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Point du tout de la renaissance des Lettres. A peu de chofes Près, elle pourroit être avouée des fiécles où l'on écrivoit le plus poliment. Et ce qui autorifoit la calomnie, c'est que le Traducteur ne s'y reconnoît prefque nulle part, tant le ftile en eft aifé, libre & naturel. En un mot le Nicolo Perotti eft en Latin, ce que Nicolas Perot eft en François.

lard, Chan.

Un fçavant homme de nos jours, l'aîné d'une famille, où, M. de Fol'amour des Lettres & des Sciences joint à tous les talens ima- de Nimes. ginables pour les aquérir en un haut dégré, a paffé, fans dégénérer, du pére & de la mére dans tous les enfans, a fait la comparaifon de ces deux Pérots. Je la donne ici telle que je la lui ai volée. Que ne puis-je faire la même chose de tout le tréfor littéraire qu'il renferme chez lui, & qui n'en fortira jamais, s'il n'a des amis comme moi qui lui forent infidéles.

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Nicolas Perot Archevêque de Siponte, & Nicolas Perot d'Ablancourt, ont eu entr'eux de très-grands rapports. D'abord il eft fingulier qu'ils aient porté l'un & l'autre le même "nom & le même furnom, tous deux Nicolas, & tous deux » Perots. Leurs avantures ont été affez différentes, mais leurs traductions en ont eu de toutes femblables: elles furent reçûes avec les mêmes applaudiffemens, elles effacérent toutes celles qui avoient été faites jusques là, celles de d'Ablancourt les Françoises; & celle que l'Archevêque fit de Polybe, les » Latines. Elles fervirent de modéle à ceux qui traduisirent après eux. Vaugelas réforma fon Quinte-Curce fur celles » de d'Ablancourt, & Ange Politien fe moula fur le Poly be de l'Archevêque pour traduire Hérodien. Mais voici des reffemblances effentielles. Dans l'un & dans l'autre une trèsgrande intelligence de la langue dans laquelle ils ont traduit, » ici pourtant d'Ablancourt a quelque avantage fur l'Archevêque, un même caractére d'efprit, une même facilité pour écrire, un même talent, un même génie pour la traduction, & de là une même maniére de traduire. Tout paroît original dans leurs traductions: ce qui feroit fans doute admirable, fi en même tems le texte s'y trouvoit fidélement représenté. Mais ils ont été peu fidéles l'un & l'autre, l'Archevêque pour n'avoir pas été affez habile, & d'Ablancourt "pour avoir été trop hardi. Enfin ils n'ont fçû ni l'un ni l'autre prendre l'air, la maniére & le ton particulier de leurs Auteurs, moins encore d'Ablancourt que l'Archevêque. Il faut pardonner à ce dernier, qui a traduit un Auteur, dont l'ex

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cellence eft moins dans la maniére & dans le ton que dans » les choses. Mais on ne fçauroit pardonner à d'Ablancourt, qui en a traduit dont l'excellence confifte également dans les choses & dans la maniére. On doit fans doute lui paffer de n'avoir pas pris le ton de Tacite. Quoiqu'en puiffent dire les Lipfes & les Amelots, ce ton ne valoit pas la peine d'être confervé; mais celui de Thucydide en valoit fans doute la peine, & il ne l'a pas confervé.

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Après Perotti, qui n'a mis en Latin que les cinq premiers Livres, Wolfangus Mufculus traduifit les douze Livres fuivans, ou plutôt les Fragmens qui nous restent de ces douze Livres. Il ne fçavoit affez ni la langue Gréque pour rendre éxactement fon Auteur, ni affez la Latine pour le rendre élégamment. Mais inférieur à Perotti pour la pureté, l'aisance & la légéreté du ftile, il lui eft fupérieur de beaucoup en éxactitude & en fidélité. Je ne dirai rien de Pompilius d'Amasée, de Jean Lascaris, de Jufte Lipse, de M. de Valois. Outre qu'ils n'ont traduit que quelque partie de Polybe, j'avoue de bonne foi que je n'ai pas lû leurs traductions en homme qui doit en porter fon jugement. Je ne les ai confultez, que quand j'ai été arrêté; & quand rien ne m'a fait peine, j'ai fuppofé qu'ils avoient été auffi heureux que moi.

Mais Cafaubon a fouvent attiré mes regards & mon attention. Je connoiffois d'ailleurs le mérite de ce fçavant & laborieux Ecrivain. La célébrité de fon nom m'inspiroit du refpect pour tout ce qui étoit forti de fa plume, & mà curiosité étoit 1. de Opt. piquée par l'éloge que fait M. Huet de fa traduction de Polybe, qu'elle répond fi éxactement à l'original, que l'on doute en la lifant, fi c'eft Cafaubon qui a traduit Polybe, ou Polybe qui a traduit Cafaubon ; c'est-à-dire que l'on doute lequel des deux est le véritable Hiftorien de la feconde guerre Punique. Voilà une incertitude bien honorable pour Cafaubon. Mais n'eft-elle pas un peu outrée ? Car ce n'eft qu'en tremblant que j'ofe ne pas approuver ce qui vient des grands hommes. Seroit-il bien de dire que le Cupidon de Praxitéles reffembloit tant au vrai Cupidon, qu'on doutoit en le voiant fi Cupidon étoit la ftatue, ou fi la ftatue étoit Cupidon?

