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liens, les Gaulois d'Afie, les Candiots, les Dalmates, les Liguriens, les Illyriens, les Sardiens, les Celtibériens, les Corfes, les Bithyniens, les Cappadociens, les Afiatiques, les Egyptiens, & peut-être encore d'autres Puiffances. Tous ces faits rempliffoient trente - huit Livres, au-devant defquels il en avoit mis deux, pour fervir comme d'introduction aux autres, & de continuation à l'Hiftoire de Timée. Il y avoit donc en tout quarante-deux Livres, dont nous n'avons que les cinq premiers qui foient tels que Polybe les avoit laiffez, des fragmens quelquefois affez confidérables des douze Livres fuivans, avec les Ambaffades & les Exemples de vertus & de vices, que l'Empereur Conftantin Porphyrogénéte, au dixiéme fiécle, avoit fait extraire de l'Hiftoire de Polybe, pour les inférer dans Les Pandectes politiques, grande compilation, où l'on voioit rangé, fous certains titres, tout ce que les anciens Historiens avoient écrit fur certaines matiéres, & où l'on pouvoit s'inftruire de ce qui s'étoit fait en certains cas, où l'on fe trouvoit foi-même, fans avoir la peine de lire ces Historiens. On ne peut difconvenir que ce deffein n'ait eu fon utilité du tems de Porphyrogénére, mais il a été funefte à tous les fiécles fuivans. Dès qu'on eut pris l'habitude, & notre pareffe nous y conduit bientôt, de ne confulter que ces abrégez, on regarda les Ori→ ginaux comme inutiles, & l'on ne fe donna plus la peine de les copier.

Quel dommage cependant qu'une Hiftoire comme celle de Polybe foit perdue! Jamais Historien ne s'eft plus étudié à fe mettre au fait de ce qu'il devoit rapporter. Il ne pouvoit souffrir ces relations, qui après avoir paffé de bouche en bouche, ne s'écrivoient que longtems après les événemens. Il n'écrivoit que ceux dont il avoit été témoin oculaire, ou qu'il avoit appris de ceux qui l'avoient été. Pour ne pas fe tromper dans la defcription des lieux, chofe três - importante dans le récit militaire d'une attaque, d'un fiége, d'une bataille ou d'une marche, il s'y étoit tranfporté lui-même, & avoit fait dans cette feule vue une infinité de voiages. La vérité étoit fon 19 unique étude. C'eft de lui que l'on tient cette maxime célébre, que la vérité eft à l'Hiftoire, ce que les yeux font aux animaux ; que comme ceux-ci ne font d'aucun ufage dès qu'on leur a crevé les yeux, de même l'Hiftoire fans la vérité n'eft qu'une narration inutile & infructueufe. On le voit felon les occafions blâmer fes amis fans ménagement, & faire de grands éloges de

Pol. 1. 3.

fes ennemis. Quoiqu'il eût des obligations aux Romains, on ne s'apperçoit pas qu'il les flate beaucoup. Quelquefois à la vérité il fe contente de raconter une action injufte, fans s'arrêter à en éxaminer l'injustice, comme par éxemple l'invasion de la Sardaigne; mais en récompenfe il expofe fouvent au grand jour toute la fineffe & tout l'artifice de la politique Romaine. Et comment eût-il trahi la vérité en faveur des Romains, lui qui facrifie à la vérité la réputation de fon propre pére ? On ne fçait que par lui l'imprudence qu'eut Lycortas de renouveller un Traité Tp.1182. d'alliance avec Ptolémée Epiphanés, fans faire distinction des différentes alliances dont on avoit déja traité avec ce Prince.

Mais quelque vraie que fût cette Hiftoire, on peut dire que ce qu'il y a de moins à regréter, ce font les faits. Car enfin l'on trouve, à quelque chofe près, ces mêmes faits dans les autres Historiens; & s'il manque dans ceux-ci quelques circonstances que le nôtre avoit fans doute plus dévelopées, ce n'eft peut-être pas une perte dont on ne doive pas fe confoler. Mais quelles régles de politique ne fournissoit pas un homme, qui, naturellement porté au bien public, en avoit fait toute fon étude, qui pendant tant d'années s'étoit trouvé dans les plus grandes affaires, qui avoit gouverné lui-même, & du gouvernement du quel on avoit été fi fatisfait ! Quelle foule d'inftructions pour les perfonnes destinées à commander les armées, que le détail, où cet Historien entre, fur les actions militaires, détail non feulement historique, mais accompagné de réfléxions folides fur ce que devoient faire ou éviter ceux qui étoient chargez de les conduire! Les Géographes ont bien raifon de partager avec les Politiques & les Généraux d'armées la douleur de cette perte. Si l'on doit juger de ce que nous n'avons pas par ce qui nous refte, les descriptions que Polybe faifoit des païs ou des villes qu'il avoit vûes, étoient des morceaux d'un prix inestimable, & qu'aucun Hiftorien n'a remplacez. Pour les mœurs, outre les leçons qu'un Lecteur judicieux doit de lui-même tirer des faits & des éxemples, il eft peu d'endroits dans ce fage Hiftorien, où l'on ne trouve de quoi s'aider à combattre le vice, & à aquérir les vertus qui forment l'honnête homme.

