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ginois, ils implorérent la protection & le fecours des Romains, Ceux-ci vinrent au nombre de quatre mille fous la conduite de Décius Campanus. Pendant quelque tems ils gardérent fidélement la ville: mais éblouis de fes agrémens & des richeffes des citoiens, ils firent alliance avec eux, comme avoient fait les Campaniens avec les Meflinois, chafférent une partie des habitants, égorgérent l'autre, & fe rendirent maîtres de la ville.

cette trahi

Les Romains furent très fenfibles à cette perfidie. Ils ne Rome punic purent y apporter de reméde fur le champ, occupez qu'ils fon. étoient aux guerres dont nous avons parlé : mais dès qu'ils les eurent terminées, ils mirent le fiége devant Rhége. La ville fut prife, on paffa au fil de l'épée le plus grand nombre de ces traîtres, qui prévoiant ce qui devoit leur arriver fe défendirent avec furie. Le refte qui montoit à plus de 300. pris prifonnier & envoié à Rome, y fut conduit fur le marché par les Préteurs, battu de verges & mis à mort: éxemple de punition que les Romains crurent néceffaire pour rétablir chez leurs alliez la bonne opinion de leur foi. On rendit auffi aux Rhéginois leur païs & leur ville. Pour les Mamertins, c'est à dire les peuples de la Campanie, qui s'étoient donné ce nom après avoir furpris Meffine, tant qu'ils furent joints avec les Romains qui avoient envahi Rhége, non feulement ils demeurérent tranquilles poffeffeurs de leur ville & de leur païs, mais ils inquiétérent fort les Carthaginois & les Syracufains pour les terres voifines, & obligérent une grande partie de la Sicile à leur paier tribut: mais ceux qui tenoient Rhége n'eurent pas été plutôt affiégez, que les chofes changérent de face. Car privez de leur fecours, ils furent eux-mêmes repouffez & renfermez dans leur ville par les Syracufains pour les raifons que je vais dire.

La diffenfion s'étant mife entre les citoiens de Syracufe & leurs Troupes, celles-ci s'arrêtant autour de Margane, élurent pour chefs Artémidore & Hiéron qui dans la fuite les gouverna. Le dernier étoit alors fort jeune à la vérité, mais d'une prudence & d'une maturité qui annonçoit un grand Roi. Honoré du commandement, il entra dans la ville par le moien de quelques amis, & maître de ces gens qui ne cherchoient qu'à brouiller, il fe conduifit avec tant de douceur & de grandeur d'ame, que les Syracufains, quoique mécontens de la liberté que s'étoient donnée les foldats, ne laifférent pas de le faire Préteur d'un confentement unanime. Dès fes premiéres démarches, il fut ailé de juger que ce Préteur afpiroit à

Commencement d'Hieron.

quelque chofe de plus qu'à ette charge. En effet voyant qu'à peine les troupes étoient forties de la ville, que Syracuse étoit troublée par des efprits féditieux & amateurs de la nouveauté, & que Leptinés diftingué par fon crédit & fa probité avoit pour lui tout le peuple, il époufa fa fille, dans le deffein d'avoir toujours dans la ville par cette alliance un homme fur lequel il pût compter, lorfqu'il feroit obligé de marcher à la tête des armées. Pour fe défaire enfuite (a) des vétérans étrangers, efprits remuants & mal intentionnez, il mena l'armée contre les

(a) Pour fe défaire enfuite des vétérans étrangers. De la corruption des mœurs au mépris des loix militaires, il n'y a qu'un pas à faire; & lorfque les châtimens ne fuivent pas de près les fautes de cette nature, on paffe bientôt à l'infolence qui s'accroît par l'impunité, d'où naît l'efprit de faction & de révolte. Cela va par dégrez. Lorfqu'un corps de mutins s'eft déclaré par quelque coup d'éclat, c'eft un mal fans remede, non dans un peuple corrompu & factieux dont les interêts font divifez & qui ne va pas du même branle, mais dans une milice corrompue; & fi on le remarque bien, le mal commence toujours par les Officiers dont la négligence, la débauche & le luxe font les plus grands maux d'un Etat. Les foldats qui voient de telles gens à leur tête les méprifent; la défobéiffance eft une fuite de ce mépris, & les révoltes fuivent la défobéiffance. Le fupplice de quelques-uns des plus mutins n'eft d'aucun effet parmi un grand nombre de coupables. Hieron comprit bien aifément qu'il n'en feroit jamais le maître, qu'ils étoient trop bien unis, & que le châtiment des plus coupables ne manqueroit pas d'irriter le refte.

