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la tête de tout. C'étoit l'élite de cette armée : la colonne du régiment jaune s'avance piques baiffées, & s'élance deffus; mais avec tant de force & de fureur, qu'elle enfonce & pénétre cette maffe énorme d'infanterie, fans aucun refpect de fes angles & de fes fatellites B: tout eft rompu, diffipé & paffé par les piques.

Ce quarré étant difparu, en voici un autre qui fuccéde & qui fe préfente, avec cette gravité & cette péfanteur toute naturelle aux grands corps rangez de la forte. Cette colonne, animée & fiére de ce premier avantage, va donner de tête fur ce fecond corps, qui lui fait efluier la bourre au corps, une falve de moufquetades; mais comme le feu n'a plus lieu, qu'il s'éteint, & qu'il tombe lorfqu'on le joint & qu'on l'allonge à coups d'armes blanches, & que le propre de la colonne nous porte néceffairement à cette maniére de combattre violente & impétueufe, on peut bien s'imaginer qu'un corps qui agit fur ce principe, va trop bon train, & trop brufquement au fait pour attendre & s'expofer aux décharges d'un feu réglé. Il fondit fur ces rangs de Moufquetaires. Les voilà réduits à la néceffité de jetter leurs moufquets, qui leur deviennent inutiles, pour mettre l'épée à la main : foible reffource contre une tête de piquiers, quand ceux qui leur font oppofez au centre de leur carré ne peuvent fe fervir de leurs piques, ni les alonger au-delà des rangs des Moufquetaires, pas même les préfenter. Il eft aifé de comprendre que la partie n'étoit pas égale, & encore plus aifé de juger combien le bataillon quarré eft foible, & combien il eft abfurde de féparer ces armes, qui, felon les régles de la guerre & du bon fens, doivent être entremêlées avec les courtes, ou avec les feux.

Ces Moufquetaires font enfoncez, renverfez & culbutez du premier choc, & rejettez fur les rangs de leurs piquiers. On arrive jufqu'à eux, ils ne tiennent pas davantage contre ce torrent; tout plie & tout s'enfuit à travers la plaine. Cette colonne déterminée va donner fur la brigade qui joignoit la gauche de la cavalerie de la droite des Impériaux, elle trouve à qui parler; le choc fut des plus violens, & fi bien foutenu, que la colonne jaune rebouche, elle revient encore à la charge, & la con→ fufion commence à fe faire fentir dans cette brigade Impériale. La cavalerie qui la foutenoit, s'appercevant de ce défordre, s'avance fur ces entrefaites, & la tire d'affaire à l'inftant de fa déconfiture. Je hazarde ce terme un peu décrépit en confidération de fon énergie. Ce fecours arrivé à propos, fit tourner la chance, & fauva cette brigade. Le régiment jaune très-affoibli de tant de charges, fe retira un peu vîte jufqu'au gros.

Peut-être me fuis-je un peu trop arrêté aux actions de cette colonne jaune, qui fit tant d'exploits à sa gauche. Je fuis en cela Mérian, qui n'y a pas moins pris de plaifir que j'en ai pris moi-même. Il femble prefque tout attribuer à la valeur de ce régiment, & ce n'eft point tant cela que l'ordre fur lequel il combattitainfi que les autres rangez de la forte, qui firent tout l'honneur de cette journée, & qui pafférent fur le corps de tout ce qui ofa leur tenir tête. Lafeconde ligne ne fut prefque que fpectatrice de ce premier combat, & ne fit que foutenir fans entrer en action; mais fon tour viendra, comme je le dirai bientôt. Tout fut pouffé & battu, le canon pris & encloué tout auffitôt, le champ de bataille abandonné, & les ennemis chaffez hors dans une confufion épouvantable.

On trouvera peut-être un peu étrange que je ne dife mot de la cavalerie & de ces gros efcadrons, que la victoire abandonna, pour fe tourner du côté des Suédois. Il eft à propos d'en parler, de peur qu'on ne s'imagine que je ne fais pas grande eftime de cette arme : j'en fais au contraire un très-grand cas, pourvû qu'elle foit en petit nombre dans les armées : car celle des Suédois, quoique très-inférieure à celle de Walfteh, ne laiffa pas que d'en avoir raffon.

Perfonne n'ignore que le Monarque Suédois fut tué dans cette bataille, fans fçavoir trop bien comment, & fans qu'on fçût alors ce qu'il étoit devenu. On ignora fa mort tant que l'action dura, & ce fut un bonheur; on combattit avec cette ardeur & cette confiance que les morts n'insles morts n'inf pirent guéres. Son ordre de bataille fubfifta toujours; fes petits efcadrons, oppofez aux gros lourds & péfans des Impériaux, oférent bien affronter ceux-ci, & s'abandonner dessus, tant une arme, foutenue par une autre eft ferme & audacieuse. Si les pelo tons des Moufquetaires, entrelaffez entre les intervalles des efcadrons Suédois, ne fe fuffent jettez entre les distances de ceux des ennemis, la cavalerie Suédoife n'en eût pû foutenir le choc; au moment qu'on en vint aux mains, ces pelotons fe trouvant entre les flancs de ceux des Impériaux, les accablérent d'un feu terrible de moufquetades qui les mirent en défordre : méthode que ce grand Roi n'oublia jamais dans tous les combats qu'il a donnez, pratiquée par les plus grands Capitaines anciens & modernes, & fi peu connue aujourd'hui, qu'on trouve étrange que nous ofions la propofer.

