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escadrons enfermez & abandonnez dans le village de Bleintheim après l'infortune de Hoogftet, a produit toutes ces belles objections. On a encore prétendu que cette méthode de retraite étoit mauvaife, en ce que l'ennemi pouvoit fe jetter entre les distances de mes trois groffes colonnes; mais comment n'at-on pas compris qu'outre les douze efcadrons que j'avois introduits dans cet ordre de retraite, j'avois encore fermé l'entre-deux des colonnes par toutes les compagnies de grenadiers des vingthuit bataillons? Il ne falloit cependant pour cela que des yeux, puifque la figure mettoit cela en évidence. Quand même je n'aurois pas rempli ces vuides, car je ne m'en fais pas une affaire, cet ordre n'en eût pas moins été bon par les raifons que j'ai alléguées plus haut; mais ce n'eft pas là la feule batterie dreffée contre ma méthode.

On en a élevé trois ou quatre autres tout auffi mal fervies, & auffi peu redoutables que la premiére. Ce qui m'a le plus furpris dans cette affaire-ci, & qui étonnera fans doute les fantaffins éclairez, & même les plus médiocres, c'eft qu'il s'est trouvé quelques perfonnes, qui fans rejetter abfolument notre Colonne, ont prétendu enchérir deffus, & la perfectionner par tout ce qui peut l'affoiblir & la rendre de non ufage, fans faire réflé xion que les moiens de perfection qu'ils imaginent fe trouvent combattus & ruinez dans notre Livre des Nouvelles Découvertes fur la guerre comme dans celui-ci. Nous ferons encore une charge fur cette opinion, quoiqu'elle ne vaille guéres la peine d'y user fa poudre, & qu'elle ne puiffe pastenir un feul moment la campagne en préfence de l'ennemi; mais comme nos Critiques font des gens très-refpectables par leur rang & par leur mérite à laguerre, & non pas d'impertinens Journalistes, que nous méprifons, il nous importe de les réfuter, parce qu'il n'eft que trop ordinaire parmi les hommes de refpecter les décifions des Grands du monde, & d'avoir toujours moins d'égard à ce qui eft bon en foi qu'à ceux qui en jugent.

Ils conviennent véritablement que nous prouvons d'une maniére invincible l'excellence de la Colonne, & que la force de l'infanterie, auparavant inconnue, fe reconnoît démonstrativement dans cette façon de combattre ; mais que les Modernes n'étant ni Grecs ni Romains, & par conféquent devant être moins bien difciplinez, ils croioient qu'il étoit très-difficile, pour ne pas dire impoffible, de dreffer les foldats à former la Colonne telle que nous la propofons, & que cet éxercice

étant

étant au-deffus de leur portée, il faudroit un tems infini pour les rendre capables de combattre & de fe ranger de la forte, & que n'y étant pas accoutumez ils s'y trouveroient toujours nouveaux dans une action générale, & ceux qui les commandent guéres moins embaraffez. Qu'en attaquant fur un petit front., & fur une extrême profondeur un corps qui nous déborde infiniment à fes aîles, les foldats, qui ne raisonnent pas, fe croiroient perdus, parce que, difent-ils, en guerre comme en amour les yeux font les premiers vaincus ; que d'ailleurs ce petit front contre un grand eft défectueux dans notre colonne, qu'il n'y a pas de meilleur moien pour la perfectionner que de doubler les bataillons à la queue les uns des autres, fans rien diminuer de leur front & du nombre de leurs files, & que plufieurs corps rangez de la forte, feront d'un plus grand effet que nos fections unies, ferrées & condensées dans Faction. Que les foldats combattront alors fans rien changer de leur éxercice ordinaire ; qu'il eft befoin même, & plus avantageux, que les bataillons qui foutiennent & qui doublent en queue celui de la tête, ou ceux qui les précédent, ne s'en ap prochent point trop, bien loin de ne former qu'une maffe & un feul corps dans le combat, & qu'il faut qu'il y ait une distance, au moins de vingt pas, entre chacun de ces corps pour charger tour à tour & à différentes reprises, en les faifant fuccéder les uns aux autres fans confufion & fans peine, à la faveur des distances qu'ils laifferont entr'eux, qui donnent le tems à ceux qui font repouffez de laiffer le terrain libre aux corps qui n'auront pas combattu, & qu'en allant à la charge ainfi fucceffivement, l'ennemi ne sçauroit résister à tant de nouvelles attaques coup fur coup redoublées.