Il n'ignoroit pas que les foldats n'avoient aucun droit à l'élection des Magiftrats, & qu'ayant été affez hardis pour s'arroger un pouvoir qui ne leur appartenoit pas il n'y auroit rien dont ils ne fuffent capables, fi quelqu'autre auffi ambitieux que lui, s'avifoit d'employer les mêmes pratiques & les mêmes moiens de corruption pour fe faire élire & fe mettre en fa place. Cela lui parut de telle importance & pour fes intérêts & pour ceux de la République, qu'il réfolut d'exterminer cette milice factieufe dont la licence & l'efprit de rébellion ne pouvoit que corrompre les autres & les porter à prêter l'oreille à de plus grands changements. Il en vint à bout par fon efprit & par fon adreffe, exemple qui eût dû

fervir de leçon aux Empereurs Romains pour les garentir des Cohortes Prétoriennes lorfqu'ils s'apperçûreut que la difcipline militaire fe relâchoit par la licence de Rome; au lieu qu'ils augmentérent le mal pour en avoir négligé le remede, foit par la crainte de remuer les efprits par une trop grande févérité, ou qu'en les rappellant à l'obfervation des loix militaires & à leur ancienne vertu, l'horreur de tant de crimes & leur tirannie ne les portaffent à fe défaire de tels maîtres, pour en délivrer Rome & le genre humain. Il falloit à ces monftres des gens qui les imitaffent dans leurs vices. C'eût été une espece de miracle qu'un corps de troupes qui ne bougeoit d'une capitale, pût se conferver pur au milieu d'une cour diffolue. Ce corps devint en peu de tems le récepta, cle & l'azile d'une foule de fcélérats, de traîtres, de voleurs & d'affaffins. Ils portérent fi loin leur audace qu'ils égorgeoient leurs Empereurs pour en mettre d'autres en leur place, la plupart auffi lâches, auffi cruels & plus diffolus que leurs foldats. Ce qu'il y a de plus étrange, c'eft qu'après la mort de Sévére, ceux qui l'avoient égorgé, mirent l'Empire à l'encan & firent crier du haut du rempart de leur camp que l'empire Romain étoit à vendre au plus offrant, & il trouva un acheteur, qui fut enfuite traité comme les autres. Rien n'étoit plus aifé que de s'en débaraffer. On eût pû les dépaïfer & les envoier dans les armées, avec ordre aux Généraux de les exterminer.

H y a quelques Empereurs Turcs qui ont cherché à détruire leurs Janiffaires par un femblable fecret que celui de Hiéron : s'ils n'ont pas réuffi, ils ont dû s'en prendre à leur lâcheté ; car pour imiter le Roi de Syracufe il faut en avoir le courage & la prudence; ce n'eft pas affez, on doit les mener foi-même à la guerre, les précipiter dans le piége, fans qu'il y paroiffe & fans s'y laiffer prendre.

Mamertins comme contre des Barbares qui occupoient Meffine. Campé auprès de Centoripe, il range fon armée en bataille le long du Cyamozore, tenant à l'écart la cavalerie & l'infanterie Syracufaine, comme s'il en eût eu affaire dans un autre endroit. Il n'oppofe aux Mamertins que les foldats étrangers, les laiffe tous tailler en piéces, & pendant le carnage il retourne tranquillement à Syracuse avec les troupes de la ville. L'armée ainfi purgée de tout ce qui pouvoit y causer des troubles & des féditions, il leva par lui-même un nombre fuffifant de troupes à la folde, & remplit enfuite paifiblement les devoirs de fa charge. Les Barbares fiers de leurs premiers fuccès fe répandant dans la campagne, il marcha contre eux avec les troupes Syracufaines qu'il avoit bien armées & bien aguerries, & leur livra la bataille dans la plaine de Mile fur le bord du Longanus. Une grande partie des ennemis resta sur la place, & les Chefs furent pris prifonniers. Retourné à Syracuse, il y fut déclaré Roi par tous les alliez.

Les Ma

mertins im

obtiennent

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La perte de cette bataille jointe à la prise de Rhége dérangea entiérement les affaires des Mamertins. Les uns eurent re- plorent cours aux Carthaginois, aufquels ils fe livrérent eux & leur cita- fiets delle. Les autres abandonnérent la ville aux Romains, & les fi- desRomains. rent prier de venir à leur fecours, grace, difoit-on, qu'ils ne pouvoient refufer à des gens qui étoient de même nation qu'eux. Les Romains héfitérent longtems fur ce qu'ils répondroient. Cette demande leur d'abord tout parut à fait déraisonnable. Après avoir puni avec une extrême févérité leurs propres citoiens pour avoir trahi les Rhéginois ; ils ne pouvoient avec ju ftice envoier du fecours aux Mamertins, qui s'étoient emparé par une femblable trahison non feulement de Meffine, mais encore de Rhége ; d'un autre côté il étoit à craindre que les Carthaginois, déjà maîtres de l'Afrique, de plufieurs provinvinces de l'Ibérie & de toutes les Ifles des mers de Sardaigne & de Tyrrhénie, s'emparant encore de la Sicile, n'envelopaf fent toute l'Italie & ne devinffent des voifins formidables, & l'on voioit clairement qu'ils fubjugueroient bientôt cette Ifle, fi l'on ne fecouroit les Mamertins. Meffine leur étant abandonnée, ils ne tarderoient pas longtems à prendre Syracufe. Souverains, comme ils étoient, de prefque tout le refte de la Sici le, cette expédition leur devoit être ailée. Les Romains prévoiant ce malheur & jugeant qu'il ne falloit pas perdre Meffine ni permettre aux Carthaginois de fe faire parlà comme