Pendant la chaleur du combat à cette gauche des Impériaux P, un

corps de Croates qui débordoit la droite des Suédois, & qui paffa audelà du ruiffeau, fe détache de la ligne, fait un écart, & prenant un affez grand détour le long d'un petit bois, qui en déroboit la vue, tombe inopinément furles bagages de l'armée Suédoife, & fur quelques efcadrons de la feconde ligne, qu'il envelopa & mit dans quelque défordre; ce qui faillit à faire changer la face des affaires, fi un brouillard épais qui s'éleva dans cet inftant n'eût dérobé aux ennemis un avantage, qui pouvoit avoir des fuites fâcheufes. Le Duc de Weimar y étant accouru, fit charger ces Croates, qui furent pouffez pour n'avoir pas été foutenus.

Le combat fut plus long & plus obftiné à la droite Q de la cavalerie Impériale, à caufe d'une groffe brigade d'infanterie K en ordre quarré, qui couvroit cette aîle. Le Duc de Weimar fit attaquer cette brigade par les troupes de la feconde ligne, en même tems que la cavalerie; de forte que tout l'effort tomba fur cette droite, à caufe de cette brigade, & de quelques pelotons enchâffez parmi les efcadrons. Elle foutint un affez long efpace, & fut enfin rompue, culbutée & chaffée du champ de bataille.

Pendant ces défordres, Papenheim, qui accouroit en hâte au fecours des fiens, arrive avec huit régimens Impériaux. Ce fecours inopiné reléve les courages abattus, & ces foldats qui ne penfoient qu'à fuir fe rallient d'eux-mêmes, & fe remettent de leur défordre. Walftein, enragé d'avoir fi mal réuffi contre une armée fi inférieure à la fienne, les voiant dans une difpofition si favorable à fon deffein, les range promptement en bataille, réfolu de tenter encore une fois la fortune; fe Aattant, non pas fans beaucoup de raifon, qu'avec

un fecours auffi confidérable que celui qui venoit d'arriver, joint encore à ce qui lui reftoit de la défaite, il lui feroit aifé de paffer fur le ventre d'une armée déja fatiguée & diminuée du dernier combat. On remarche aux ennemis, ceux-ci qui voient de près tous ces mouvemens, les attendent en bonne pofture & de bonne grace. On en vient aux mains, & cette plaine s'illuftre par deux combats d'infanterie, ou pour mieux dire par deux batailles rangées, les plus furieufes, les plus rudes & les plus obftinées qu'on ait vû depuis longtems.

·

Les Suédois, plus foibles encore qu'ils ne l'étoient auparavant, mais toujours plus forts par l'avantage de l'ordre bien plus redoutable que celui du nombre, ne fe découragent point. Ils foutiennent le choc avec toute la fermeté poffible, contre des forces fi fupérieures. Les Impériaux firent des efforts extraordinaires. Les Suédois commencent à perdre de leur terrain, les Impériaux qui s'en apperçoivent, redoublent de force & de vigueur, & les pouffent jufqu'à une batterie enclouée dont ils fe rendent les maîtres; cet avantage ne fut pas de longue durée. Les Suédois, peu accoutumez à ces fortes de mouvemens retrogrades, & prefque accablez par le nombre de leurs ennemis comprirent bien qu'à moins d'un effort extraordinaire, ce fecond combat alloit tourner à leur honte après la gloire du premier; ils fe déterminent à cet effort de néceffité, reffource toujours falutaire dans les actions de campagne, où il périt plus de monde dans un terrain que l'on perd & que l'on céde, que dans celui que l'on maintient, que l'on conferve, & que l'on opiniâtre.

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S'il faut ajouter foi à l'Officier

Général dont j'ai déja parlé, comme fans doute il mérite toute créance, les deux lignes de l'infanterie Suédoife fe joignirent & s'enchâfférent l'une dans l'autre par les intervalles des corps, & n'en formérent plus qu'une, ferrée & condenfée comme une phalange, les huit colonnes pouffées en avant, & débordant le front de la ligne. Cet ordre eft le plus terrible & le plus redoutable de tous ceux dont on ait ouï parler depuis les Anciens. Alors les foldats font ferme à cet endroit, & par je ne fçai quel instinct & quelle boutade, comme s'ils s'étoient donnez le mot, cette phalange s'ébranle toute entiére & tout d'un tems, fe jette tête baiffée fur l'ennemi, & le pouffe avec d'autant plus de force & de violence, qu'elle attaque avec l'avantage de l'ordre. Les Impériaux font enfoncez de toutes parts, de cette fecouffe tout céde, tout plie & tout s'enfuit; l'on vit alors une confufion terrible de combattans. Le victorieux, fans leur donner aucun relâche, les fuit & les taille en piéces; & fi la nuit ne fût furvenue au milieu de tous ces défordres, les Généraux ennemis fe fuffent trouvez très-embaraffez de faire retraite. Ils la firent à la faveur des ténébres, ou pour mieux dire ils partagérent leur fuite par différentes routes: les Suédois ne pouvant les poursuivre, à caufe de l'obfcurité, reftérent maîtres du champ de bataille, de leurs bagages, de leurs canons, de leurs morts & de leurs bleffez, dont la terre fut toute couverte.

Ce qu'on trouvera de bien furprenant dans cette bataille, j'ai lû ceci dans un Hiftorien, c'est que les Impériaux s'en attribuérent ridiculement la gloire, quoique leur défaite fût, marquée de tous les maux & de tous les titres des

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