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Polyen liv.8. ch. 25.

ordre, bien moins dans le deffein de se garantir des éléphans, qu'Annibal avoit en grand nombre, que de trouver une difpofition capable de résister avec une armée de vingt-deux à vingt-trois mille combattans, contre une autre de cinquante mille, rangée fur trois groffes lignes d'infanterie, ou fur trois phalanges: c'étoit fait de Scipion s'il eût combattu felon la coutume Romaine. Ce célébre Chef d'armée n'est pas pourtant l'Auteur de cette façon de combattre par colonnes. Régulus eft le premier qui la pratiqua en Afrique contre Xantippe, qui fut victorieux par la bévue du Conful Romain, comme Scipion par celle d'Annibal. Régulus perdit la bataille pour avoir trop refferré les efpaces entre les colonnes, comme Varron à Cannes, qui combattant fur les mêmes principes, tomba dans des fautes encore plus groffiéres par fon ignorance & fa mauvaise conduite. Scipion corrigea fon ordre de bataille, par ce qu'il remarqua de défectueux dans les deux autres.

Polyen rapporte un éxemple des Colonnes, que je ne me fouviens pas d'avoir lû dans aucun des Auteurs Grecs & Latins qui ont écrit des guerres des Romains. Il eft fi digne de remarque, & fi ancien, que j'en ai été tout furpris. Je le tire de Rome naiffante, on ne peut guéres remonter plus haut il eft digne de la curiofité des Lecteurs. Le voici tel que le sçavant Bénédictin Dom Lobineau l'a traduit du Grec de Polyen, cette traduction est encore manufcrite. Rapportons ce paffage.

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Romulus campa à dix stades de la ville de Fidéne. La nuit il fit fortir fes troupes des retranchemens. En aiant pris la moitié, il la fit marcher de front, & aiant ordonné aux autres de marcher en colonnes, il marqua en fecret aux Chefs ce qu'ils avoient à faire. Pour lui, accompagné de quelques-uns des plus difpos, tous armeż de haches, il fe présenta aux murs, après avoir commandé au refte de ce corps d'armée de fe te» nir en embuscade près de là. Au point du jour il fit attaquer les portes à de hache. Les Fidenates troublez par témérité de cette entreprise, ouvrirent les portes, & fondirent » en désordre sur les ennemis. Les Romains lâchérent le pied. • Les Fidenates ne voiant que ceux qui leur faifoient face, fans appercevoir les autres qui étoient derriére, mépriférent ce qu'ils voioient, & les poufférent vigoureufement, dans l'efpérance de les exterminer. Quand ils fe furent avancez plus » loin, les Chefs qui conduifoient les colonnes couvertes par la ligne du front, les firent approcher & s'affeoir à terre,

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afin que les ennemis ne les viffent point. Cela fait, ceux de la ligne de front prirent la fuite, & s'étant coulez derriére » les colonnes, firent volte-face contre ceux qui les pourfuivoient. Alors ces colonnes fe levérent, & ces foldats frais fe jettérent avec grand bruit fur les Fidenates haraffez, qui furent attaquez en même tems par ceux qui avoient fait femblant de fuir. Les Fidenates pouffez de toutes parts, furent mis en déroute, & la plupart tuez, & leur ville fut prife.

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Lés Romains ne font pas pourtant les premiers qui aient connu la Colonne, comme je penfe l'avoir dit, c'eft aux Grecs que l'on doit l'attribuer: c'étoit le grand principe d'Epaminondas. Il ne combattit jamais que dans cet ordre, & fut toujours victorieux: les batailles de Leuctres & de Mantinée, les plus fameufes de l'antiquité en fait d'intelligence, en offrent un bel éxemple,, comme je le dirai bientôt.

Lorfque Dion entra dans Syracufe, après avoir été chassé: par fes Citoiens, au fecours defquels il étoit venu, il marcha contre les troupes de Denis en colonnes. Il fépara, dit Plutarque, fes péfamment armez par petits corps, aufquels il donna plus de profondeur que de front, & les mit chacun fous différens Chefs, afin qu'il pût faire tête en plus d'endroits, & paroître plus fort & plus redoutable.

