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Jugement que porte Pc

Fabius

juftifiera la pensée que j'ai eue de raporter en peu de mots ce qui fe trouve chez les autres Historiens & facilitera l'intelligence de ce que je dois dire. Nous nous étendrons un peu plus fur la guerre des Romains & des Carthaginois en Sicile. Car on auroit peine à en trouver une qui ait été plus longue, à laquelle on fe foit préparé avec plus de foin, où les exploits fe foient fuivis de plus près, où les combats aient été en plus grand nombre, où il fe foit paffé de plus grandes chofes. Comme les coûtumes de ces deux Etats étoient alors fort fimples, leurs richesses médiocres, & leurs forces égales, c'est par cette guerre plutôt que par celles qui l'ont fuivie, , que l'on peut bien Juger de la conftition particuliére de ces deux Républiques.

Une autre raison encore m'a engagé à un plus long détail fur lybe de Phi- cette guerre c'est que Philinus & Fabius qui paffent pour en & de avoir parlé le plus fçavamment, ne nous ont pas rapporté les chofes avec autant de fidélité qu'ils devoient. Je ne crois pas qu'ils aient voulu mentir, leurs mœurs & la fecte qu'ils profeffoient les met à couvert de ce foupçon. Mais il me femble (a) qu'il leur

(a) Qu'il leur eft arrivé ce qui ar-
rive aux amans à l'égard de leurs mai
reffes. Notre Auteur entreprend ici
Philinus & Fabius fur la liberté qu'il fe
font donnée d'ajouter beaucoup de chofes
de leur invention, & outre cela de mu-
tiler, eftropier & fracaffer pour ainfi dire
la fimétrie & l'ordre des faits qu'ils rap-
portent. A ce que je vois les anciens a-
voient leurs Limiers à Rome comme nous
avons les nôtres en Holande
gens qui
font métier de flater, de mentir & de
faire triompher les vaincus.

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L'hiftoire de Louis XIV: de Limiers
eft bien autrement parfemée de faits moi
tié roman moitié hiftoire, que celles de
Philinus & de Fabius fur lefquels Poly-
be tire fi fort. Il n'ufe pas mal fa pou
dre nous n'uferons pas beaucoup de la
nôtre fur un hiftorien qui ne vaut pas
le coup. Voiez s'il vous plaît quelle har-
dieffe il fait affiéger Leffingue qui n'eft
qu'à une licuë d'Oftende c'eft à dire à
pas
de l'endroit où il écrivoit fon
hiftoire. Il dit que l'armée des alliez con-
tre la France en fit le fiége, que la gar-
nifon fe rendit fans aucune refiftance &.
qu'elle fut faite prifonniere de guerre fe-
lon la mode de ce tems-là
que le Ma-
réchal de Villars retorqua fur eux deux
ou trois campagnes après ce fiége eft de

deux

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fa façon. Il ne fçait pas que ce furent.
les François qui emporterent ce pofte d'in-
fulte, que la garnifon, qui étoit Angloi-
fe, fut prifonniere de guerre & que
teur de cet ouvrage en eut le
ment pour l'avoir fait prendre.

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l'Au

gouverne

La bataille de Caffano du même hiftorien gazettier, dans le ftile comme dans le faux eft encore de fa façon. Il eft. bon de l'avertir que le Te Deum que les Alemans firent chanter à Treville, & dont Larrey fe moque dans l'hiftoire de ce grand Roi, n'étoit n'étoit pas fans doute pour remercier Dieu de leur victoire, Il fut chanté à autre intention, & unila plus grande partie de nos forces, qui quement pour lui rendre grace de ce que étoit à Rivalta n'avoit pas marché à notre fecours, & n'étoit pas tombée fur leurs derrieres. Qui peut douter qu'ils n'euffent paffe fous le joug, pour parler à la façon des anciens fles ennemis fe füffent un peu plus obftinez: mais la bataille aiant été terminée en deux ou trois heures, le Grand-Prieur de France n'eut peut-être pas le tems de profiter d'une fi belle occafion. N'eft-ce pas un trèsgrand fujet de louer Dieu, de s'être retirez d'un pas fi dangereux, & d'en avoir. été quitte pour la perte du champ de bataille, pour des morts & des bleffez

