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eft une voie d'égarement & de vifions qui ne font toujours la marque d'un petit esprit.

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Je donne les Figures de toutes les machines des Anciens que j'ai découvertes, & une infinité d'autres Eftampes qui représentent leurs lignes de circonvallation & de contrevallation, leurs approches, leurs différentes méthodes dans la defcente du foffé, leurs galeries fouterraines, leurs tours, leurs forties, & les forces mouvantes de ces lourdes machines, &c. toutes ces matiéres font dignes de l'attention des habiles gens, parce qu'elles font toutes nouvelles.

On peut juger combien une femblable entreprise coûte de peines, de foins, de recherches & de dépenfes, par les expériences que j'ai été obligé de faire, & qu'il m'a fallu fouvent répéter. J'aurois pû pouffer plus loin que je n'ai fait, & m'embarquer dans d'autres découvertes; mais comment pouvoir en venir à bout? Les facultez d'un Particulier ne fuffifent pas, je me produis peu, & je n'importune perfonne. Ceux qui aiment cette forte de Litterature d'antiquité militaire, qui eft de toutes la plus agréable, en auront ici plus qu'ils n'en devroient attendre raisonnablement d'un homme de ma profesfion.

On n'entretient pas toujours le Lecteur de fiéges, de combats & de batailles, de tems en tems on lui préfente des objets plus tranquilles & plus doux. Tantôt c'est le caractére & l'éloge d'Hiéron, tantôt la vie d'Agathocles Tyran de Syracufe. Dans un endroit on fait voir de quels artifices les Romains fe font fervis pour étendre leur domination fur tous les Etats du monde; dans un autre quel a été leur efprit & leur conduite & l'adreffe de leur politique militaire dans la feconde Punique ici les mœurs, le caractére & la politique des Carthaginois: là

celle des Grecs & des différens peuples de l'Afie, &c. fans compter les digreffions qui fe rencontrent en affez grand nombre, & qui roulent prefque toutes fur des fujets moins bruians & moins terribles que ceux que la guerre a coutume de nous préfenter.

Enfin, de peur que les éxemples trop éloignez du tems où nous vivons, ne fiffent pas affez d'impreffion, & que dans l'application des principes ils ne vinflent pas affez facilement à l'efprit; on en a ajouté d'autres plus récens, & tirez pour la plupart de nos derniéres guerres. On doit bien s'attendre que nous n'épargnerons pas là-dessus nos réfléxions; nous avons faifi cette idée d'autant plus volontiers, qu'elle nous fournissoit l'occafion de témoigner publiquement l'eftime que nous faisons des Généraux d'armée qui ont illuftré leur fiécle par leur valeur & leur habileté. Quelquefois, à la vérité, nous disons librement ce que nous penfons de certaines entreprises qui ne nous paroiffent pas avoir été conduites felon les régles de la guerre : nous jugeons avec la même liberté des autres qui ont été rejettées, ou négligées au moment de l'éxécution par une prudence mal entendue, par faute de hardieffe, de mauvais confeils ; & d'autres enfin qui ont échoué bien moins par la faute du Général que par l'incapacité, la mauvaise volonté, la malice, ou la foibleffe de ceux qui en étoient chargez.

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Mais la plupart de ceux-là font morts, & à l'égard des autres qui vivent encore, ils font affez raisonnables pour ne pas me fçavoir mauvais gré de la liberté que je prens. Je ne pense pas que qui que ce foit fe croie infaillible. En tout cas je ne veux pas qu'on m'accufe d'être du nombre de ceux qui aiment mieux mentir ou déguifer un fait, que de s'expofer aux mauvais offices de

ceux qui pourroient s'oppofer à leur fortune, ou les perdre tout à fait. A ce prix là je ne briguerai jamais la faveur de perfonne, je fuis content de mon fort tel qu'il puiffe être ; & quand celui de Bélifaire me feroit destiné, j'ai assez de courage & de Philofophie pour le fupporter. La vérité a été de tout tems opprimée; mais jamais les ennemis de cette vérité n'ont pû ôter la gloire, ou du moins la confolation des perfécutions aufquelles font expofez ceux qui l'écrivent. Il eft pourtant certain que cette gloire, que produit la vérité, eft infiniment plus grande dans le Prince, ou dans ceux qui gouvernent, lorfqu'ils fouffrent qu'on la dife & qu'on l'étale dans le plein jour.

Je ferois bien marri d'emploier le peu de talens que Dieu m'a donnez, & le peu de tems qui me reste à vivre, à déguifer la vérité par de baffes flateries. Ce ne font pas les fautes qui déshonorent un homme de guerre, c'eft la lâcheté & les mauvaifes actions. Je n'attaque perfonne à cet égard; & fi j'en rapporte de bien mauvaises & de bien infames, je les tire des éxemples éloignez. Quelque éteinte que foit, dit Tacite, la famille de ceux qui ont commis des lâchetez, il fe trouve toujours quelques-uns qui par reffemblance s'intéreffent à leur condamnation, & ne peuvent fouffrir les défauts ou les mauvaises actions dont l'Hiftorien les charge. Sur ce piedlà il faudroit jetter toutes les Hiftoires au feu.

