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t-on, dont jusqu'ici perfonne ne s'étoit encore avifé, qui combat toutes les pratiques généralement fuivies de tout ce qu'il y a de grands Capitaines depuis près de deux fiécles; cela eft férieux : mais je demande à ceux qui se fcandalifent de ma conduite & de ma hardieffe, fi depuis ce tems-là on n'a rien changé dans notre méthode, même dans les plus grandes parties de la guerre, & fi l'on n'a pas abandonné certains ufages pour en prendre de tous nouveaux ? L'on n'en difconviendra pas peut-être : puisque chaque guerre a produit quelques nouveautez bonnes ou mauvaises, & particuliérement dans la Tactique, Qu'on ne dife pas que ces altérations & ces changemens étoient de peu d'importance, & qu'elles ne confiftoient que dans des moiens de perfection qui ne changeoient en rien le fond des chofes,& qui ne tendoient qu'à les rendre plus éxactes & plus fûres dans leurs opérations.

Nous fçavons parfaitement le contraire par les Auteurs militaires, & par les Historiens qui ont écrit depuis plus de deux fiécles; c'est là qu'on voit les méthodes différentes, les plans gravez, les ordres de batailles, & les diverfes pratiques dans l'art de se ranger & de combattre : & ce qui prouve manifeftement combien nous étions peu verfez dans la Tactique, & combien on en reconnoiffoit le faux & l'abfurde, c'eft qu'on revenoit fouvent aux mêmes ufages qu'on avoit abandonnez; on Ics quittoit enfuite pour d'autres qui ne valoient guéres

mieux.

Il n'y a guéres plus d'un fiécle & demi que la cavalerie combattoit fur un feul rang; celui qui propofa cette méthode, dont la Noue fe moque, n'étoit-il pas fou? Et ceux qui la reçûrent étoient-ils plus fages? Il eft pourtant certain qu'avant ce tems-là on combattoit par efcadrons, on reprit ces escadrons, mais fi gros & fi profonds.

qu'on les auroit pris pour ceux des anciens Perfes. On fe fouvint que les Grecs & les Romains les faifoient plus petits, parce que le propre de la cavalerie est l'action & la célérité de fes manœuvres, que les mouvemens graves ne conviennent pas à cette forte d'arme, & que les flancs font fi foibles qu'il n'y a rien de plus aifé à une petite troupe d'en battre une très-groffe, fi celleci s'avife de laiffer le front, & de s'abandonner fubitement fur le flanc.

Henri IV. fentit bien ce défaut, il fit fes efcadrons plus petits, & en diminua la profondeur; & bien qu'ils fuffent meilleurs, ils ne laissoient pas que d'être trop gros. Guftave - Adolphe, qui paffe pour plus grand Maître que Henri IV. c'eft beaucoup dire, changea tout dans la cavalerie & dans l'infanterie, & s'en trouva bien. Voilà l'époque des petits efcadrons chez les Modernes, mais non pas celle des pelotons que Gustave inferoit parmi fa cavalerie; elle se trouve à la bataille de Pavie fous le régne de François I.

A l'égard de l'infanterie, elle étoit très-mal rangée. J'y remarque une infinité de changemens & d'ordres tous bizarres & tous mauvais; lorfqu'on s'avifa un peu tard, c'est-à-dire fous le même Guftave, de fuivre la méthode Romaine fur deux lignes & une réserve, les bataillons en quinconce; le Prince Maurice l'avoit pratiquée avant ce grand Capitaine, mais avec moins de perfection. On remarquera pourtant que ces deux grands hommes combattirent toujours fur dix & fur douze de hauteur à leur infanterie; & bien qu'ils euffent deux tiers de Moufquetaires dans chaque corps, bien loin de s'amufer à tirailler fans s'aborder felon la ridicule méthode d'aujourd'hui, ils en venoient tout auffitôt aux mains fans autre céremonie, & nous faifons tout le con

traire

traire dans la maniére de nous ranger comme dans celle de combattre. Ce qu'il y a de plus fâcheux dans une méthode fi timide, c'eft qu'une difpofition quelque bonne qu'elle puiffe être, eft. tout comme rien, puifqu'aucun des partis n'en vient aux prifes; fi les Henris, fi les Guftaves, fi les Turennes, fi les Condez & les Luxembourgs levoient la tête hors de leurs tombeaux, ne se moqueroient-ils pas de nous ?

Une méthode fi bizarre dans la maniére de ranger & de faire combattre nos bataillons, eft tout ce qu'on peut imaginer de plus mauvais & de plus meurtrier : & l'on trouve étrange que je n'y applaudifse pas. Il faut donc fe conduire en toutes chofes non par la voie de l'éxamen, mais par celle de la coutume & de l'autorité. Si cet éxamen nous eft interdit, où en fommes-nous ? Sur cela j'ai à citer un paffage de Montagne : Qui voudra fe défaire, dit-il, de ce violent préjugé de la coutume il trouvera plufieurs chofes reçues, qui n'ont d'autre appui que la barbe chenue & les rides de l'usage qui les accompagne: mais ce mafque arraché, rapportant les chofes à la raison, il fentira fon jugement tout bouleversé, remis pourtant plus fûr état.

