Imágenes de páginas
PDF
EPUB

fi ce quarré eft à centre vuide, car nous ne pratiquons que celui-là, encore fur quatre ou cinq de hauteur, il ne tiendra pas un inftant, & le mal eft fans reméde. Que fi l'on m'allégue l'éxemple quadrangulaire de toute notre infanterie, après que les alliez eurent forcé nos lignes en Flandres en 1708, j'ai la réponse toute prête ; c'eft que les ennemis le refpecterent, & n'eurent pas le courage de l'attaquer, & c'eft en avoir bien peu que de ne l'avoir pas fait. Par mon principe, le foible, mais très-foible, battra le fort fans difficulté: car pour peu qu'on soit au fait de ma Colonne, cela fe comprend affez.

la

Je demande fi Craffus fit le trait d'un Général bien fenfé dans guerre contre contre les Parthes; il leur alla au-devant dans une plaine rafe & pelée, à la tête d'une armée formidable. Il avoit fept légions, 4000. chevaux, & autant d'infanterie légére. Que fait-il pour fe faire battre? Plutarque nous l'apprendra ; il nous donne l'ordre & la diftribution de chaque arme de l'armée Romaine, & nous fait voir clairement l'ignorance de Craffus. L'Auteur femble pourtant admirer cette ordonnance, mais à deux pas de là il en fait voir l'abfurde, fans y prendre garde : un corps de bataille quarré, dit-il, qui faifoit face de tous côtez, & dont chacun des côtez préfentoit douze cohortes. Chaque cohorte avoit près d'elle une compagnie de chevaux, afin que chaque partie de ce bataillon pût être foutenue à propos par la cavalerie &que tout ce corps en étant également remparé, chargeât avec plus de fûreté & d'audace.

[ocr errors]

Un homme qui ne fera pas du métier, s'imaginera que cet ordre eft la plus belle chofe du monde, & c'eft pourtant la plus grande ignorance qui foit jamais tombée dans l'efprit d'un Général d'armée : car par cette difpofition infenfée, Craffus trouva le fecret de rendre inutiles les deux tiers de fon infanterie. En effet peu s'en falloit que cet ordre de bataille quadrangulaire ne fût à centre plein: quand même il eût été plus vafte, l'ennemi ne s'en fût pas moins moqué, & ne l'eût pas moins envelope & détruit par fes feuls archers à cheval, comme cela arriva : car carracolant & l'environnant de tous côtez, fans le joindre, il l'accabla d'un orage de fléches; de forte que ce quarré ridicule & immobile fe trouva en butte aux traits redoutables des Parthes, fans pouvoir avancer ni reculer. C'est ainsi que cette armée, compofée de l'élite des forces Romaines, fut totalement détruite & anéantie par un nombre d'archers infiniment inférieurs, c'est-à-dire par la moindre partie de l'armée des Parthes.

cij

Si l'on m'objecte que les peuples de l'Afie & les Egiptiens, peut-être avant eux, ont fouvent combattu par gros bataillons pleins & quadrangulaires à leur infanterie, féparez par intervalles de l'un à l'autre, comme cela fe voit dans la bataille de Cirus contre Créfus, & dans celle de Cunaxa entre Cirus le jeune & Artaxerxès, qui fe rangea par corps quadrangulaires à droite de fa cavalerie. Cela ne conclut pourtant pas à l'avan tage de cette façon de combattre ; ni Créfus, ni Artaxerxès ne forment point une autorité refpectable. On voit dans l'ordre de bataille du premier contre Cirus, quatre grands corps quarrez d'Egiptiens auxiliaires de dix mille piquiers chacun ; mais Cirus, qui connut le foible de cette évolution, n'en tint aucuu compte, il les attaqua & en vint à bout. Si ces gens-là euffent formé une phalange alignée à celle de Créfus, Cirus fe fût trouvé très-embaraffé, malgré l'excellence de fon ordre de bataille, qui eft au deffus de tout ce qu'on peut imaginer de fond dans la Tactique.

CHAPITRE IV..

pro

Huit bataillons,rangez en Colonne, réfifteront à une force quadruple, ils feront même en état de l'attaquer. Preuves de cette propofition..

Q

Uoique ce que je viens de dire dans le Chapitre précédent fuffife de refte pour démontrer la foibleffe de l'ordre quarré, je n'en demeurerai pourtant pas là: il nous importe de le fuivre & de le harceller fans ceffe, parce qu'il y a trop un nombre d'Officiers d'infanterie qui le foutiennent de toutes leurs forces, ainfi que nos bataillons, felon la méthode dont nous les rangeons & les faifons combattre, ce qu'on ne peut faire qu'en oppofant tous ces corps, grands ou petits, à mon Principe des Colonnes; je m'affûre que si je ne renverse pas abfolument le préjugé de la coutume, j'y porterai une telle fecouffe, que le plus grand nombre fe convertira & reconnoîtra fon erreur.