Syracufains & des Car

thaginois.

le

un pont pour paffer en Italie, furent longtems à délibérer. Le Sénat même partagé également entre le pour & le contre, ne voulut rien décider. Mais le peuple accablé par les guer. res précédentes & fouhaitant avec ardeur de réparer fes pertes; pouffé encore à cela tant par l'intérêt commun, que par les avantages dont les Préteurs flatoient chaque particulier peuple, dis-je, fe déclara en faveur de cette entreprise & l'on en dreffa un plébifcite. Appius Claudius, l'un des Confuls, fut choifi pour conduire le fecours, & on le fit partir pour Meffine. Les Mamertins auffitôt, partie par menaces, partie par furprise, chafférent de la citadelle le Préteur qui y commandoit de la part des Carthaginois, appellérent Appius & lui ouvrirent les portes de la ville & l'infortuné Préteur, foupçonné d'imprudence & de lâcheté fut attaché à un giber.

Défaite des Les Carthaginois, pour reprendre Meffine, firent avancer auprès du Pélore une armée navale, & placérent leur infanterie du côté de Sénes. En même tems Hiéron profite de l'occafion qui fe préfentoit de chaffer tout à fait de la Sicile les Barbares qui avoient envahi Meffine, il fait alliance avec les Carthaginois, & auffitôt part de Syracuse pour les aller joindre. Il campe vis à vis d'eux proche la montagne nommé Chalcidique & ferme encore le paffage aux affiégez par cet endroit. Cependant Appius Général de l'armée Romaine traverse hardiment le détroit pendant la nuit (a) & entre dans la vil

(a) Cependant Appius Général de l'armée Romaine traverse hardiment le détroit pendant la nuit. 1 Ce paffage des Romains en Sicile n'a rien de remarquable dans notre Auteur, que le bonheur de leur Général, qui traverse un détroit à la faveur des ténébres & de la négligence du Général Carthaginois.

S'il faut s'en rapporter à Frontin, cette entreprise du Conful eft bien plutôt le fruit de la fageffe & de l'habileté de ce Général que l'ouvrage de la fortune. Il dit que ne pouvant paffer le détroit de Meffine, occupé par les Carthaginois, il fit mine d'abanbandonner cette entreprise & de retourner du côté de Rome avec tout ce qu'il avoit de troupes de débarquement, que fur cette nouvelle les ennemis qui bloquoient Meffine du côté de la mer, s'étant retirez comme s'il n'y avoit plus rien à craindre, Claudius revira de bord & pafla fans danger. Ce ftratagême me paroit très-vraisemblable. I

ôte par là ce qu'il y avoit d'imprudent dans cette entreprise, & releve la gloire des Romains, fans rien diminuer de l'imprudence de l'Amiral Carthaginois.

Quelques Auteurs prétendent qu'Appius pafla ce détroit fur des radeaux, je ne sçai fur quel fondement, à moins qu'ils n'aient pris rates pour un radeau. S'ils l'ont fait pour rendre cette action plus merveilleuse, ils ne pouvoient pas mieux choisir: mais ils n'ont pas pris garde que le merveilleux paffe le romanefque. Ceux qui connoiffent le détroit de Meffine, & les dangers qu'il y a à éviter dans ce paffage, conviendront qu'il eft impoffible que des radeaux puiffent y naviguer. Suppofant même que cela fe puiffe, ç'eût été une grande folie à Claudius, de s'embarquer fur de tels bâtiments dans une conjoncture fi délicate; il falloit épier le tems & l'occafion, & ufer d'une extrême diligence pour paffer promptement le détroit & fe dérober à la vigilance de

que

le. Mais la voiant preffée de tout côté, & faisant réflexion ce fiége pourroit bien ne lui pas faire d'honneur, les ennemis étant maîtres fur terre & fur mer ; pour dégager les Mamer