Parlons plus fimplement. Cafaubon poffédoit la langue Gréque autant bien qu'on l'ait peut-être poffédée depuis qu'elle n'eft plus en ufage. Il lui eft échapé des fautes, mais il étoit homme, & homme alors pénétré de la plus vive douleur par la

perte

perte qu'il avoit faite de fa mére, de fa fille, & de la plus grande partie de fes biens. Il avoit beaucoup étudié la maniére ancienne de faire la guerre, & a relevé très-fçavamment fur ce point quantité de bévûes de l'Archevêque de Siponte. Mais pour bien concevoir & bien rendre tout ce qu'il y a de militaire dans Polybe, ce n'étoit pas affez d'étudier la guerre des Anciens. Il falloit avoir pendant quelques années porté les armes, ou confulter un habile homme du métier. Le premier fecours lui a manqué, & il ne dit nulle part qu'il fe foit fervi du fecond. A l'égard de fon ftile, il eft tout-à-fait conforme à celui de Polybe, & cette affectation, qui fe fent d'un bout à l'autre de fon Ouvrage, devoit bien raffûrer M. Huet contre fon doute. Au refte la reconnoiffance m'oblige de déclarer que je dois beaucoup à cet habile Traducteur. Sans lui pour l'intelligence du texte, & fans M. de Folard pour la connoiffance du militaire, j'avoue que dans bien des endroits j'aurois été très-embaraffé. Plus d'une fois je me fuis trouvé dans des défilez dont je ne voiois nulle iffue, & où me conduire je n'avois pas trop de ces deux fçavans guides.

que

pour

Je ne rendrai pas compte des traductions Italienne, Allemande & Angloife. Je n'entens l'Italien qu'imparfaitement, & point du tout les deux autres langues. Le Chanoine que j'ai déja cité, juge équitable des Ouvrages d'autrui, & impitoiable des fiens propres, me mandoit il y a quelques années, que les Italiens avoient une traduction de Polybe, de la façon du Domenichi, & dont ils faifoient beaucoup de cas : mais le Domenichi étoit un vrai Perot, ou plutôt un vrai Du Ryer. L'Angloise passe en Angleterre, à ce qu'on m'a écrit de Londres, pour n'avoir été faite que fur le Latin de Cafaubon. Et pour l'Allemande, Cafaubon dit lui-même que fon Auteur étoit trop occupé de plus grandes affaires, pour avoir le loifir de donner à fon Ouvrage toute la perfection qu'il étoit capable de lui donner. Venons aux Françoifes.

La premiére eft d'un Lyonnois nommé Louis Maigret. Il y en a eu deux éditions. Celle de 1557. ne contenoit que les cinq premiers Livres de Polybe. Dans la feconde de l'année fuivante, il ajouta les Fragmens des douze Livres fuivans. On peut juger du ftile de cette traduction par le tems où elle a paru.

Que dirai-je de M. Du Ryer? Répéterai-je après les autres qu'il n'a travaillé que d'après Cafaubon, & qu'outre les fautes de fonOriginal, qu'il a fait paffer dans la langue Françoise, il eft tombé dans une infinité de méprifes qui lui font propres? Il le faut dire

Tome I.

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en paffant, pour faire fentir combien M. de Folard a eu raison de fouhaiter que l'on traduisît de nouveau l'Auteur qu'il vouloit commenter. Mais je ferois confcience d'en dire du mal, & je ne sçaurois approuver le mal qu'on en a dit. Dans la pauvreté extrême, où cet Académicien vivoit, quelle attention voudroit on qu'il eût pû apporter à fon travail. Pour éxaminer, approfondir, comparer, polir, il faut être tranquille au moins fur les néceffitez de la vie. Dès la Préface, en même tems que je fus touché de compaffion, je conçus que l'Ouvrage feroit plus de main que de tête. C'eft, dit cet Auteur en parlant de fa traduction, un préfent que je fais au public, & il doit m'en fçavoir le même gré, que je lui fçaurois moi-même, s'il me donnoit comme je lui donne. Il demandoit l'aumône, & le public, dont il imploroit la miféricorde, fut fourd à fes priéres. Sans cela je ne doute prefque pas que les qualitez naturelles & acquifes qu'il avoit pour écrire, ne lui euffent fait plus d'honneur. Mais quelque défectueufes que foient fes traductions, on ne peut contefter fans ingratitude qu'elles n'aient été très-utiles. Là on a lû d'excellentes chofes, qui fans M. Du Ryer euffent été, comme fi jamais elles n'euffent été écrites. Laiffons donc enfin cet Auteur en repos, & en faveur des fervices qu'il a rendus, paffons-lui les fautes que fon état lui rendoit prefque inévitables.

J'aurois befoin, pour d'autres raisons, de demander pour moi la même indulgence. Car je crains fort, malgré la peine que j'ai prife, d'un côté, que mon infuffifance ne m'ait fouvent empêché de découvrir le vrai fens de mon Auteur; & de l'autre, que rebuté d'être perpétuellement affervi aux pensées d'autrui, je ne me fois quelquefois échapé de donner les miennes pour celles de Polybe. Je ne dirai cependant rien pour adoucir la Critique. En cas que j'aie été téméraire, il eft jufte que je porte la peine de ma témérité. D'ailleurs il m'eft avantageux de n'avoir que des Cenfeurs inéxorables. S'ils font amis & éclairez, plus leur févérité fera grande, plus ils m'inftruiront: s'ils ne font que paffionnez & fatyriques, ils me fourniront l'occafion de les aimer malgré leurs mauvais traitemens, & je les aimerai, jusqu'à les plaindre, d'avoir fuccombé à une tentation si peu convenable à la profeffion des Lettres.

Fin de la Vie de Polybe.

TRAITÉ

TRAITÉ

DE

LA COLONNE.

LA MANIERE

DE LA FORMER

ET DE COMBATTRE

dans cet Ordre.

Tome 1.

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