Suppofons une armée ou un très-grand corps de troupes battu, diffipé, & mis à la débandade. Suppofons encore qu'il fe trouve trois ou quatre mille hommes parmi ces fuiards qui ne foient pas d'humeur à fe rendre, qu'ils fe rallient, qu'ils

s'ameutent, & que pour fe retirer en gens de bien & plus fûrement, ils forment un gros bataillon quarré à centre vuide, que le victorieux foit à leurs troufles, voilà en peu de tems le pauvre bataillon quarré environné de toutes parts, voilà des fort mal à leur aife. S'ils marchent, c'eft avec une extrêgens me lenteur ; car s'ils vont au-delà du pas grave, ils rompent leur ordre, cela ne peut être autrement; & fi l'ennemi qui le fuit & qui le harcelle s'en apperçoit, il ne manquera pas d'en profiter; s'il ne le juge pas à propos, parce qu'un peu de halte remet tout dans un terrain favorable, il leur fera effuier une grêle de coups de fufils. Il est vrai qu'on leur répondra; mais qu'est-ce qu'un feu de marche dans un quarré d'hommes ? Très peu de chose: que faire ? que devenir, s'il n'y a pas moien de fe retirer par un bon effort, puifque cette évolution n'eft pas propre pour le choc. Il faut donc fe rendre.

[ocr errors]

Je fuppofe que l'ennemi ignorant le défaut & la foibleffe infinic de ce corps rangé de la forte, refpecte fa figure parfaite, & n'ofe l'aborder la baionette au bout du fufil, ou par le choc de fa cavalerie, qui peut beaucoup contre un corps d'infanterie dénué de la seule arme qui peut rendre ce choc inutile & fans effet ; fi l'ennemi, dis-je, n'ofe l'affronter, il ne le fuivra pas longtems qu'il ne le voie bientôt obligé à des haltes incommodes & fréquentes, par la bizarrerie du terrain qui ne lui fera pas favorable; ne faut-il pas fonger alors à marcher d'une autre façon ? Quelle figure prendre pour s'empêcher d'être attaqué ? II n'y a rien de meilleur, dira-t-on, que l'ordre quadrangulaire dans une retraite ; mais s'il faut l'abandonner par les obftacles que le païs offre, comment faire, puifque tout ce que nous fçavons ne vaut rien? Nous voilà décontenancez, quand le terrain s'ouvriroit en fortant d'un mauvais pas, il faut se réformer & fe remettre: cela eft-il bien aifé l'ennemi fur les bras qui guette l'occafion de nous charger avec avantage? Cela me femble bien délicat, & fur tout dans un païs où il faut réitérer plufieurs fois ces fortes de manoeuvres. Voilà mes gens à bout.

Que fera un habile homme qui fera au fait de mon Principe des Colonnes? Il dira j'ai quatre mille hommes, avec des armes de longueur pour joindre aux courtes, partageons ce bataillon quarré en quatre corps, & formons les quatre colonnes A, B, C, D, de mille hommes chacune.

Cela fait, donnons 40 à 45 pas de diftance de l'une à l'autre. N'est-il pas vrai que ces quatre colonnes fe trouvant d'une figure

plus fimple, & moins embaraffée pour la marche, & s'accommodant à toutes fortes de fituations de terrain, se retireront au grand pas & fans confufion, fe foutenant réciproquement les unes les autres, & par elles-mêmes: Si marchant dans cet ordre, l'ennemi E les attaque toutes en F, & même d'une attaque environnante, on n'a que faire de changer l'ordre ; & quand les distances qu'elles laiffent entr'elles feroient plus grandes ou plus petites, il n'y a nul inconvénient à craindre. Les bataillons E, G n'y trouveront pas leur compte, j'en ai assez fait voir la raifon; ils feront bientôt pénétrez,renverfez & ouverts de toutes parts; & s'il y avoit plufieurs lignes de cette force, ou plus étendues, comme je fuppofe les deux E, G, elles ne résisteroient pas davantage.

Mais, dira quelqu'un, car ce quelqu'un s'eft rencontré, fi les lignes E, G, fe rapprochent & s'enchâffent les unes dans les autres, & n'en forment plus qu'une, les bataillons d'une troifiéme se joignant derrière les autres, & doublant leur hauteur en maniére de phalange, vos colonnes tiendront-elles contre cette maffe d'infanterie ? C'eft ainfi que l'on reconnoît, fans y penfer & fans le vouloir, la néceffité de combattre fur une grande profondeur, que l'on approche malgré foi de mon opinion, & que l'on convient avec moi que notre manière de combattre eft pleine de défauts très-effentiels, puifqu'il faut renverfer & changer tout l'ancien fyftême pour parer contre le mien. Nous attendons ce changement du tems & de la guerre, l'un & l'autre justifieront mes principes.

Une phalange coupée par corps eft bonne à bien des égards, mais elle ne fçauroit jamais foutenir contre une ligne de colonnes à la distance du front d'un bataillon l'une de l'autre.

Je vais plus loin en laiffant la phalange, dont nous n'avons que faire ici. Si ces quatre colonnes s'avancent sur le front E, qui lui coupe la marche, non feulement elles perceront, mais je prétens encore que leur feu eft du triple plus fort que celui de l'ennemi. On en fera furpris, la chofe eft cependant inconteftable.

Confidérons les différens feux de ces colonnes ordonnées de la maniére que je les range, & oppofées aux lignes E, G, le feu de E, (car il ne faut pas parler de celui de la ligne G', qui ne peut en fournir,) eft-il comparable au feu qui part des têtes & des côtez H, L, de mes colonnes: feu d'autant plus terrible, plus meurtrier & plus dangereux, que les coups ou tirs font

« AnteriorContinuar »