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Je demande aux Experts fi ces objections font bien vigoureuses, & fi ces moiens de correction & de perfection qu'ils propofent font bien raisonnables, bien folides & bien dignes d'une difpute réglée; ils me répondront fans doute que non, & qu'ils ne méritent aucune réponse. Il faut pourtant y répondre, quoique nous foions très-convaincus que ceux qui les pofent n'ont rien entendu dans notre méthode, & qu'il paroiffe évidemment par tout ce qu'ils difent, qu'à l'égard de l'infanterie ils l'entendent infiniment moins que le commun des Officiers, & que quand on les écoute (je parle ici de la plûpart) fans aucun égard à ce qu'ils font, & fans certaine préoccupation que l'éclat de leur rang & leur réputation même nous donne,

Tome I.

d

on ne les regarde plus avec tant de refpect dans leurs déci

fions.

Premiérement, tous ces beaux raifonnemens & ces belles objections que nous avions prévûes font notées d'abfurdes & decontraires aux régles de la guerre dans cet ouvrage, par des raifons & des éxemples contre lefquelles il n'y a pas le mot à répondre auffi n'ont-ils eu garde de les mettre fur le tapis, & de les combattre ; ils ont eu affez d'efprit pour voir qu'il voir qu'il ne faifoit pas bon pour eux dans un pofte fi incommode : ce qui m'a le plus furpris, c'eft qu'ils ont allégué, pour preuve de leur difcernement, la difficulté de l'évolution, cet aveuglement eft à peine concevable : n'y auroit-il point ici de la paffion plutôt que de l'ignorance? Je le croirois affez. Car dequoi s'agit-il? De pas autre chofe que de doubler & quadrupler les files, & au-delà. Les foldats font-ils autre chofe journellement dans leurs éxercices & dans les marches? N'eft-ce pas à quoi ils font le plus éxercez? Y a-t-il quelque chofe de plus dans la Colonne que cela Eft-ce l'introduction de notre pique, ou pour mieux dire de notre pertuisanne ? Y a-t-il mille ans qu'on s'en fervoit? Qui eft-ce des vieux Officiers qui ne l'ait pas vûe en vogue. dans le tems que nous étions dans notre bon fens ? Faut-il de las magie pour fraifer un bataillon ou une colonne de ces armes ? Ne le pratiquions-nous pas autrefois contre la cavalerie, ou contre l'infanterie ? Qu'y a-t-il de fi difficile dans cette évolution, plus fimple mille fois que notre maniére de combattre ? Rien que de très-aifé, rien que de très-commun & de très-facile : en vérité nous avons honte de réfuter de pareilles chicanes, nous en aurons encore plus dans ce qui nous reste à reprendre dans nos adverfaires, qui mettent leur tems à critiquer une méthode démontrée, qui devroit être un perpétuel sujet de méditation pour eux plutôt que de difpute.

A l'égard de la feconde objection, nous ne l'avions pas moins prévûe & reconnue pour fauffe dans ce Traité que la premiére, de forte que s'il falloit y revenir nous nous verrions dans l'importune néceffité de répéter les mêmes raifons: c'eft ce que nous n'avons garde de faire. Il nous fuffit de les avertir, que puifque toute la force de l'infanterie fe trouve uniquement dans la profondeur de fes files, & dans la jonction du corps que l'on attaque, qui ôte tout l'avantage du feu, fi l'on fépare ces bataillons minces, qui ne combattent qu'à quatre de hauc'est tout comme rien, & l'ennemi combattant felon la

teur,

méthode ordinaire en intention d'en venir aux mains, fe trouvera dans le même avantage que s'il n'avoit affaire qu'à un feul. En attaquant d'abord le bataillon de la tête, & fuppofant qu'il le rompe & qu'il fuive fa pointe fans perdre de tems, il en fera de même de l'autre qui s'en trouve éloigné, & de celui-ci jufqu'au dernier ; ce qui accélérera plutôt la défaite de ces corps ainfi difpofez, c'eft que les fuiars de ceux de la tête fe renverferont fur les autres qui les foutiennent, qu'ils mettront en défordre avant que d'en être fecourus. Par cette belle méthode, quatre bataillons peuvent fort bien fans miracle fuccomber fous l'effort d'un feul, & s'il triple fes files, ces bataillons minces fe renverferont les uns fur les autres, & ne tiendront pas un inftant. Voilà le véritable fecret de fe faire battre en détail.

