navires, laiffant aux victorieux leurs bagages & leurs dépouilles: d'autres empreffez à les défendre, & contraints de fuccomber fous le nombre des attaquans, y laiffoient la vie avec les biens.

Durant cette action Antigone fit monter fur fes vaiffeaux fes meilleures troupes, avec un grand nombre de matelots: ordonna à Nicanor de remettre à la voile, & d'aller attaquer la flotte ennemie ; qu'il lui répondoit du fuccez du combat, & que par avance il pouvoit s'en réjouir. L'on fit voile pendant la nuit avec tant de bonheur & de diligence, qu'à la pointe du jour l'on vint attaquer les ennemis ; ce qu'on fit avec un courage fi impétueux, qu'après avoir mis plufieurs navires hors de combat, tous les autres, à la reserve de l'Amiral, fur lequel Clite étoit monté, fe rendirent au vainqueur avec tous les gens d'équipage. Clite aiant gagné la terre, prétendoit fe fauver dans la Thrace; mais malheureusement pour lui, quelques foldats de Lyfimache le rencontrérent comme il fuioit, & le tuérent.

Ces fortes de deffeins ne font pas communs, la routine ne les conduit ni ne les apprend, & les Généraux qui n'ont qu'elle pour guide ne peuvent y réuffir. Il eft aife de voir que les plus grandes parties de la guerre y entrent. Le détail, les précautions & les mefures en font infinies; mais ces précautions & ces mesures ne font pas toutes à la portée des efprits

& des courages communs. Il faut camp, les taille en pièces, & leur toute l'intelligence & l'expérience apprend par cette victoire, qu'il ne d'un grand Capitaine, une préfence fuffit pas d'imaginer de grandes chod'efprit & une activité furprenante fes, fi l'on manque d'intelligence & à penfer & à agir, un profond fe- de conduite dans l'éxécution. C'est cret & gardé avec art. Mais cela ne la maxime que nous devons tirer de fuffit pas, fi la marche n'eft telle- l'éxemple de Neoptoléme; mais la ment concertée, que l'ennemi n'en conduite de Régulus & d'Antigopuiffe avoir la moindre connoiffance, nus en fournit une autre qu'il y quand il auroit pris toutes les mefures a des entreprises auffi fages dans le imaginables. fond, qu'elles font téméraires en apparence.

Avec ces précautions, ces deffeins manquent rarement de réuffir, parce qu'ils font peu communs, & d'un tour nouveau : mais il faut qu'un habile homme s'en mêle, & non pas un Néoproléme, qui manqua fon coup contre Eumenes. Celui-ci l'avoit bien battu après fa défaite, qui fut des : plus complettes, il fe fauva vers Antigonus & Polypercon, aufquels il perfuada de marcher à fon ennemi, & de le furprendre dans cet état de fécurité & de relâchement, où fe trouvent les armées après les grandes victoires. Mais comme les grands Capitaines ne font jamais furpris, Eumenes fut bientôt inftruit du deffein de fes ennemis, & qu'ils tiroient de fon côté. Il décampe tout auffitôt, & leur vient au-devant à la faveur d'une nuit obfcure; il les trouve campez, & auffi peu fur leurs gardes, s'ils euffent été à cent lieues de l'ennemi. Il les furprend dans leur

que

J'aurois une infinité de chofes à dire, & d'excellentes obfervations à faire fur ces deux actions de Tyndaride, tant la matiére est abondante, belle & curieufe : je ne m'y arrêterai pas davantage, cela me méneroit où je ne veux pas aller, au moins pour cette fois. Polybe, qui embraffe toutes les parties de la guerre dans les faits qu'il rapporte, nous fournira affez d'occafions d'épuifer tout ce qui regarde les furprifes d'armées par des principes certains & affurez: or comme cette partie de la science militaire, & ces principes ne font pas fort connus, qu'aucun de nos Auteurs dogmatiques n'en a écrit, & que c'eft de toutes celle à laquelle je me fuis appliqué avec plus de foin,. je ferai tous les efforts dont je fuis capable pour la pouffer auffi loin qu'elle peut aller.

« AnteriorContinuar »