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eft arrivé ce qui arrive d'ordinaire aux amans à l'égard de leurs maîtreffes. Le premier, fuivant l'inclination qu'il avoit pour les Carthaginois, leur fait honneur d'une fageffe, d'une prudence & d'un courage qui ne fe démentent jamais, & représente les Romains d'une conduite toute oppofée. Fabius au contraire donne toutes ces vertus aux Romains & les refufe toutes aux Carthaginois. Dans toute autre circonftance une pareille difpo fition n'auroit peut-être rien que d'eftimable. Il est d'un honnête homme d'aimer fes amis & fa patrie, de haïr ceux que fes. amis haïffent, & d'aimer ceux qu'ils aiment. Mais ce caractére eft incompatible avec le mêtier d'hiftorien. On eft alors obligé de louer fes ennemis, lorfque leurs actions font vraiment louables ; & de blâmer fans ménagement fes plus grands amis, lorfque leurs fautes le méritent. La vérité est à l'histoire ce queles yeux font aux animaux.

Si l'on arrache à ceux-ci les yeux, ils deviennent inutiles, & fi de l'histoire on ôte la vérité, elle n'eft plus bonne à rien. Soit amis, foit ennemis, on ne doit à l'égard des uns & des autres confulter que la justice. Tel même a été blâmé pour une chofe, qu'il faut louer pour une autre ; n'étant pas poffible qu'une mê me perfonne vife toujours droit au but, ni vraisemblable qu'elle s'en écarte toujours. En un mot il faut qu'un hiftorien, fans aucun égard pour les auteurs des actions, ne forme fon jugement que fur les actions mêmes.

Quelques exemples feront mieux fentir la folidité de ces mames. Philinus, entrant en matiére au commencement de fon fecond Livre, dit que les Carthaginois & les Syracufains mirent le fiége devant Messine, qu'à peine les Romains furent arrivez par mer dans cette ville qu'ils firent une fortie fur les Syracusains ; qu'en ayant été repouffez avec perte ils rentrérent dans Meffine, que revenus enfuite fur les Carthaginois, ils perdirent beaucoup de monde ou tué ou fait prifonnier. Il dit de Hiéron, qu'après la bataille la tête lui tourna tellement,que non feulement il mit le

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lente, très-meurtrière & où le Prince Eus-
gene étoit en perfonne nous fûmes for-
čez à la vérité; mais un cellier & un pou---
lailler tinrent bon. Nous fumes fecourus
après un combat qui dura toute la nuit
ou pour mieux dire nous ne le fûmes pas,
les Imperiaux s'en dégoûterent & nous laif-
ferent-là, après avoir perdu plus de 1400,-
hommes.

