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Il montra que le Decret fait par les Achéens pour ôter les id. p. 1245 honneurs à Euménes, fouffroit explication: qu'il devoit s'entendre non de tous, mais feulement de ceux qui feroient contre les loix, & que la République ne pouvoit accorder fans fe déshonorer que c'étoient Sofigénes & Diopithes Rhodiens, qui pour des différens qui les regardoient perfonnellement, avoient, contre le Decret des Achéens, fait cette infulte à Euménes qu'en cela ils n'avoient pas feulement paffé les bornes de leur pouvoir, mais bleffé encore la bienséance & la juftice; puifque fi les Achéens avoient retranché les honneurs à Euiénes, ce n'étoit pas qu'ils lui vouluffent du mal, mais parce qu'il en demandoit plus que fes bienfaits ne lui en avoient mérité que les Achéens devoient en cette occafion modérer les excès de ces deux Magiftrats, fçachant fur tout qu'Attalus ne feroit pas moins fenfible à cette faveur que le Prince fon frére. Sur ces raifons, on fit un Decret qui ordonnoit que l'on rétablît Euménes dans tous fes honneurs, à moins qu'il n'y en eût de déshonorans pour la République, ou contre les loix.

:

Sur le bruit que Perfée fe difpofoit à entrer dans la Theffalie, Archon fit dreffer un Decret qui portoit que la République leveroit une armée, pour aller dans la même Province au fecours des Romains. Il eut commiffion de lever des troupes, & d'amaffer les munitions néceffaires. On mit enfuite en délibération fur qui l'on jetteroit les yeux pour informer Quintus Marcius de la résolution que la République avoit prife, & on les jetta fur Polybe, en lui recommandant de prier le Conful de faire fçavoir quand il auroit befoin des foldats de l'Achaïe, de peur qu'ils n'arrivassent pas affez tôt, & de prendre garde lui-même, fi dans les villes où il pafferoit, il y avoit des magafins tout prêts pour le paffage des troupes. Polybe ne trouva pas les Romains dans la Theffalie, ils en étoient fortis, & campoient entre Azorium & Doliches. Il ne jugea pas à propos de paffer alors jufqu'à eux ; mais il eut part à tous les combats qui fe donnérent pour entrer dans la Macédoine.

Quand les Romains furent arrivez autour d'Héraclée, il crut que c'étoit le tems de les joindre, parce qu'alors le Conful avoit heureusement terminé la plus grande partie de fon expédition. Il fut donc trouver Marcius, & lui montra le Decret par lequel fes Concitoiens s'engageoient à partager avec les Romains tous les travaux & tous les dangers de cette guerre.

I. p. 1268.

Il le fit enfuite fouvenir de la promtitude & de la foumiffion
avec laquelle les Achéens avoient toujours éxécuté les ordres
qui leur étoient venus de la part du Sénat Romain. Marcius
remercia fort poliment les Achéens des offres obligeantes qu'ils
faifoient, ajoutant que pour le préfent ils pouvoient s'épargner
& les fatigues & les frais de cette guerre, parce que les Ro-
mains pouvoient la finir par leurs propres
forces & fans le fe-

cours de leurs alliez..

Ceux qui étoient collégues de Polybe dans cette Ambassade, retournérent dans leur patrie; pour lui il refta feul avec les Romains, & prit part à tout ce qui fe paffa dans la fuite; jufqu'à ce que Marcius aiant été informé qu'Appius Cento demandoit que les Achéens lui envoiaffent cinq mille hommes dans l'Epire, il le renvoia pour avertir fa République de ne pas donner ces troupes à Appius, qui les demandoit fans aucune néceffité. Polybe arrivant à Sicyone, où le Confeil fe tenoit, fut affez embaraffé. D'un côté il avoit des ordres de la part de Marcius qu'il ne pouvoit pas ne point faire connoître & de l'autre il étoit dangereux de refufer crument à Appius le fecours qu'il attendoit. Pour fe tirer d'intrigue, il fe fervit heureusement d'un Decret du Sénat, qui défendoit que l'on eût égard à ce que demanderoient par lettres les Commandans des armées, à moins qu'ils ne montraffent l'ordre du Sénat, ordre qu'Appius ne montroit pas. Par cet expédient Polybe épargna à fa nation une dépenfe de plus de cent mille écus s mais auffi il ouvrit un beau champ à ceux qui auroient eu def fein d'indifpofer Appius contre lui.