Arfaces, dans la guerre contre Antiochus Roi de Lydie difpofa fon infanterie en forme de coin, marcha droit jusqu'à la phalange, l'attaqua avec tant d'ardeur & de violence, & la preffa fi vivement, que fi Antiochus n'eût pas ufé d'un strata-gême qui lui réuffit, en tombant fur les derriéres des ennemis par les revers des montagnes, fa perte étoit infaillible. Ils combattoient ferrez en forme de coin, dit mon Auteur, & le coin n'étoit fûrement pas une maniére de triangle, ni même un tra- péze dans cette affaire, mais une phalange fur plufieurs fec-tions les unes derrière les autres, c'eft-à-dire une colonne. Cela me femble d'autant plus vraisemblable, que ce combat, qui est très-remarquable dans Polybe, fe donna dans un pas de montagnes très-refferré, où il importe d'occuper & de rem-plir tout le terrain, bien loin d'y préfenter une pointe & de ne le remplir que vers la baze ; ce qui feroit abfurde & trèsdangereux, l'ennemi pouvant profiter du vuide & former un rentrant où le triangle fe feroit trouvé emboîté & comme enchâffé. Tout cela me perfuade, comme l'éxemple d'Alexandre contre Glaucias, dont j'ai déja fait mention, qu'on se servoir

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C'est celui

da Corfou fi glorieufe

ment.

indifféremment du terme de Coin pour faire comprendre un corps fur beaucoup de hauteur & peu de front: car l'on fçait affez que les Anciens n'étoient pas fort opulens en termes militaires, témoin celui d'Acies dans Végéce & dans plufieurs autres Auteurs, qui a diverses fignifications; c'est tantôt l'armée entière, tantôt un corps de troupes, ou un détachement de quelques cohortes, & fouvent une ou deux, quelquefois une aîle ou un centre. Le mot de Testudo ne fignifie pas toujours un corps d'infanterie ferré, & combattant leurs boucliers fur leur tête en forme de toît, pour le garantir des coups d'en haut. Il fignifioit souvent une cohorte ou plufieurs enfemble, ou une phalange, les rangs & les files ferrées, bouclier contre bouclier. Le Tére Daniel a crû que Narfès forma une tortue à Caffilin contre les François, les foldats combattant leurs boucliers fur leurs têtes. Il s'eft trompé, Agathias veut dire que Narfès forma une phalange. A quoi bon une tortue contre des gens qui n'avoient aucune arme de jet? Je trouve tant d'étimologies différentes du terme de Cuneus dans Céfar, dans Tacite & dans Tite - Live même, qu'un homme qui n'eft pas rompu & éxercé dans le métier des armes s'y trouve souvent très-embaraffé. On ne fçauroit être trop en garde en traduifant les Auteurs Grecs & Latins. Il eft donc très-probable, & fi je l'ofe dire, prefque certain que le terme de Coin dans un défilé de montagnes, fignifioit une colonne plutôt qu'un triangle, ou un trapéze. Voilà bien des éxemples de l'antiquité qui prouvent la Colonne, ce n'eft pas cependant encore tout. J'en réserve deux confidérables pour le Chapitre fuivant, pour terminer celui-ci par un autre très-célébre qui s'eft paffé de nos jours.

paru

Le Général Schoulembourg, un des plus fçavans hommes qui a défen- d'infanterie, & des plus expérimentez qui ait dans notre fiécle, & dont les actions font affez connues, fe retirant par les plaines de Pologne avec un corps d'infanterie d'environ quatre à cinq mille hommes, fe vit tout d'un coup attaqué dans fa marche par huit mille chevaux de cavalerie Suédoife, & l'intrépide Roi de Suéde Charles XII. à la tête. Cet habile Chef Saxon, brave & expérimenté, ne fe déconcerte point, & fait voir tout ce que peut un efprit éclairé, feconde d'un grand courage & de la confiance de fes troupes. Il fe range en colonne, fe fraise de tout ce qu'il a d'armes de longueur, halebardes, pertuisannes & efpontons, & le prépare à une vigou

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Yeuse résistance; il est bientôt joint, & dans l'inftant attaqué : il foutient le choc de cette cavalerie avec tout l'ordre & la valeur poffible. La cavalerie Suédoise eft repouffée, le Roi ne fe rebute pas; il étend fes efcadrons & environne cette colonne de toutes parts, elle fait face par tout: le combat recommence avec la même fureur, le Monarque s'abandonne fur cette colonne, & la charge à différentes reprifes. Il trouve un courage & une obstination égale à la fienne ; il fe laffe enfin de tant de charges inutiles & fans effet, & Schoulembourg continue fa marche jusqu'à un ruisseau, qu'il paffe à la faveur de la nuit, & du feu d'un moulin où il avoit jetté quelque infanterie.

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Suite du même fujet. Batailles de Leuctres & de Mantinée.

L me femble que Plutarque n'inftruit pas affez fon Lecteur dans le récit d'une bataille auffi mémorable que celle de Leuctres. Elle méritoit plus de foin & d'éxactitude: car jamais un bon abréviateur ne laisse échaper les circonftances d'un fait d'où naiffent les grands événemens.

