Imágenes de páginas
PDF
EPUB

I

AVANT-PROPOS.

Left de la Colonne dans la manière de la former & de combattre dans cet ordre, comme de l'apparition des efprits. Tout le monde en parle, & perfonne n'en a vû. Il y a vingt-cinq ans qu'on ne fçavoit ce que c'etoit que Colonne, & depuis ce tems on en parle fans Jçavoir trop bien ce que c'est.

On prétend que M. le Prince Eugéne s'eft rangé dans cet ordre, en certaines occafions où nous avons eu du pire, & nous dans d'autres où nos ennemis ont eu du deffous. On s'eft imaginé que nous avions imité ce fameux Capitaine dans cette méthode qu'on lui attribue : il est toujours glorieux d'imiter les grands hommes.

Nous combattimes, dit-on, par colonnes à l'affaire de Dénain, &fur les mêmes principes que ce grand homme : mais cette maniére de fe ranger & de combattre, n'eft pas celle que je traite ici. On ne sçauroit appeller Colonne un nombre de bataillons difpofez à la queue les uns des autres fur quatre ou cinq de hauteur, à une distance de vingt-cinq à trente pas, c'est une colonne de marche plutôt qu'une colonne dans le fens que je l'entens. Si l'on a combattu dans cet efprit à Dénain, ce que je ne voudrois pas affûrer, quoiqu'il paroiffe un plan gravé de ce combat, où l'infanterie eft ordonnée de la forte s Supposé que cela foit, & qu'il faille croire ceux qui me l'ont confirmé, plutôt que le Chef de l'armée, qui n'en convient point, on me permettra de dire que cette méthode ne me semble pas fort bonne : je la tiens au contraire fujette à une infinité de défauts, & par conSéquent mauvaise, & dangereuse dans une affaire de rafe campagne, quoiqu'elle le foit moins dans une infulte de camp retranché.

Faimerois micux combattre fur plufieurs lignes à différentes reprifes, felon la coutume ordinaire, parce que les corps entrent les uns dans les autres fans trouble & fans confufion dans des combats de cette nature, que de prendre celle qu'il nous a plû d'appeller Colonne. Je ne vois pas où eft le merveilleux & le fenfé de cette difpofition.

Si l'on eût combattu felon ce principe dans une bataille rangée, & non dans une attaque d'un corps d'armée retranché, on en eût bientôt reconnu le foible. Tout ce que je puis dire, c'est que cette méthode me femble très-commode pour se faire battre en détail, les bataillons les uns après les autres, & à mesure que ceux qui font derriére & à la queue fuccédent aux autres qui les précédent, & qui

viennent d'être battus.

Le premier battu & en déroute, les fuiards fe renverfent fur le Second qui le foutient, & ils y portent le trouble & la confufion: il me paroît que cela doit arriver, & arrive toujours. C'est tout comme fi l'on vouloit faire combattre en plufieurs corps Séparez & éloignez les uns des autres, des gens qui pourroient vaincre étant joints enfemble.

Il y a vingt-cinq ans que je ne sçavois ce que c'étoit que Colonne je n'en ai jamais oui parler, quoiqu'il y ait plus de trenteJept ans que je fers, que j'aie vê des victoires & des défaites deux guerres très-longues, très-fanglantes & très-opiniâtrées, & que j'aie fervi fous des Généraux de la premiére volée, & qui ne le cédoient à perfonne, ni en valeur, ni en intelligence, ni en actions éclatantes; cependant parmi tant de combats & de batailles, où je me fuis trouvé, il n'a jamais été fait mention de Colonne que depuis la guerre de 1701. Ce n'est donc ni dans les uns ni dans les autres que j'ai appris la méthode de combattre par colonnes. Parlons franchement, j'ai plus trouvé à profiter dans la lecture des Hiftoriens de l'antiquité, que dans celle de nos Modernes. C'est là qu'il faut chercher Finstruction & la véritable Science qui nous méne aux grandes actions. On a grande raison de les admirer pour moi je les admire d'autant plus que je crois plus en expérience, & que j'avance plus dans mes études mili

taires.