On lui reproche fes digreffions, qui font fréquentes, & fouvent fort longues. Pour moi je les lui paffe en faveur de l'utilité qu'il a eu en vûe qu'on en tirât. En effet fur quoi roulentelles ces digreffions? Ici l'on éxamine comment une République s'eft formée, & par quels moiens elle eft parvenue au

& leq.

dégré de puiffance où on la voit. Là on traite des connoiffances dont doit être pourvû tout homme qui eft honoré du commandement des armées. Dans un autre endroit on recherche pourquoi les légions Romaines l'ont emporté fur la phalange des Macédoniens, qui avoit toujours paffé pour invincible. Ailleurs encore on parle des fanaux, & l'Auteur fournit du fien pour en perfectionner la méthode. Des digreffions fi instructives ne devoient pas donner prife à la mauvaise humeur des Critiques. On fe plaint des réfléxions que fait cet habile Historien, & il méritoit qu'on lui fçût gré de nous en avoir épargné le tems & la peine.

Je voudrois bien qu'il eût auffi peu befoin de défenfeur contre Denis d'Halicarnaffe. Il ne s'agit pas d'une chofe de peu de conféquence. C'est un défaut capital qu'on lui reproche, & en matiére dont ce Critique eft juge compétent, car il est Rhéteur ; témoin fes harangues perpétuelles. De quoi s'agit-il donc ? Denis d'Halicarnaffe dit nettement & fans circonlocution, qu'il n'y a pas de patience à l'épreuve d'une lecture de Polybe. Mais d'où vient cela? Il ne débite pas de chofes fauffes: il n'eft pas contredit, dans ce qu'il raconte, par des Hiftoriens plus graves & mieux informez: non, auffi ce n'est pas là ce qui choque notre Rhéteur. C'eft qu'en écrivant Polybe n'entend rien à l'arrangement des mots. Ici Cafaubon s'échauffe, & traite cette critique de dédain pédantefque, putida morofitas. Pour moi je n'en perdrai pas un moment de ma tranquillité. Chacun juge felon fon goût, felon l'éducation qu'il a reçûe, felon le genre de ftile auquel il s'eft attaché. Denis aimoit dans les autres ce qu'il recherchoit lui-même, des périodes arrondies, nombreufes, cadencées. Il ne trouve pas ces fortes de gentilleffes. dans Polybe, il n'en peut foutenir la lecture. D'autres qui ne cherchent dans un Ecrivain que le bon, le solide, l'instructif, l'utile, en jugeront autrement.

En mon particulier je ne puis diffimuler que dix pages de cet Auteur me font plus de plaifir, malgré tout le rude & le raboteux de fon stile, que toutes les harangues de fon Cenfeur, quoique l'on ne puiffe rien voir de plus fleuri & de plus châtié. En lifant le premier, je me repréfente un Guerrier le cafque en tête, la cuirasse fur le corps, & tout couvert de cette noble pouffiére que l'on ramaffe dans une tranchée ou fur un champ de bataille, qui rentrant le foir dans fa tente me conte naturellement & fans fard tout ce qu'il a vû & fait pendant la journée,

& ce récit foutenu du ftile militaire, toujours grand & noble par lui-même, me ravit & m'enchante: au lieu qu'en lifant l'autre, il me femble que je refpire la fumée de l'huile qu'il a brûlée en compofant: il range ses mots le mieux du monde, mais j'entre dans tout le travail que lui ont coûté ces belles phrafes; & quoiqu'il faffe pour chatouiller les oreilles, je ne puis l'écouter quelque tems fans baailler.