feu à fon camp & s'enfuit de nuit à Syracufe, mais encore abandonna toutes les fortereffes qui étoient dans la campagne de Mesfine. Il n'épargne pas davantage les Carthaginois: à l'entendre ils quittérent leur retranchement auffitôt après le combat, ils se difperférent dans les villes voifines, aucun n'ofa fe montrer au dehors. Les Chefs voiant les troupes faifies de fraïeur, craignirent de s'expofer à une bataille décisive. Selon lui encore les Romains pourfuivant les Carthaginois ne fe contentérent pas de défoler la campagne, ils entreprirent encore d'affiéger Syracufe. Tout cela eft à mon fens fort mal afforti & ne mérite pas même d'être examiné. Ceux qui felon cet historien affiégeoient Meffine, & remportoient des victoires, font ceux-là même qui prennent la fuite, qui fe réfugient dans les villes, qui font affiégez, qui tremblent de peur ; & au contraire ceux qu'il nous dépeignoit comme vaincus & affiégez, il nous les fait voir enfuite pourfuivant les ennemis, fe rendant maîtres de tout le païs & affiégeant Syracufe. Quel moyen d'accorder ensemble ces contrariétez ? Il faut de néceffité ou que ce qu'il avance d'abord, ou que ce qu'il dit des événemens qui ont fuivi, foit faux. Or ces événemens font vrais. Il eft fûr que les Carthaginois & les Syracufains ont déferté la campagne & que les Romains auffitôt ont mis le fiége devant Syracufe. Il convient lui-même qu'Echetla, ville fituée entre les terres des Syracufains & celles des Carthaginois fut auffi affiégée. On ne doit donc faire aucun fond fur ce qu'il avoit affuré d'abord ; à moins qu'on ne veuille croire que les Romains ont été en même tems & vaincus & vainqueurs. Tel eft le caractére de cet hiftorien d'un bout à l'autre de fon ouvrage, & l'on verra en fon tems que Fabius n'est pas exemt du même défaut. Mais laiffons là enfin ces deux Écrivains, & par la jonction des faits tâchons de donner aux lecteurs une idée jufte de la guerre dont eft question.

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M. Otacilius & M. Valerius Confuls font alliance avec Hiéron, Préparatifs des Carthaginois. Siége d'Agrigente. Premier combat d'Agrigente. Second combat, & retraite d' Annibal.

DES

pour

Es qu'à Rome on cut avis des fuccès d'Appius dans la Sicile, on créa Confuls M. Octacilius & M.Valerius, & on leur donna ordre d'y aller prendre fa place. Leur armée confiftoit en quatre Légions, fans compter les fecours que l'on tiroit ordirement des alliez. Ces Légions chez les Romains fe lévent tous les ans & font compofées de quatre mille hommes d'infanterie & de trois cens chevaux. A l'arrivée des Confuls, plufieurs villes des Carthaginois & des Syracufains fe rendirent à difcrétion.. La fraïeur des Siciliens jointe au nombre & à la force des Légions Romaines, faifant concevoir à Hiéron que celles-ci auroient le deffus, il dépêcha aux Confuls des Ambaffadeurs traiter de paix & d'alliance. On n'eut garde de refuser leurs offres, on craignoit trop que les Carthaginois tenant la mer ne fermaflent tous les paffages pour les vivres crainte d'autant mieux fondée que les premieres troupes qui avoient traverfé le détroit, avoient beaucoup fouffert de la difette. Une alliance avec Hiéron mettoit de ce côté-là les Légions en fûreté, on y donna d'abord les mains. Les conditions furent que le Roi rendroit aux Romains fans rançon ce qu'il avoit fait fur eux de prifonniers & qu'il leur paieroit cent talens d'argent. Depuis ce tems Hiéron, tranquille à l'ombre de la puissance des Romains, à qui dans l'occafion il envoioit des fecours, regna paisiblement à Syracufe, gouvernant en Roi qui ne cherche & n'ambitionne que l'eftime & l'amour de fes fujets. Jamais Prince ne s'eft rendu plus recommandable, & n'a joui plus longtems des fruits de fa fagefle & de fa prudence..

des Cartha

On apprit à Rome avec beaucoup de joie l'alliance qui s'étoit Préparatifs faite avec le Roi de Syracufe & le peuple fe fit un plaifir de la ginois. ratifier. On ne crut pas après cela qu'il fût néceffaire d'envoier en Sicile toutes les troupes, deux Légions fuffifoient: parce que Hiéron s'étant rangé du parti de Rome, le poids de cette guer re n'étoit plus à beaucoup près fi pefant, & que par-là les armées auroient en abondance toute forte de munitions. Les Cartha

Siége d'Agrigente.

ginois voiant que Hiéron leur avoit tourné le dos & que les Romains avoient plus à cœur que jamais d'envahir la Sicile, ils penférent de leur côté à fe mettre en état de leur tenir tête & de fe maintenir dans cette Ifle. Ils firent de grandes levées de foldats de-là la mer, dans la Ligurie, dans les Gaules, plus grandes encore dans l'Espagne & les envoiérent toutes en Sicile; & comme Agrigente (a) étoit la ville la plus forte & la plus importante de toutes celles qui leur appartenoient, ils y jettérent tous leurs vivres & toutes leurs troupes, & en firent leur place de guerre.