Hift. Grec.

L'Auteur ne dit pas un feul mot de la cavalerie. S'il eût confulté Xénophon, il eût remarqué qu'il y en avoit dans les deux 1.7. armées, & celle des Thébains contribua beaucoup à la vic

toire.

Pour redreffer ce qui manque dans cet Auteur, j'ai suivi Xénophon, qui dit que Cléombrote forma une première ligne de fa cavaletie A, qu'il pofta à la droite de fa phalange B, qui la foutenoit.

Diodore dit qu'ilsavcient

Les Thébains étoient plus foibles de la moitié ; mais comme ils étoient bien commandez & mieux ordonnez, ils marchérent aux ennemis, qui les débordoient extraordinairement à leur 7000. homdroite C.

Epaminondas le voioit affez: pour leur ôter cet avantage, il fit un trait d'un Capitaine fin & rusé.

Il fe détermine d'attaquer par fa gauche D, il la fortifie de tout ce qu'il avoit d'hommes d'élite, ou de péfamment armez, qu'il rangea fur cinquante de profondeur, c'est-à-dire en Colonne E, que je conjecture de trois mille hommes. La Com

Tome I.

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mes d'infanterie, & soo. de cavalerie.

pagnie des trois cens (4) F fermoient cette aîle. Le refte de for infanterie G, qui confiftoit en fes armez à la légére, & les troupes qui ne faifoient pas corps avec fa premiére phalange s'étendoient fur une ligne fort mince, fur trois ou quatre de hauteur, parce qu'il comptoit en formant une oblique, d'éviter un engagement de ce côté-là. A l'égard de fa cavalerie H, il fe régla fur la difpofition de fon ennemi.

Cleombrote forma fa phalange L, felon la coutume des Grecs ; fa cavalerie, comme je l'ai déja dit, étoit en premiére ligne à fa droite rangée par efcadrons. C'eft l'ordre & la diftribution des troupes des deux armées dans une plaine rafe & dé

couverte.

Les Thébains parurent d'abord en bataille aux points M fur une ligne droite & paralléle à la phalange Lacédémonienne; ils s'ébranlent tout d'un coup, & pendant que l'extrémité de leur aîle droite ne bouge, tout le refte de la ligne marche par un demi quart de converfion par les lignes ponctuées P ; c'est-à-dire que la ligne fe meut autour de N, comme autour de fon centre: de forte que l'aîle droite fe trouva fort éloignée de la gauche de Cléombrote. Par ce mouvement les Thébains à leur gauche s'approchérent toujours plus de la droite des Lacédémoniens fur laquelle ils vouloient tomber. Cette difpofition d'Epaminondas eft la fixiéme de Végéce, qu'il appelle In fimilitudinem veru; c'est l'ordre oblique dont il fait plus de cas que d'aucun autre des fept qu'il nous donne dans fon Livre. Les Anciens l'appelloient bataille de biais, c'est-à-dire qu'on mettoit tout ce qu'on avoit de troupes d'élite à l'aîle qui devoit attaquer, pendant qu'on refufoit tout le refte de la ligne à l'ennemi. 11 paroît qu'Epaminondas le préféroit à tous les autres, effective-ment c'est le meilleur : la ligne oblique ou l'ordre de bataille oblique étant tout ce qu'il y a de plus à craindre & de plus

(a) La Compagnie des trois cens. ] Cette Compagnie, ou Troupe facrée, comme la plupart des Auteurs l'appellent, étoit trèsbien imaginée pour ces tems antiques. Quiconque la propoferoit dans celui-ci, fe feroit moquer de lui, & pafferoit pour trèsvifionnaire. Où trouver tant d'amis dans un fiécle fi corrompu? A moins qu'on ne les cherchât dans les troupes, car je ne pense pas qu'on en puiffe trouver ailleurs que dans les armées; les armes font cet effet, c'eft une très-grande rareté dans les autres. Nous connoissons assez bien le mon

de, & nous y fommes affez rompus pourdécider hardiment fur cet article: peut-être n'en trouveroit-on pas un fi grand nombre mais du moins on en trouveroit. Polyen dit dans fes rufes de guerre, que Gorgidas fut le premier qui établit la Troupe facrée. Elle · étoit compofée, dit-il, d'hommes liez ensem ble par l'amour le plus tendre au nombrede trois cens. La tendreffe qu'ils avoient les uns pour les autres, faifoit qu'ils ne s'aban. donnoient jamais, qu'ils ne prenoient point · la fuite, & qu'ils étoient résolus de vain- ere les ennemis, ou de mourir tous ensemble

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