L'hiver de cette année n'étoit pas encore paffé, qu'il arriva dans le Péloponéfe une Ambaffade folemnelle de la part des deux Ptolémées Philométor & Evergétes, pour demander aux Achéens le fecours qu'ils leur devoient comme alliez des Rois d'Egypte. Les fentimens dans la place furent partagez. Calli crates, Diophanes & Hyperbatone ne trouvoient pas à propos que l'on accordât ce fecours; qu'en général il étoit de l'intérêt des Achéens de ne pas fe mêler des affaires étrangères, mais fur tout dans les circonftances préfentes, où il étoit important de ne pas divifer leurs forces, de peur de fe mettre hors d'état de fervir les Romains, qui ne tarderoient pas à donner une bataille générale à Perfée, puifque Marcius avoit fes quartiers dans la Macédoine.

Là deffus on hésitoit, perfonne n'ofant prendre ouverte

ment le parti des Ptolémées, de crainte d'encourir l'indignation des Romains. Alors Lycortas & Polybe prirent la parole, & dirent entr'autres chofes, que l'année précédente Polybe étant allé trouver Marcius pour lui offrir le fecours des Achéens, ce Conful, en le remerciant, lui avoit dit qu'une fois entré dans la Macédoine, il n'avoit pas befoin des forces des alliez ; que l'on ne devoit donc pas fe fervir de ce pretexte pour abandonner les Rois d'Egypte ; que dans les conjonctures, où ces Princes fe trouvoient, ce feroit une ingratitude extrême de ne leur pas prêter la main, après les bienfaits qu'on en avoit reçûs, & que l'on ne pouvoit manquer à ce devoir, fans violer les Traitez & les fermens, fur lefquels l'alliance étoit fondée. Déja la multitude panchoit vers ce fentiment, lorfque Callicrates, prévoiant qu'il alloit avoir du deffous, congédia les Magiftrats, fous prétexte que les loix ne permettoient pas qu'on délibérât fur de pareilles affaires

dans un marché.

Quelque tems après, à Sicyone, où le Confeil étoit affem- Id. p. 1270. blé, on remit la chofe fur le tapis. Là fe rendirent non feulement les Magistrats ordinaires, mais encore tous ceux qui étoient âgez de plus de trente ans. Polybe y aiant répété qu'il fçavoit de Marcius même que le fecours des Achéens lui étoit inutile, & aiant ajouté que quand même il feroit nécessaire aux Romains, cela ne devoit pas empêcher que la République n'en donnât auffi aux Prolémées, puifque ces Princes ne demandoient que mille piétons & deux cens chevaux ; qu'une fi pctite diverfion ne diminueroit pas beaucoup fes forces, puifqu'elle étoit en état de mettre fur pied trente ou quarante mille hommes: Polybe, dis-je, aiant parlé de la forte, le plus grand nombre fut d'avis que l'on envoiât du fecours aux Rois d'Egypte contre Antiochus, avec qui ils étoient en guerre; & malgré les oppofitions que fit Callicrates le troifiéme jour, où fe devoit dreffer le Decret, cet avis alloit l'emporter, lorfque ce Général fit entrer dans le théâtre un Courrier, comme envoié par Marcius, avec des lettres, où le Con- Id. p. 1272ful exhortoit les Achéens de s'entremettre pour ménager la paix entre les Ptolémées & Antiochus, ce qui étoit juftement le fyftême que Callicrates avoit propofé dans le Confeil, & que Lycortas avoit combattu par des raifons fans replique.

Polybe alors voiant les deux Rois abandonnez, & n'ofant contredire les lettres, qu'il croioit venir de Marcius, fe dé

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mit entiérement du gouvernement des affaires. Je crains que
les bons politiques ne pardonnent pas aifément ce dépit à Po-
lybe. Il fçavoit de quoi Callicrates étoit capable; la mémoire
de fon Ambaffade à Rome étoit encore toute récente, il ne
falloit pas ce femble être fort pénétrant pour foupçonner que
les lettres qu'il montroit étoient feintes. Avoit - il oublié, ce
qu'il rapporte lui-même dans fon premier Livre , que Mathos
& Spendius avoient emploié le même artifice, pour affermir
les révoltez d'Afrique dans leur rébellion? D'ailleurs le fecours
que les Rois d'Egypte demandoient, faifoient une fi petite
distraction des forces de la République, qu'il n'étoit guéres pro-
bable que
les Romains s'en offenfaffent. En tout cas il femble
qu'un Magiftrat qui avoit jufqu'alors témoigné tant de fermeté,
devoit plutôt s'expofer à tout leur reffentiment, que de laiffer
fa patrie entre les mains d'un traître, qui leur étoit entiérement
dévoué.

