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avoit été bleffé dangereufement, bleffure qui fut en partie caufe de la perte de celle de Trébie, où il étoit encore, & qui fut donnée contre fon avis. Cn. Scipion fon frére, l'année fuivante, avoit gagné en Espagne la bataille de Ciffa, & pris prifonniers les deux Chefs des Carthaginois & des Espagnols, Hannon & Indibilis. Ces deux fréres joints enfemble en Espagne, & rendant aux villes les ôtages qu'Annibal en avoit tirez pour les mettre en dépôt à Sagonte, avoient mis la plupart des peuples de ce Roiaume dans le parti des Romains. Publius Cornelius Scipion, aieul de notre Publius, étoit Tribun militaire à la bataille du Tefin, & y fauva la vie à fon pére. C'est encore lui qui à la bataille de Zama contraignit Annibal d'avouer qu'il étoit vaincu, & qu'il n'y avoit plus d'autre reffource pour les Carthaginois que de demander au plutôt la paix. L. Emilius Paulus, aieul naturel de Scipion Emilien, commandoit l'aîle droite à la bataille de Cannes. Enfin il faudroit faire toute l'Hif toire de la feconde guerre Punique, pour montrer toute la part qu'y eut la famille des Scipions.

Polybe ne pouvoit non plus rien ignorer de ce qui s'étoit fait de part & d'autre dans la guerre de Perfée. Emilius Paulus, pére de fon difciple, en avoit eu tout l'honneur, & lui-même avoit été préfent à tout. Il en eft de même de toutes les affaires. étrangères qui fe pafférent du tems qu'il étoit à Rome, ou qu'il accompagnoit Scipion. Toujours à portée de voir par lui-même, ou de recevoir les nouvelles de la premiére main, il ne pouvoit manquer d'être informé de tout ce qu'il arrivoit de plus mémorable. Et combien arriva-t'il d'événemens pendant dixfept ans que dura fon éxil à

Pol. t. r

Ce tems parut bien long aux Achéens, auffi firent-ils tout leur poffible pour l'abréger. Il y eut de l'Achaïe plufieurs Ambaffades pour demander le retour des éxilez, mais fur tout ce-p. 1325. lui de Polybe & d'un autre appellé Stratius, car il n'en reftoit plus guéres des autres. La premiére trouva le Sénat înéxorable ;

on écouta plus favorablement la feconde: mais Aulus Pofthu- Id: p. 153 mius, qui étoit alors Préteur, empêcha qu'elle n'eût tout le fuccès qu'on en efpéroit. Voiant les fentimens partagez fur les éxilez, que les uns vouloient qu'on les renvoiât, les autres qu'on les retînt, & un troifiéme parti qu'on les abfoût de la trahison dont ils étoient accufez, fans leur accorder leur liberté ; de ces trois bandes il n'en fit que deux : il fit paffer d'un côté tous ceux qui avoient opiné pour le renvoi, & de l'autre

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Paufan. in

Achaic.

DCI.

tous ceux qui étoient du fecond & du troifiéme avis. De cette maniére il fe trouva que ceux qui favorifoient le retour des éxilez étoient en plus petit nombre, que ceux qui leur étoient contraires. Quand les Achéens apprirent par leurs Députez qu'il ne s'en étoit prefque rien fallu, qu'ils n'euffent obtenu la grace qu'ils avoient demandée, ils envoiérent une troifiéme Ambassade, qui n'eut d'autre réponse du Sénat, finon que l'on ne changeroit rien de ce qui avoit été réglé.

Polybe, à ce dernier refus, pria Scipion de folliciter Caton en faveur des éxilez. L'affaire portée de nouveau au Sénat, comme les fentimens ne pouvoient encore s'accorder, ce grave Sénateur fe levant à nous voir, dit-il, difputer tout un jour pour fçavoir fi quelques petits méchans vieillards de Gréce feront plutôt enterrez par nos foffoieurs que par ceux de leur païs, ne croiroit-on pas que nous n'avons rien à faire? Il ne fallut que cette plaifanterie pour faire honte au Sénat de fa longue opi niâtreté, & pour le déterminer à renvoier les éxilez dans le Pé loponéfe. Polybe auroit encore fouhaité qu'on les rétablît dans les honncurs & les dignitez qu'ils avoient avant leur bannissement; mais avant que de préfenter fa requête au Sénat, il crut devoir preffentir Caton. Il va donc le trouver, & lui communique fon deffein. Caton lui dit en fouriant : vous n'imitez pas, Polybe, la fageffe d'Ulyffe ; vous voulez rentrer dans l'antre du Cyclope pour quelques mechantes hardes que vous y avez ou

bliées.

