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pas même des armes défenfives; au lieu que les Romains avoient de tout cela, tant la coutume avoit de force & de puiffance fur cette nation, fans que leurs défaites, qui venoient toutes de la foibleffe de leurs armes, leur ferviffent de leçon: car les Gaulois de l'antiquité la plus reculée, comme les autres qui font venus après eux fous le nom de François, ont toujours été battus pour n'avoir pas imité leurs ennemis dans la maniére de s'armer. S'ils l'euffent fait, je ne fçai fi on parleroit aujourd'hui de ces anciens Grecs & Romains, fi admirez dans l'Hiftoire, & fi renommez par la grandeur de leurs victoires, & par celle de leurs conquêtes.

Merian. Theat. Eu

P. 433.

Guftave- Adolphe, le plus grand Capitaine & le plus profond dans l'infanterie qu'on ait jamais vû depuis les Anciens, avoit cherché une évolution plus parfaite & plus propre à enfoncer que la ridicule Tête de Porc, qui ne fut jamais au monde telle qu'on nous la donne ici. La premiére idée de ce grand homme, fut la portion de Croix A, qu'il entrelaffa entre les brigades de fon infanterie, comme il paroît dans le plan de la bataille de Leipzig en 1631, ou les Impériaux furent totalement défaits. Dans cette bataille le Roi de Suéde inféra des rop. tom. 2. Coins fimples, ou pour mieux dire des colonnes entre les brigades de fon infanterie : la manche des piques A faifoit la premiére fection, & les deux manches des Moufquétaires B, C, derriére celle des piquiers fur une même ligne. La fection C étoit alignée entre les bataillons D de chaque brigade, les deux autres fections A, B, débordant fur tout le front de la ligne ; ainfi chaque colonne se trouvoit flanquée du feu des Moufquétaires, & foutenue encore du centre des piques E, des bataillons D, des aîles des brigades, & les deux rentrans F, entre les corps D, & la colonne, ne pouvoient être abordables, fi l'on ne commençoit par embraffer la colonne & tous les corps ; ce qu'on ne pouvoit que par un ordre & des armes femblables. L'ordonnance de Lutzen fut une fuite des réfléxions Gustave avoit faites à celle de Léipzig; c'eft à cette maniére de combattre, auparavant inconnue, qu'il dut le fuccès de ces deux grandes journées.

que

Cette fçavante méthode de Gustave ne périt pas après la mort de ce grand Roi, elle trouva des gens qui la pratiquérent avec beaucoup de gloire. Les Suédois combattirent & vainquirent 1bid. tom. 3. par colonnes à la bataille d'Oldendorp en 1633. Cinq cam- p. 85. pagnes après les mêmes Suédois remportérent une grande vic

ibid, tom. 3,

P. 953.

p. 800.

toire à Witte-Wéyr. Et en 1642. le Maréchal de Guébriand 1bid.tom.4. gagna celle de Hulft. On peut dire que dans celle-ci comme dans la précédente, les deux Généraux fe rangérent fur une ligne de Coins fimples, c'eft-à-dire que les deux fections des Moufquétaires C flanquoient celles des Piquiers B.