Les Ambaffadeurs des Ptolémées, fruftrez de leurs efpérances, montrérent au Confeil des lettres de leurs Maîtres, par lefquelles ces deux Rois demandoient qu'on leur accordât du moins Lycortas & Polybe; ce qui felon toutes les apparences ne leur fut pas refufé. Callicrates loin de s'y oppofer, fut fans doute ravi de fe débaraffer de deux hommes, qu'il trouvoit toujours en fon chemin, lorsqu'il vouloit trahir les intérêts & la liberté de fa République.

Après la défaite de Perfée par Lucius Emilius, Callicrates s'avisa d'un autre ftratagême pour achever de décrier auprès des Romains ceux qu'il n'avoit pû réduire à fes fentimens. Non content d'avoir éloigné les Achéens de toute liaison avec le Roi de Macédoine, dans le tems que joints avec ce Prince ils euffent pû tenir tête aux Romains, & fixer peut-être des bornes à leurs conquêtes, il eut l'audace, quand il vit ceux-ci maîtres de la Macédoine, de leur déférer nommément tous ceux qu'il foupçonnoit avoir eu du panchant à fecourir Perfée. Sur cette dénonciation, il fut conclu que l'on écriroit aux Achéens d'envoier à Rome tous ceux qui étoient fufpects d'avoir été favorables au Roi de Macédoine, & deux des dix Députez, qui étoient partis de Rome pour régler les affaires de ce Roiaume, Id. p. 1275. fçavoir C. Claudius & Cn. Domitius Enobarbus, allérent dans l'Achaïe, tant dans la crainte que les Achéens ne refufaffent de fe foumettre aux lettres, qui leur avoient été écrites, & que Callicrates ne fût puni des calomnies qu'il avoit répandues

contre les principaux de la République, que parce que dans les lettres, qui s'étoient rencontrées parmi les papiers de Perfée, on n'avoit rien trouvé de convaincant contre les Achéens dénoncez. Mais il y avoit trop longtems que l'on avoit réfolu à Rome de rabaiffer la fierté de ces Républiquains. Quoique l'on n'eût aucune preuve contre eux, on en enleva mille, entre lef- Paufan. in quels étoit Polybe, & que l'on mena à Rome, pour les distribuer enfuite dans différentes bourgades d'Italie.

Achaic.

An de Rome
DLXXXVI.

Pol. t. 11.

p. 1455. &

Pendant le féjour que fit Polybe, avant la difperfion, dans cette Capitale du monde, foit que fa réputation l'y eût prévenu, foit que fa naiffance ou fon mérite le fit rechercher eq des plus grands de Rome, il gagna l'amitié de Fabius & de Publius, fils de Lucius Emilius Paulus, & adoptez par Publius Cornelius Scipion, fils de Scipion l'Afriquain. Il leur prêtoit ou empruntoit des Livres, & s'entretenoit avec eux fur les matiéres qui y étoient traitées. Charmez tous deux de fa profonde capacité, ils obtinrent du Préteur qu'il ne fortiroit pas de Rome, & qu'il demeureroit auprès d'eux. Comme la bienféance & la politeffe demandoit que Polybe eût plus de déférence pour l'aîné que pour le plus jeune, celui-ci en conçut quelque chagrin, & cherchoit l'occafion de s'en ouvrir à celui qui le lui caufoit.

Un jour qu'ils étoient fortis tous trois de la maison, que Fabius s'en alloit au Bareau, & Publius avec Polybe d'un autre côté, après avoir fait un peu de chemin, Publius en rougiffant lui adreffa ces paroles: D'où vient, Polybe, que mon frére & moi mangeant à même table, vous n'interrogez que lui, vous ne répondez qu'à lui ? Vous penfez apparemment de moi ce que j'apprens que mes Concitoiens en penfent, que je fuis indolent, inappliqué, & que je n'ai rien de Romain dans mes inclinations. Mais ce qui leur donne de moi cette idée, c'eft que je ne fréquente pas le Barcau. Et comment le fréquenterois-je ? On me dit perpétuellement que ce n'eft pas un Avocat que l'on attend de la maifon des Scipions, mais un Général d'armée, & je fuis au défefpoir de ne rien fçavoir de ce qu'un tel homme doit faire.

Polybe furpris qu'un jeune homme de dix-huit ans cût des fentimens fi relevez; gardez-vous bien, Scipion, répondit-il, de croire pour cela que je manque d'eftime pour vous. Je n'ai ces égards pour votre frére, que parce qu'il eft votre aîné & fi je ne fais attention qu'à ce qu'il me dit, c'est parce que je

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