Les éxilez retournérent donc dans leur patrie, mais de mille qu'ils étoient venus il n'en reftoit alors qu'environ trois cens. An de Rome Notre Hiftorien n'ufa pas de cette permiffion pour revoir Mégalopolis, ou, s'il s'en fervit, il ne tarda pas à rejoindre SciAn de Rome pion, puifque trois ans après il étoit avec lui au fiége de CarApp in Li thage. Après cette expédition, il eut la curiofité de connoître by co. bien la Mer Atlantique, & Scipion lui fournit des vaisseaux pour en faire tout le tour. Mais quelle fut fa douleur, lorfPlin.l.3.c.11. qu'en revenant dans le Péloponéfe il vit la deftruction & l'incendie de Corinthe, fa patrie réduite en Province de l'Empire Romain, & obligée de fubir les loix d'un Préfet, qui devoit y être envoié de Rome tous les ans !

Amm. Marc.

1. 24.

An de Rome

DCVIII.

Si quelque chofe fût capable de le confoler dans une conjoncture fi funefte, ce fut l'occafion qu'il eut de défendre la mémoire de Philopomen, fon Maître dans la fcience de la guerre. Un Romain s'étant mis en tête de faire abattre les ftatues qu'on

P. 1485

avoit dreffées à ce Héros, eut la hardieffe de le pourfuivre cri- Polte
minellement comme s'il eût été en vie, & de l'accufer devant
le Proconful Mummius d'avoir été l'ennemi des Romains, &
d'avoir toujours traversé leurs deffeins autant qu'il avoit pû. Po-
lybe, qui étoit préfent, fut indigné d'un procédé fi atroce. Il
fit voir qu'à la vérité Philopomen ne s'étoit pas quelquefois
foumis d'abord aux ordres qui venoient de Rome, mais qu'il
n'en avoit jamais défendu l'éxécution, qu'en propofant fimple-
ment ce qu'il croioit plus propre à pacifier les différens : que
l'on ne pouvoit douter de fon attachement pour les Romains,
après les preuves qu'il en avoit données pendant la guerre qu'ils
avoient avec Philippe & Antiochus ; que quelque credit qu'il
eût parmi les Grecs, tant par lui-même, que par les forces de
fa Republique, jamais il ne s'étoit départi de l'alliance faite avec
les Romains ; qu'enfin il avoit eu part au Decret, par lequel
les Achéens, avant que les Romains paffaffent dans la Gréce,
s'étoient engagez à déclarer pour eux la guerre à Antiochus &
aux Etoliens, quoiqu'alors tous les peuples de la Gréce ne leur
fuffent rien moins que favorables.

Ce difcours fit impreffion fur les Députez, & confondit l'accufateur. Je ne le crois cependant que fpécieux. Philopomen étoit certainement très-opposé aux Romains. Il n'y a qu'à voir ce paffage de Plutarque pour en être convaincu. Après que

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lop

Vide etiam

P. 1440.

» les Romains eurent défait Antiochus, dit cet Auteur dans
» M. Dacier, ils s'appliquérent tout de bon à pouffer leurs af- Plut in Phi
faires du côté de la Gréce, & avec toutes leurs forces ils te-
noient déja les Achéens comme envelopez. Ils avoient même Polyb. 1.
» un puiffant parti dans toutes les villes, par le moien des Ora-
teurs & des Gouverneurs du peuple qu'ils avoient gagnez.
De forte que par la faveur & par la protection des Dieux,
leur puiffance, qui alloit toujours croiffant, étoit déja par-
» venue au faîte de la grandeur, où leur fortune devoit s'éle-
» ver. Philopomen, attentif à toutes leurs démarches, faifoit
» comme un bon pilote qui combat contre les vagues & les
vents; tantôt forcé par le tems il cédoit en quelque chofe,
» & fe laiffoit entraîner; & tantôt fe roidiffant il résistoit de
"toutes les forces, & n'oublioit rien pour porter ceux qui
» avoient le plus d'autorité ou d'éloquence à embraffer le
parti de la liberté. Un jour même qu'Arifténe avoit dit
" en plein Confeil, qu'il étoit d'avis que les Achéens ne de-
voient s'oppofer en rien aux Romains, ni fe montrer ingrats

"

1

Polt II. P. 1484.

Id. ibid.

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envers eux: Philopomen ne dit rien d'abord, quoiqu'il fupportât ce difcours avec peine; mais enfin voiant qu'il continuoit, & n'étant plus maître de fa colére, il lui dit tout haut: Eh, mon ami, pourquoi as-tu tant d'impatience de voir la malheureufe fin des Grecs.

נו

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Mais foit que les Députez ne fuffent pas bien inftruits de l'Hiftoire de Philopomen, foit qu'ils fuffent affez équitables pour reconnoître qu'il étoit naturel que Philopoemen fût contraire à l'ambition démefurée des Romains, foit enfin qu'ils vouluffent gratifier Polybe, ou par égard pour fon mérite, ou en confidération de Scipion ; ils décidérent que l'on ne toucheroit point aux ftatues de Philopomen, en quelques villes qu'elles fe trouvaffent. Polybe profitant de la bonne volonté de Mummius, lui demanda encore les ftatues d'Aratus & d'Achée, & elles lui furent accordées, quoiqu'elles euffent déja été transportées du Péloponéfe dans l'Acarnanie. Les Achéens furent fi charmez du zéle que Polybe avoit fait paroître en cette occafion pour l'honneur des grands hommes de fon païs, qu'ils lui érigérent à lui-même une ftatue de marbre.