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Notre colonne ne forme qu'un corps fur un front de vingtquatre ou vingt-fix files. Elle ne fçauroit floter ni fe rompre caufe de fon épaiffeur. Ajoutez la légéreté de fes manoeuvres, & l'avantage de fe mouvoir de tous les fens. Un homme qui s'aviferoit de nous faire voir le moindre de ces avantages dans ces bataillons féparez, & fi ridiculement rangez les uns à la queue des autres, n'en viendroit jamais à bout.

Il s'en eft trouvé qui n'ont pû s'accommoder de cette maniére de Colonne, car on ne fçait quel nom lui donner, fur quoi ils ont fait une réfléxion des plus rafinées. Ne vaut-il pas mieux, ontils dit, joindre les bataillons les uns aux autres, fans imiter l'Auteur du nouveau Siftême, qui leur donne plus de hauteur que de front? Ces bataillons ne compofant ainfi qu'un feul corps, chacun fur quatre de file, formeront un quarré long fur feize de profondeur. Belle & rare découverte ! Nous demandons fi c'est là une Colonne, & un corps facile à remuer pour échaper aux différentes manoeuvres de nos colonnes, plus légéres dans leurs mouvemens, & beaucoup plus fortes & plus vigoureuses dans le choc par la hauteur de leurs files. Pour peu que ces bataillons unis enfemble doublent le pas pour avancer & pour charger, ils ne fçauroient éviter de floter, qui eft un des plus grands défauts de nos bataillons, & tout auffi dangereux que le mince de leurs files, fi aisées à pénétrer. Si cette portion de phalange, ( car je l'appelle ainfi,) eft attaquée dans cet état de flotement, par une de nos colonnes qui la prenne à une de fes aîles, ou à fon flanc, ou à quelqu'un de fes angles par une attaque oblique, quelle confufion quel défordre n'y verroiton pas, s'il arrive qu'on pénétre en quelque endroit, comme

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cela eft inévitable? Quels moiens de fe rallier? Et fi la cavalerie furvient là-deffus, où en fera-t-on ? Nous ne voions pas la réponse à cette objection: d'ailleurs lorfqu'on fe range de la forte, il faut un plus grand nombre de bataillons pour former ces fortes de corps péfans, mafflifs & fans action, & très-propres à fervir de but à toute la fureur de l'artillerie. Ajoutez à tant de défauts, que cette maffe fe trouve dénuée des armes de longueur, que nos Critiques rejettent fans fçavoir pourquoi. En voilà affez, trop contre une méthode de combattre fi mal imaginée & fi pitoiable. Paffons à la derniére objection.

&

Ils ont publié qu'inférieur en nombre nous nous trouverons environnez & envelopez par l'étendue & le nombre des corps que nos colonnes rencontreront fur leur route. Nous nous étions imaginez avoir apporté d'assez bonnes raifons pour diffiper cette crainte, mais puisque l'on ne s'y est pas rendu, aions recours aux éxemples.

Les cohortes Hollandoifes, qui étoient au fervice de Vitellius, s'étant révoltées, demandérent le paffage à ceux de Bonne pour se retirer dans leur païs, qui s'étoit fouftrait de l'obéiffance des Romains par les intrigues de Civilis, Chef des rebelles. Ceux de Bonne leur aiant refufé ce paffage, ces cohortes prirent la résolution de se l'ouvrir l'épée à la main, quoiqu'en petit nom bre, & les forces des Romains infiniment fupérieures. Ceux-ci leur vont au-devant pour les combattre. Leur deffein étoit de les enveloper, dit Tacite; mais pour avoir donné trop de front à leur ordre, & peu de hauteur, ils furent percez aisément: car les autres, qui étoient de vieux foldats, s'étant ferrez les enfoncérent, après avoir doublé les files de leurs bataillons; c'eft-à-dire après s'être. rangez fur vingt ou feize de profondeur.

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