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LA COLONNE SUR T

ROIS SECTIONS.

pas voir qu'il faut faire combattre féparément un corps qu'on diftingue d'un autre qui vaut moins, l'expérience nous obligeroit à fuivre cette méthode. La faute de Gorgidas, qui fut celui qui imagina, leva & difciplina le bataillon facré des Thébains ; cette faute, dis-je, me difpoferoit à féparer dans le combat les grenadiers d'une colonne. Gorgidas s'avifa de répandre & de mêler ces braves gens fur tout le front de fa phalange, il s'en trouva mal. Pélopidas s'en étant apperçû, & aiant remarqué beaucoup moins d'ardeur & de courage dans ces troupes ainfi démembrées, qu'elles n'en avoient fait paroître à la journée de Tégyre, où elles avoient combattu fans être mêlées avec d'autres, il ne les fépara pas, dit Plutarque, & ne les divifa plusi il s'en fervoit toujours comme d'un feul corps, à la tête duquel il commençoit toujours la charge dans les plus grandes occafions, le rangeant toujours fur une très-grande profondeur, comme nous voions dans les courfes de chariots, que plusieurs chevaux attellez à un char courent de plus grande vitesse que ceux que l'on pouffe feuls : non pas parce que partant tous ensemble, & faisant un même effort, ils fendent mieux l'air par leur nombre, mais parce que l'émulation & la jalousie échauffent leur courage, & augmentent leur ardeur; il penfoit de même que les braves gens fe fervant les uns aux autres comme d'aiguillon, étoient plus utiles, & combattoient plus courageusement ensemble que féparez. Là-deffus M. Dacier fait une remarque très-vraie & très-fenfée, à laquelle les Experts dans le métier foufcriront toujours: il eft rare, dit-il, que le bon corrige le mauvais, & l'on voit ordinairement que le mauvais corrompt le bon, fur tout fi ce mauvais eft plus fort en

nombre.

On obfervera de compofer les colonnes en tout ou en partie, fi elles font fortes, des plus braves régimens de l'armée, fans aucun égard au rang des corps, mais à leur valeur feulement, & au mérite de ceux qui les commandent.

Je fuppofe les bataillons, qui compofent la colonne de 500. hommes, ou de 400. fufeliers, & 100. pertuifanniers, la compagnie des grenadiers, les Officiers & les Sergens non compris. Je la divise en deux manches, dont l'une s'appelle Manche de la droite, & l'autre Manche de la gauche. Je fubdivife encore chaque manche de cinq en cinq files; j'appelle les trois de la droite Divifions de droite, les trois de la gauche Divifions de gauche. Les deux premiéres des aîles, Divifions des ailes; les deux fuivantes, premiére divifion de droite, feconde de gauche; les deux

derniéres du centre, troifiéme de droite, troifiéme de gauche ; ce qui fait trente files.

Cette divifion eft abfolument nécessaire, foit pour se remettre en ligne, foit dans le cours du combat, ou lorsqu'on veut par-. tager la colonne de la tête E à la queue F, pour en faire deux d'une feule, comme on voit dans la figure. Ce mouvement fe fait lorfqu'une colonne aiant percé la ligne, elle veut tomber fur les flancs à droit & à gauche des bataillons ennemis : alors ce qui étoit face ou flanc devient front.

Ce que je dis ici des divifions de la Colonne, eft bien à remar quer. Car outre ces fubdivifions, on peut encore la faire tirer par divifions ou par pelotons de la droite à la gauche, & de la gauche à la droite. Ce feu eft plus continu, plus régulier, plus fûr & moins embaraffé que de tirer par rangs; c'eft la méthode Hollandoife, dont je fais grand cas, à certains égards: mais il faut de l'éxercice, brûler bien de la poudre; on ne fçauroit mieux faire, lorsqu'on voudra fe réduire à fe battre de loin.

Je dirai pourtant que le feu par divifions, ou pelotons de cinq files, foit qu'on tire par tête ou par faces, eft moins propre à la colonne qu'au bataillon autrement difpofé; d'ailleurs le feu eft ce qu'il y a de moins à confidérer dans la colonne qui git toute en action. Elle n'en a guéres, non plus à effuier, puifque fa force confifte dans l'abord de l'ennemi, & dans la violence de fon choc. La nation Françoife n'eft nullement propre à cette forte de manœuvre, qui confifte dans un grand feu fans s'aborder ceux qui la font combattre fur ce principe dans les actions de rafe campagne, ne la connoiffent pas, & s'ils font battus ils méritent de l'être. Il faut laiffer aux Hollandois, comme plus flegmatiques, leurs pelotons, & prendre toute maniére de combattre qui nous porte à l'action & à joindre l'ennemi. J'approuve fort la divifion d'un corps par pelotons, mais c'est pour des cas différens de ceux de rafe campagne.

On fait aujourd'hui une fort grande eftime du bataillon quarré à centre vuide: car il y a plus d'un fiécle que le plein s'eft évanoui, quoique meilleur: cependant les Experts dans l'infanterie conviennent qu'il est très-défectueux par fa foibleffe de fes angles. Il n'en eft pas de même de la Colonne, fes angles n'ont aucune prife, & les faces ou les côtez font fi étendus qu'ils fourniffent un feu qu'il n'eft pas aifé d'aborder, & qui ne finit point, comme nous le ferons voir. On ne fçauroit rien imaginer de plus fimple dans la manière de la former, tout nombre lui eft

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