Les Confuls qui avoient fait la paix avec Hiéron étant de retour à Rome, on leur donna pour fucceffeurs dans cette guerre L. Poftumius & Q. Mamilius, qui aiant pénétré d'abord où tendoient les préparatifs que les Carthaginois avoient faits à Agrigente, pour commencer la campagne par un exploit confidérable, laifférent là tout le refte, furent avec toute leur armée attaquer cette ville, & campérent à huit stades (b) de la place &

(a) Comme Agrigente leur parut la ville la plus forte & la plus importante. ] Agrigente ou Agragas ville de Sicile aujourd'hui Gergenti, autrefois célébre par fes richeffes comme par fa force. Polybe en donne la defcription dans fon IX Livre. Diodore de Sicile en parle magnifiquement. Bayle dans fon Dictionaire renverse tout ce que Moreri en a dit. Nous en parlerons en fon lieu.

(b) Campérent à huit ftades de la place. Il y a eu anciennement deux ftades, comme deux talens. On comptoit fix cens pieds à chacun de ces stades, dans les lieux où il étoit en ufage, comme on comptoit foixante mines à chaque talent.

L'un de ces deux ftades étoit néanmoins plus petit que l'autre de deux cinquièmes, de forte que les fix cens pas du grand ftade valoient mille pieds tels qu'on les emploioit au petit ftade.

Et tout de même l'un des deux talens étoit plus petit que l'autre de deux cinquiémes, de forte que les foixante mines du grand talent valoient cent mines de celles dont on comptoit foixante au petit

talent.

Le petit ftade & le petit talent étoient
le ftade & le talent d'Athenes : c'étoient le
ftade & le talent les plus communs.

Le grand ftade étoit le ftade de Delphes
& le grand talent étoit le talent d'Egine.
Le petit ftade étoit de quatre cens pieds
Romains, ou de quatre-vingt pas.

Ainfi-il y en avoit douze & demi au mille Romain.

Le grand ftade étoit de cent trente trois pas Romains deux tiers, & il y en avoit fept & demi au mille.

Ce fyftême fur le ftade eft de M. de la Barre, qui en donnera les preuves dans fes nates fur Hérodote, dont-il fe dispose à nous donner une nouvelle traduction.

En attendant que cet ouvrage paroiffe, nous nous en tiendrons à la commune opinion, qui eft que la longueur régulière du ftade étoit de 125. pas qui reviennent felon Pline à 625. pieds Romains. Nous ne fommes pourtant pas plus fçavans fur cette mefure, fi nous ne fommes bien affurez du pied Romain. Le célébre dom Bernard de Montfaucon dit, qu'on croit que le pied Romain d'aujourd'hui eft le même que l'ancien pied romain dont la mesure fe trouve au Capitole. Le pied Romain a un douzième moins que notre pied de roi. L'ancien pied Romain ou Italien avoit felon Héron, deux feizie mes & demi moins que le pied de roi ancien, qu'on appelloit auffi Philæterius. Si le pied Romain d'aujourd'hui eft le même que l'ancien, il s'enfuit de la que l'ancien pied de roi, dont parle Héron, étoit confidérablement plus grand que le nôtre, puifqu'il avoit deux feiziémes & demi plus que le pied Italien, & que le notre n'a qu'un douziéme acc deffus.

Le paffage de Pline ne nous met pas davantage au fait du ftade non plus que le pied renfermérent

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