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BATAILLE NAVA

LE DE MILAZZO.

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virer de bord & s'en approcher. En prenant ce parti, il combattoit Duillius à forces égales. Cette précaution lui vint fi peu à l'efprit, qu'il n'attendit pas même que fa premiére ligne fût entiérement formée; mais par un aveuglement, qui a peu d'exemples dans un combat de mer, où il eft rare d'être furpris, il vogua étourdiment avec une partie de fes vaiffeaux 2, pendant que l'autre 3, avoit à peine levé l'ancre. Notre Auteur, très-alerte à faifir les moindres fautes qui fe commettent à la guerre, dit que les Carthaginois fe gouvernérent avec fi peu de jugement, & avec tant de mépris de l'ennemi, qu'ils alloient comme à un but n qui ne pouvoit leur échaper.

On fçait combien ce mépris eft avantageux au foldat. Rien ne lui reléve plus le cœur & l'audace, & ne redoubledavantage fes efpérances pour la victoire. Un Général, qui fçait le leur inspirer par son éloquence, n'a pas lieu de s'en repentir; mais s'il s'en remplit lui-même la tête, il court rifque de le faire tomber fur lui-même, parce qu'alors il eft ennemi des précautions, & qu'il va trop vîte dans les chofes qui demandent beaucoup de prudence & de circonfpection.

Annibal parut en préfence des Romains 4, dans l'état que je viens de dire; il les tint à demi battus. Dès qu'il fut alsez proche, il apperçut ces nouvelles machines, qu'on appelloit Corbeaux, fur toutes les proues des galéres Romaines : il en parut fort étonné, ne fçachant ce que ce pouvoit être.

Son étonnement ne doit pas nous furprendre. On remarque dans toutes les chofes de la guerre, que ce qui n'a pas été auparavant pratiqué, quelque leger, & même quelque abfurde & quelque puéril qu'il puiffe

Tome I.

être, ne manque jamais de caufer de la furprife par fa nouveauté, & l'imagination l'augmente toujours. Si ce qu'on voioit, & auquel on ne comprenoit rien, n'eût fait impreffion que fur l'efprit du Général, peutêtre que l'on eût combattu avec le même courage & les mêmes efpérances; mais la vûe de ces machines fit encore un plus grand effet fur l'efprit de fes foldats : cela les jetta dans le doute & dans la crainte, & auffitôt toutes ces belles idées de victoire & de butin s'évanouirent. Un rien produifit un fi grand changement, puifqu'en effet c'étoit fort peu de chofe que cette machine qui leur faifoit tant de peur.

Malgré tout ce que je viens de dire, les Carthaginois, remis peutêtre de leur crainte, attaquent avec beaucoup de vigueur; mais comme toutes leurs forces n'avoient pas encore joint, & que les vaiffeaux combattoient à mesure qu'ils arrivoient, on reconnut bientôt ce que peut le bon ordre & les forces réunies contre une armée qui manque de l'un & de l'autre.

On ne méprife rien fans péril à la guerre. Il eft bon d'ufer de précautions non feulement contre un ennemi foible & fans mérite; mais même après plufieurs victoires remportées fur lui, à plus forte raifon dans le commencement d'une guerre, lorfqu'on n'a rien éprouvé qui puiffe favorifer & appuier notre opinion.

Annibal connoiffoit le courage des Romains, il l'avoit éprouvé à Agrigente. Il avoit une haute idée du courage, de la confiance & de l'expérience de fes troupes, foit ; mais cela fuffit-il pour le fuccez des grandes entreprises, s'il négligeoit d'ailleurs le feul & unique avantage fans lequel tous les autres étoient inutiles? N'eft-ce pas la faute du monde la

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