à

Je dois donc prefque tout à ces grands hommes ; cependant ce n'est pas eux que je dois la découverte de la Colonne, & la maniére d'attaquer & de combattre dans cet ordre: je n'en fuis redevable qu'à mes recherches & à mes réfléxions.

TRAITE

DE

LA COLONNE

LA MANIERE DE LA FORMER, de combattre dans cet ordre.

CHAPITRE PREMIER.

Inconvéniens de notre Tactique. Quelques fçavans qu'aient été leş anciens Capitaines, il eft permis d'enchérir fur eux.

L

'Efprit de l'homme eft fini & borné ; il ne fçauroit voir ni connoître tout d'un coup l'étendue d'un art ou d'une fcience, & je ne pense pas que perfonne puiffe fe glorifier d'avoir porté les unes ou les autres au point de perfection où peuvent les conduire les tentatives de plufieurs qui concourent au même but: ceux qui viennent après changent, ajoutent, retranchent, & c'est par ces efforts fucceffifs que les arts fe font perfectionnez.

Ce feroit beaucoup fi les hommes régloient leur jugement sur

les divers dégrez de probabilité, fur lefquels ils embraffent certaines opinions ou certains ufages de longue prefcription. On ne doit, ce me semble, donner fon approbation à certaines chofes qu'à proportion des raifons qu'on a de les adopter; car d'adhérer à des opinions & à des pratiques, fur lefquelles on 'n'a d'autres marques de vérité que le privilége de la coutume, cela ne me femble pas raifonnable, la juftice doit être égale par tout: il est également injufte de mépriser ce qui est estimable, parce qu'il eft nouveau, & d'eftimer ce qui eft blâmable, parce qu'il eft ancien: ceux qui en ufent ainfi, font coupables d'une groffiére acception de perfonnes. Cependant on fait plus, car on récufe fouvent ce qui git en faits, particuliérement dans les chofes de la guerre.

Quelque habiles & éclairez que foient les anciens Capitaines, & quelques-uns parmi les Modernes ; quelque profonds même qu'on nous les répréfente dans la science militaire, on ne peut pas dire qu'ils l'aient pouffée jufqu'au dégré de perfection où elle peut aller. Ceux, qui ont excellé dans quelqu'une de fes parties, ont paru très fuperficiels dans une autre; car qui eft l'homme de guerre qui puiffe fe vanter de les pofféder toutes? La Tactique eft de toutes celle qu'on a le plus ignoré, & où l'on s'eft le moins appliqué depuis les anciens Grecs & Romains: les principes s'en font perdus, & perfonne n'a plus penfé à les rechercher. C'est cependant la chofe du monde la plus aifée à trouver, pour peu de génie & d'application qu'on y apporte.

Il est étonnant que l'on ne fe foit pas encore apperçu que notre Tactique eft imparfaite, foible, & fondée uniquement fur la routine, & fur certain ufage duquel on ne s'écarte point. Notre maniére de nous ranger & de combattre dans les actions générales de la guerre, eft fujette à mille défauts, & à une foule d'inconvéniens très-dangereux, & très-difficiles à éviter, si l'on ne change dans la diftribution des troupes, comme dans les corps & dans les armes. Je n'attaque point cette distribution, ce n'eft pas ici le lieu de dire ce que l'on en penfe : chacun fçait que cette diftribution confifte dans la féparation des deux armes qui compofent une armée, c'est-à-dire de la cavalerie & de l'infanterie, l'une eft partagée & jettée fur les aîles, & l'autre placée au centre chacune fur deux lignes, avec une réserve destinée pour les accidens inopinez. Les corps de la feconde ligne vis-àvis les efpaces de ceux de la premiére. C'est le fyftême des Romains que nous fuivons; fyftême admirable pour des troupes

« AnteriorContinuar »