Denis d'Halicarnaffe a d'autant plus de tort de blâmer certain défordre, qui paroît dans la diction de Polybe, qu'il fçavoit que les Arcadiens ne se piquoient ni de bien parler, ni de bien écrire. Ils cédoient volontiers cette gloire aux Athéniens. Il n'étoit pas honteux parmi cette nation d'ignorer ces arts qui poliffent l'efprit. Uniquement attachez au folide, ils fe mettoient peu en peine des agrémens du difcours. Leur génie même ne les portoit pas à les rechercher. Il tenoit de la nature du païs, il étoit froid, pesant, rude, fauvage. Et c'étoit pour tempérer fa dureté naturelle, qu'il étoit établi parmi ce peuple, Folts. que tous fans exception apprendroient la Mufique. Dans les redans les compagnies il falloit que chacun chantât fa chanfon, rien n'étoit plus infamant que de s'en défendre. La Mufique leur paroiffoit même fi néceffaire, que notre Hiftorien parlant des Cynethéens, ne craint pas d'affûrer, que les excès, où ils étoient tombez, étoient venus de ce qu'ils avoient négligé cet art, dont les Anciens n'avoient ordonné que les Arcadiens fuffent inftruits dès leur enfance, que pour adoucir la rudeffe & la férocité qu'ils apportoient en naiffant.

pas,

P. 403.

Je ne doute pas que le grand ufage du monde n'eût beaucoup humanifé Polybe, & que fon commerce avec les plus polis de Rome ne lui eût donné du goût pour la douceur & la délicateffe du stile; il dit lui-même en quelque endroit que ces talens ne Pol. t. 1. lui paroiffoient pas méprifables. Mais aiant remarqué dans les P. 1411. Hiftoriens qui l'avoient précédé, comme dans Zenon & Antif

théne,

, que pour s'être parez des ornemens de l'Hiftoire, ils n'avoient pas affez fait attention à l'effentiel, je veux dire à l'éxactitude & à la vérité, il prit le contrepié de ces Ecrivains, l'éxactitude & la vérité furent fon unique objet, & il espéra qu'à la faveur de ce beau caractére & de l'étendue de fon Ouvrage, il obtiendroit aifément grace fur tout le refte. Mais Denis d'Halicarnaffe eft infléxible, il lui faut de l'arrangment, du nombre & de la cadence, fans quoi ce dédaigneux Critique ne peut foutenir la lecture d'un Ouvrage, & Folybe, pour ne s'être

pas amufé à ces bagatelles, eft un Auteur pitoiable.

Pour ne point difputer, convenons que l'Hiftoire de Polybe n'eft pas fans défauts. Je fuis même intéreffé à n'en prendre pas trop vivement la défenfe. Les négligences de fon ftile ferviront à juftifier, chez ceux qui l'ont lu dans fa langue originale, les modeftes libertez que me fuis quelquefois données, pour le rendre fupportable dans la nôtre. Mais ce qui lui manque eft bien peu confidérable, puifque dans l'antiquité, à l'exception de je ne fçai quel Scylax Auteur obfcur, & de Denis d'Halicarnaffe, qui n'y reprend que ce qu'il auroit dû, pour fon honneur, paffer fous filence, il n'y a perfonne qui ne le cite avec éloge. Cic. 1. 3. de Ciceron dit que c'eft un Auteur excellent. Brutus, ce Lecteur délicat qui trouvoit à redire dans Ciceron même, en faifoit des extraits dans fes heures de loifir. Tite-Live le traite d'Ecrivain non méprisable, façon latine de louer qui veut dire très-estimable. Selon Velleius Paterculus, c'est un homme d'un génie fupérieur.

of.

Plut. in Bruto.

Tit. Liv. 1. 30.

On n'a pas fait paroître pour lui moins d'eftime dans ces derniers fiécles. Je n'en veux pour témoin que le nombre des traductions qui en ont été données au public. Il a été traduit en Latin, en François, en Italien, en Allemand, en Anglois, & peut-être encore en d'autres langues.

Le premier qui le mit en Latin fut Nicolo Perotti de SaffoFerrato dans la Marche d'Ancone, & Archevêque de Siponte dans le Roiaume de Naples. Chargé de cette commiffion par Nicolas V. il s'en aquita, comme on devoit l'attendre d'un homme, qui entreprenant de traduire pour la premiére fois un Auteur difficile, ne fçavoit que médiocrement la langue de fon original, & ignoroit tout-à-fait ce qu'il lui importoit sur tout de ne pas ignorer, le métier de la guerre & les termes qui lui font propres. C'étoit avec cela l'homme du monde qui s'embaraffât le moins de fon texte. Sans mettre en ligne de compte les petites libertez qu'il prend contre la pensée de fon Auteur; fi Polybe & Tite-Live se rencontrent fur le même fait, & ils se rencontrent très-fouvent, il laiffe là fans façon Polybe, & copie Tite-Live tout du long. Malgré ces défauts, qui font les plus grands que l'on puiffe reprocher à un Traducteur, cette traduction de fon tems parut fi belle, que fes ennemis répandirent le bruit, qu'elle étoit d'un Auteur très-ancien, & que Perotti, comme le geai de la fable, se faifoit honneur d'un bien qui ne lui appartenoit pas. En effet la Latinité ne s'y reffent

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