Les Princes, les Grands du monde, ou les Généraux d'armées, dit quelque part un Hiftorien judicieux, doivent s'imprimer fortement dans l'efprit que leur rang les expofant à la vûe de tout le monde, tout ce qu'ils Puffendorf font de bon & de mauvais est toujours connu d'un fort Comment. grand nombre de perfonnes, & les derniers ont pour té- Suecicis. moins leurs foldats & leurs Officiers, qui voient fouvenɛ

de rebus

le

fort clair. Un Hiftorien eft en droit de tranfmettre à la poftérité leurs actions telles qu'il les trouve, ou telles qu'il les a vûes; le feul moien que les uns & les autres aient pour prévenir le blâme des fiécles à venir, est de bien faire : le Monarque peut imposer filence à fes fujets tandis qu'il eft en état de fe faire craindre, les autres peuvent par leur crédit auprès du Monarque, ou de fes Miniftres; mais ni le Monarque ni les Ministres ne viendront jamais à bout d'arrêter la plume des Etrangers, ou des Ecrivains défintéreffez qui vivront après lui. Il vaut mieux imiter Trajan. Ce grand Capitaine tira un grand avantage des vices de Domitien: car il avoit fçû par fa propre expérience, dit M. de Tillemont, quelle mifere c'est que de trembler fous un Tyran en danger d'éprouver fa cruauté. Il avoit vû combien les méchans Princes font déTillemont, teftez de tout le monde, & de ceux-mêmes qui les rendent Emp. Vie méchans Princes par leurs mauvais confeils & par leurs flade Trajan. teries; ainfi il voioit dans ce qu'il avoit fouhaité

Hift. des

ou blâmé étant particulier, ce qu'il avoit à faire ou à éviter étant Empereur. Ses bonnes qualitez étoient d'autant plus agréables, qu'elles étoient oppofees aux vices de Domitien: auffi n'avoit-il garde de trouver mauvais qu'on blamât & Domitien les autres méchans Princes; comme il en étoit fi différent, il ne s'intéresfoit nullement à leur défense, sçachant bien que tout ce qui fe difoit contr'eux ne pouvoit retomber fur lui, & que même on n'aime pas affez les bons quand on'ne hait pas les déréglemens des méchans. Quand on ne blâme point, dit Pline, un méchant Prince après fa mort, c'est que fon fucceffeur lui ressemble.

D'ailleurs bien des raisons femblent devoir me raffûrer contre la mauvaise humeur de ceux à qui certaines véritez peuvent déplaire, & aufquels la maxime de Tacite, citée plus haut, peut être appliquée. Les plus éclairez

fçavent

fçavent mieux que perfonne combien la science de la guerre est vaste & étendue, combien elle embraffe d'autres connoiffances. Combien faut-il avoir de qualitez de la nature, combien d'étude & d'expérience, pour être également habile dans toutes fes parties? Mais quand on n'auroit qu'à fe féliciter fur les premiéres, quand on n'auroit rien à fe reprocher fur les fecondes, la vigilance ne s'endort-elle pas quelquefois? L'attention n'est-elle jamais détournée? Que l'on me nomme un Général de l'antiquité, un des plus renommez de nos Modernes, quelque parfaits qu'ils foient, ausquels on ne puisse rien reprocher?

D'ailleurs en prenant quelquefois la liberté de ne pas approuver certaines actions militaires, loin d'avoir eu intention de diminuer par là la gloire de leurs Auteurs, je n'ai prétendu que la rehauffer: car fi je les avois louées comme celles qui font véritablement dignes de nos éloges, qu'auroit-on penfé, ou de mon difcernement ou de ma fincérité? Au lieu qu'en rendant aux uns & aux autres la juftice qui leur est dûe, le témoignage que je rends en faveur de celles, qui font conformes aux régles de la guerre, devient croiable par celui que je porte contre celles qui lui font contraires.

Si j'avois perverti la vérité pour ne pas déplaire aux uns, & pour flater les autres, j'aurois fait plus de mal que de bien, & paffé non feulement pour un flateur infigne, mais fourni encore des réfléxions malignes à ceux qui ont été les témoins des événemens, & reffuscité ou rappellé des idées fâcheuses & défagréables à la honte de ceux dont j'aurois pallié ou couvert les défauts ou les mauvaises manœuvres, l'on y feroit revenu comme au premier jour. C'est en effet ce qu'a produit une Hiftoire imprimée depuis peu de tems; je n'en avois jamais tant

Tome I.

d

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