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mettre en vogue. Ne diroit-on pas en li-fant ce paffage qu'Appius étoit longtems avant le déluge, & que perfonne avant ce Général ne s'étoit avifé de monter fur mer & de naviguer fur d'autres bâtiments que fur des radeaux, & qu'on devoit à lui feul l'invention des vaiffeaux de tranfport: mais ce n'eft pas là où je trouve le plus à redire. L'Abbé de Vertot fuit fon Auteur. Il veut que les Romains aient palle en Sicile fur des radeaux ; j'y confens: mais que ces radeaux, fur lefquels le Romain fit paffer fes troupes fuffent des radeaux deux lignes plus haut, & des bâtiments de transport deux lignes plus bas, la contradiction me paroît manifefte. Comment cela fe peut-il faire ? & comment peut-on avancer qu'Appius foit. l'inventeur des vaiffeaux de charge? Il falloit que l'Auteur dont l'Abbé de Vertot a tiré cette belle découverte fût bien ignorant. Les Marchands fe fervoient-ils d'autres vaiffeaux que de ceux de charge? Plufieurs fiécles avant que les Romains fuflent au monde, voioit-on d'autres bâtiments dans les ports de l'Italie? A deux pas d'ici Polybe va nous apprendre fi Appius paffa fur des: radeaux. Les Romains n'avoient pour faire paffer leurs troupes à Meffine, dit-il,, ni vaiffeaux pontez, ni de transport, pas méme une félouque: mais feulement des bâtiments à cinquante rames, & des galéres à trois bancs, qu'ils avoient emprunté des Tarentins, des Locres, des Eleates & des Na-politains. Ce fut fur ces vaisseaux qu'ils oférent transporter leurs armées lorsqu'ils traverferent le détroit. Cela n'eft-il pas bien clair? Après cela qui ne riroit de cette traverfee fur des radeaux & du nom de guerre d'Appius ? Cette attribution ne vint jamais de la fource dont on la tire. Le terme de Caudex ne fignifie pas plus un affemblage groffier de plufieurs planches pour faire des barques ou des navires de tranfport, qu'un « homme lourd & impoli, & ce furnom de Caudex pourroit bien être le véritable d'Appius, quoiqu'en dife Sénéque. Combien voit-on de gens qui paroiffent avec de tels dehors, qui ont pourtant l'ame & le cœur tres-elevez & des qualitez éminentes ou pour la guerre ou pour toute autre chofe. Encore une fois je ne fçaurois me perfuader qu'on fe foit fervi du furnom de Laudere qu'au fens que je lui donne.

Les Auteurs Latins, qui fe font fervi du terme de rates, n'ont jamais prétendu que ce fuffent de véritables radeaux : mais fup. pofé qu'ils euffent pris le terme fur ce piedlà, ils ne fe feroient pas moins trompez. Ils pourroient bien avoir pris cette imagination de Thucidide pour embellir cet endroit de la premiere guerre Punique cet Auteur parlant douteufement des premiers habitants de la Sicile, dit que ceux qu'on nom me proprement Siciliens font passez d'Italie fur des radeaux dans un tems calme, ou de toute autre façon. Cela peut fe faire lorfqu'on n'a aucun ennemi à craindre & qu'on prend une toute autre route que celle de Claudius. On fe fouviendra de la guerre de Spartacus, qui employa vainement des radeaux pour le paffer. Il fe pourroit bien que le terme de rates fignifiàt un radeau plutôt qu'un vaiffeau, au moins je l'ai vû en ce fens dans Florus. Mais ce même Auteur ne dit pas un mot du paffage des Romains fur des radeaux. Un auffi habile abréviateur que lui auroit-il laiffe paffer un fait de cette importance s'il en eût été perfuadé? Il ne l'ignoroit peut-être pas: mais il le regardoit comme un conte populaire. Cependant l'on voit des Sçavans qui le débitent tout bonnement & comme véritable. On ne doit faire honneur à certains faits qu'en ces deux cas; l'un lorfqu'il n'y a rien de romanef que ou qui ne foit très vraisemblable, & l'autre lorfqu'on veut s'en mocquer & les tourner en ridicule : mais, dira-t-on, à quoi eft-ce qu'Appius doit fon nom de guerre de Caudex? L'Abbé de Vertot nous l'explique, mais d'une maniere dont on ne fçauroit s'empêcher d'être un peu furpris. Il dit que ce Général fut le premier qui à la faveur de quelques radeaux fit paffer des troupes dans la Sicile, ce qui lui fit donner le furnom de Caudex, comme aiant trouvé l'art de lier ensemble des planches pour en faire des vaiffeaux de transport. Je voudrois bien fçavoir où cet habile Ecrivain a trouvé cela. S'il l'a trouvé, je n'aurois pas voulu le..

a

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