à

Si je propose des loix & une méthode de combattre toute nouvelle, je ne les tire pas toutes de ma tête; elles ont été en vigueur autrefois : elles ne font donc pas nouvelles, ce n'eft donc qu'un retour aux anciennes, à quelque chofe près.

Je ne cherche point à ruiner nos inftitutions les plus admirables, les plus belles, les plus fages & les plus utiles à l'Etat, aux peuples & aux troupes. Par exemple, on ne me verra pas propofer la fuppreffion des Etapes, qui étoient une invention Romaine, & des Hôpitaux, comme on a fait, malgré les oppositions des gens fages.

Tome I.

e

Franchement ce n'eft point difcerner ce qui vaut la peine d'être réformé d'avec ce qui n'en eft pas digne. Les Princes les plus éclairez font fouvent furpris faute d'attention. C'est de ces fortes de changemens dangereux qui portent fur la ruine des peuples & des troupes, dont on doit fe plaindre, & revenir le plus promptement qu'il eft poffible aux anciens ufages; ce font ceux- là qu'on doit conferver bien loin de les anéantir. Tout ce que je propofe tend uniquement au bien de l'Etat & de la Milice. Il ne s'agit pas ici d'antiquité, ni de nouveauté, mais d'éxaminer fi nos fentimens font vrais & fufceptibles de démonftration, & fi ceux qui en fuivent de tout contraires font dans l'erreur ou dans leur bon fens. Si les coutumes reçûes font pernicieuses, dit un Auteur, il ne faut pas fe récrier lorfqu'on le fait voir; & fi les opinions nouvelles font droites & juftes, faut-il s'opiniâtrer à conferver les premiéres pour rejetter les autres, qui font une fource de falut?

On n'allégue pas feulement l'argument de la nouveauté & de la fingularité; mais on nous demande encore, fi nous en fçavons plus, fi nous avons plus d'efprit & de difcernement que tant de grands Hommes , que tant d'habiles Ecrivains, Rois, Princes, Généraux d'armées, & tant d'autres qui ont traité de la science des armes parmi lefquels les Anciens fe font diftinguez; qu'on ne remarque rien dans ceux-ci de mes principes & de ma méthode, ni presque rien à cet égard de ce que j'ai traité dans mon Livre des Nouvelles Découvertes, peut-être moins encore dans ce grand Ouvrage. Cependant, difent-ils, on doit regarder ces Auteurs tant anciens que modernes comme des gens qu'il faut croire, du moins ceux qui ont écrit depuis vingt-cinq à trente ans. jusqu'à celui où nous vivons, & ces gens-là sont en très

grand nombre. J'en appelle à la raison, qui est le juge cômmun entre ces grands Hommes & tous les autres hommes. Ils fçavoient beaucoup en ce tems-là, mais ils ignoroient ce que nous fçavons en celui-ci. En tout cas nous imitons les grands Capitaines, contre lefquels le nombre n'eft d'aucune confidération. La vérité perdroit bientôt fa cause, fi elle étoit décidée à la pluralité des

voix.

pas

D'ailleurs ce qui nous refte des Auteurs dogmatiques de l'antiquité, fe réduit prefque à quatre Abréviateurs, mais habiles & judicieux. A l'égard des autres, qui formeroient une juste Bibliothèque, outre qu'ils ne font moins Abréviateurs, les preuves de leur peu de capacité se tirent manifeftement de leurs Livres ; les meilleurs, car ils ne font pas tous mauvais, ont prefque tout tiré de Végéce. D'ailleurs, qui en a lû un peut fe vanter de les avoir tous lûs; en un mot ce font des gens dont les derniers ne font que copier les premiers, au ftile & à la bigarrure près. Le meilleur de tous, & dont je fais un très-grand cas, je l'admire même quoique très-abrégé, eft fans doute Montécuculi, qu'il feroit à fouhaiter que l'on lût & que l'on méditât plus qu'on ne fait.

Lorfqu'il s'agit de rejetter certains fentimens, il faut auparavant se mettre à l'efprit, que le discernement du vrai & du faux étant une chofe fort difficile, on doit aller la bride un peu haute avant que de décider, fur tout si l'on n'est pas plus éclairé fur l'un que fur l'autre. Lorfqu'on n'eft pas habile, le meilleur & le plus prudent eft de ne pas décider fur les opinions d'autrui fans donner des preuves, ou éxaminer les matiéres. Jufques ici beaucoup de Décideurs fe font préfentez, mais aucun n'a donné des preuves. On n'a oppofé que la nouveauté, & la prefcription des ufages communément reçûs, tant les préju

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