Pour revenir à l'ordre de bataille de Léipzig, bien que j'aie
dit que Gustave fe rangea par colonnes entre les brigades, je
crois qu'en rigucur on ne peut pas les qualifier de ce nom, mais
feulement de portions de croix, ou de Coins fimples ; parce que
les bataillons D faifoient corps avec elles, & que tous enfemble
agiffoient du même branle & du même mouvement, fans s'en fé-
parer. Cela les rendoit pefantes & difficiles à manier dans leurs
différentes manoeuvres, & leur ôtoit la force & l'impétuofité
du choc. Le Roi, qui remarqua un défaut fi effentiel, le cor-
rigea à Lutzen, comme on le verra dans la defcription de cette
bataille. Car outre la fimplicité qu'on demande dans une évo-
lution, il faut que non feulement elle agiffe indépendamment
des corps qui font alignez avec elle, mais qu'elle foit encore
d'une figure capable de faire & de foutenir un grand effort,
gliffer & s'écouler facilement par l'ouverture qu'elle s'eft faite
dans les corps ennemis, & que les armes, qui fe font ouvert un
paffage, foient fuivies d'autres femblables, & de feux entremê-
lez avec elles. Il faut encore qu'une évolution foit capable de
fe mouvoir & d'agir de tous les fens, par converfion de la droite
à la gauche, & de la gauche à la droite, & marcher de front
comme par les côtez, & tout cela ne fe rencontroit pas dans fon
efpéce de Coin, à caufe des inégalitez de cette figure: ce qui
dut lui paroître un très-grand défaut ; enfin il faut qu'on ait
bien moins d'égard aux différens feux qu'on en peut tirer, qu'à
la violence de fon choc. Cette force & cette impétuofité ne git
pas
dans l'étendue d'un bon front d'hommes: car cette étendue
est un obftacle à la vîteffe de fon mouvement, mais à la profon-
deur de fes files, qui doivent être égales à la tête & à la
ce qui ne fe trouve pas dans le Coin imaginaire d'Elien, & dans
la Tete de Porc, auffi chimérique que l'autre ; c'est-à-dire qu'une
évolution ne peut être bonne fi la hauteur n'eft triple à fon
front, n'y aiant rien de plus dangereux que le flotement d'un
corps foit d'infanterie, foit de cavalerie. Les Grecs, comme
les Romains, le connoiffoient bien, & ce font toujours les plus
habiles qui le remarquent. Cela fe voit dans la bataille de Ne-
mée; car les Béotiens, qui fermoient l'aîle des Lacédémoniens,

queue;

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Xenoph.Hi.

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fans fe foucier de faire leurs files de Jeize à l'ordinaire, dit Xénophon, ils fe rangérent en bataille avec beaucoup de hauteur, pour Xenoph. Hi empêcher les bataillons de floter, quoiqu'ils dûffent craindre d'être inveftis, puis marchérent par l'aile pour s'en defendre.

La grande profondeur d'un corps fut du goût de Guftave, & la Colonne lui parut préférable à tout autre corps autrement difpofé. Il raifonnoit en fçavant Fantaffin, & fur l'expérience. On va loin avec ce fecours. Il penfa aux moiens de perfectionner fa méthode de Léipzig, & de la porter au point que rien ne lui pût résister; il chercha ces moiens, & les trouva dans la Colonne, & la Téte de Porc fut comptée pour rien.

Je voudrois bien fçavoir où le Pére Daniel a trouvé fon Caput Porcinum tel qu'il nous le donne. Végéce & Agathias nous repréfentent cette évolution comme un triangle parfait, & ne nous difent pas qu'elle fût par fections débordées. La Tête de Porc eft le Cuneus, & l'un & l'autre font de ces termes métaphoriques, qu'on ne doit pas prendre au pied de la lettre. Je ne regarde Agathias que fur le pied d'un Hiftorien, & Végéce loin d'être d'une autorité irréfragable, donne très-fouvent à gauche. Le blâme-t-on à tort d'avoir confondu les réglemens & les coutumes des Anciens avec celles de fon tems? Ne doutons pas qu'il n'ait pris le Caput Porcinum ou le Cuneus des Anciens, pour un véritable triangle avec toutes fes pointes. Si ce triangle étoit fi redoutable que ceux qui nous l'ont représenté le difent, il ne faut pas douter qu'Epaminondas & Polybe ne l'euffent préféré, l'un à la Colonne, & l'autre à la phalange doublée ou triplée. Thucydide, qui décrit les deux batailles de Leuctres & de Mantinée, où le premier fe rangea en colonne, fe fert du terme d'Embolon, ainfi que mon Auteur dans le doublement ou triplement des files de fa phalange, & cependant on voit bien qu'il ne s'agit pas d'un triangle, mais d'un corps fur une très-grande profondeur. Tout cela étoit très-aifé & très-fimple dans la pratique, au lieu que le Cuneus ou la Tête de Porc, confidérée comme un triangle, étoit une évolution qui demandoit du tems pour la former ; & comment fe pouvoit-on. ranger de la forte avec les ennemis fur les bras?

Si Frontin, qui étoit un fçavant homme de guerre, me difoit. que le Coin étoit un triangle, je le croirois plutôt qu'Elien, Végéce & tant d'autres. Il ne faut pas douter que le terme de Cuneus n'ait trompé ces Auteurs. Elien ne dit-il pas qu'Epaminondas avoit combattu en ordre triangulaire à Leuctres : ce qui eft:

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