Dans le même tems il donna une preuve de fon défintéressement, qui lui fit autant d'honneur parmi fes Citoiens, que fon Apologie de Philopomen. Dicus, Général des Achéens, étoit un de ces furieux qui par l'infulte qu'ils avoient faite à Corinthe aux Députez Romains, avoient porté le coup mortel à leur République. Corinthe réduite en cendres, & tout le Péloponéfe conquis, on penfa à punir les auteurs de l'infulte, & l'on mit leurs biens à l'encan. Lorfqu'on en vint à ceux de Dicus, qui après avoir égorgé fa femme, de peur qu'elle ne tombât en la puiffance des Romains, s'étoit empoifonné luimême, les dix Députez ordonnérent au Quefteur, qui les mettoit en vente, de laiffer prendre à Polybe parmi ces biens tout ce qu'il y trouveroit à fa bienséance, fans rien éxiger de lui & fans en rien recevoir. Mais non feulement il ne voulut rien accepter, il exhorta encore fes amis de ne rien fouhaiter de ce qui avoit appartenu à ce Général, & tous ceux qui fuivirent fon avis furent extrêmement louez. Cette action fit concevoir aux Députez une fi grande eftime pour Polybe, qu'en fortant de la Gréce, ils le priérent de parcourir toutes les villes qui venoient d'être conquifes, & d'accommoder leurs différends, jufqu'à ce que l'on s'y fût accoutumé au changement qui s'y étoit fait, & aux nouvelles loix qui leur avoient été données. Polybe

s'aquita

s'aquita d'une commiffion fi honorable avec tant de douceur de juftice & de prudence, que, foit pour le gouvernement général, foit pour les affaires des particuliers, il ne pouvoit s'élever dans l'Achaïe aucune conteftation.

Paufan. in

On ne peut s'imaginer avec quels applaudiffemens le Code des loix, qu'il compofa pour cela, fut reçû de toutes les villes du Péloponéfe. Pour en marquer leur reconnoiffance à la poftérité, elles érigérent à fon Auteur plufieurs ftatues, une entr'autres dans Alphée, dont l'infcription portoit, Que Polybe. avoit fait de longs voiages par terre & par mer, qu'il avoit été ami Arcad. & allié des Romains, & qu'il avoit appaifé leur colére en faveur des Grecs. Sur la base d'une autre élevée dans le veftibule d'un Temple d'Arcadie, on lifoit, que la Gréce n'auroit pas fait de fautes, fi dès le commencement elle eût été docile aux confeils de Polybes mais qu'après fes fautes, il avoit été feul fon libérateur.

DCXX.

An de Rome

Après avoir ainfi établi l'ordre & la tranquillité dans fa patrie, il retourna joindre Scipion à Rome, d'où il le fuivit à Numance, au fiége de laquelle il étoit préfent. Scipion mort, il An de Rome reprit la route de fon païs : ( car quelle fûreté y avoit-il à Rome pour le Maître, après que le Difciple avoit été mis à mort par la faction des Gracques?) Et aiant joui là, pendant fix ans, de l'eftime, de la reconnoiffance & de l'amitié de fes chers Citoiens, Macrob. il mourut à l'âge de quatre-vingt-deux, d'une bleffure qu'il s'é- An de Rome toit faite en tombant de cheval.

Les Ouvrages qu'il a compofez, font: la Vie de Philopomen, un Livre fur la Tactique, où l'Art de ranger les armées en bataille, l'Hiftoire de la guerre de Numance, un Livre fur la fituation des Ifeméréniens, nation fous la Zone-Torride, & fon Hiftoire univerfelle. Il ne nous refte de tous ces Ouvrages que le dernier, que Polybe appelle lui-même Hiftoire Univerfelle, parce qu'elle contenoit non feulement la feconde guerre Punique, mais tout ce qui s'étoit paffé dans le monde pendant l'efpace de cinquante-trois ans, c'est-à-dire depuis le commencement de cette guerre jufqu'à la réduction du Roiaume de Macédoine en Province de l'Empire Romain.

On y voioit donc, outre les affaires qu'eurent les Romains avec Annibal, les déclarations de guerre, les batailles, les fieges, les Traitez de paix, les négociations, les Ambassades, & tous les événemens qui arrivérent dans les guerres qu'eurent les Romains avec les Macédoniens, les Siciliens, les Ibériens, les Numides, les Achéens, les Gaulois, les Syriens, les EtoTome I.

i

DCXXIV.

Lucian. in

DCXXX.

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