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excellemment dreffées & difciplinées, qui vont au combat à deux différentes reprises, une ligne fuccédant à celle qui eft rompue. Encore un coup, cet ordre eft excellent pour des troupes éxercées, intrépides, bien commandées, & pour un Général d'une valeur, d'une expérience & d'une capacité confommée. Il faut que tout cela fe trouve dans un ordre fi composé, qui, plus que tout autre, demande une prévoiance & une attention infinie: fans cela le fuccès dépend beaucoup plus de la fortune que de la raifon.

Or quoique ce fyftême nous ait quelquefois réuffi, il y auroit de la témérité à fe flater que nous ferons toujours également heureux. On fçait affez fur quel pied eft notre difcipline, quand même elle feroit obfervée dans toute la rigueur de nos loix militaires. On n'ignore pas non plus les principes fur lefquels roule communément toute la fcience de la guerre. Si après cela on fait attention à notre Tactique, qu'on l'éxamine, & qu'on médite avec un efprit dépréoccupé des préjugez de la coutume, on la trouvera très-imparfaite: non feulement par ce que j'ai dit plus haut, mais encore par ce qui manque aux corps qui agiffent dans les affaires générales de la guerre.

Nos bataillons ne sçauroient ni attaquer ni fe défendre indépendamment les uns des autres, parce qu'ils combattent fur fi peu de hauteur, qu'ils peuvent ailément être percez & rompus, défaut effentiel contre les régles de la Tactique. La véritable force d'un corps confifte dans fon épaiffeur, ou dans la hauteur de fes files, dans leur union, dans leur preffement, & celui de ses rangs à la pointe de l'épée. Cette épaiffeur rend les flancs auffi forts, ou prefque auffi forts que le front. Par cette méthode le bataillon fe trouve en état de réfifter, de rompre tout bataillon qui ne combattra pas fur ce principe, & de fe mouvoir avec plus de facilité & de légéreté que les autres ; au lieu qu'un corps, qui combat fur un grand front & peu de hauteur, manœuvre difficilement, & ne peut éviter le flotement fi ordinaire dans les corps rangez fur une trop grande étendue : à la guerre l'épaiffeur des files rémédic à tout, & augmente la force & la rapidité du choc. On doit regarder comme une maxime, que tout bataillon, qui attaque, rangé fur beaucoup de profondeur & peu de front, quoique plus foible, doit en furmonter un autre plus fort, rangé felon la méthode ordinaire, quoique celui-ci l'outrepaffe à fes aîles. En combattant de cette maniére toute la force d'un bataillon eft en lui-même, fans que fa défaite influe fur ceux qu'il a à côté.

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Je crois pourtant que cela ne fuffit pas, il faut quelque chofe de plus folide, & qui nous affûre davantage contre le grand nombre qui peut nous accabler & nous enveloper. Il est nécesfaire d'appuier & de couvrir les petits corps par de plus gros, capables d'agir par eux-mêmes, & d'empêcher la ruine d'une ligne en les partageant fur tout fon front, particuliérement aux aîles & au centre. Quel eft donc votre deffein, me dirat-on? Si ce n'eft peut-être de changer tout l'ordre de notre Tactique, & de faire voir par les défauts de notre méthode que les Anciens & nos Peres après eux fe font trompez Je réponds à cela, que je ne prétens pas attaquer & renverfer notre méthode dans la façon de nous ranger & de combattre ; mais quand l'on auroit ce renversement en vûe, le mal ne feroit pas fi grand; nos péres n'étoient pas infaillibles, & il paroît qu'on ne les croioit pas tels il y a deux fiécles, puifque chacun avoit fa méthode différente. Autre eft celle de François I. autre celle de Henri III. autre celle de Henri IV. & la nôtre d'aujourd'hui est différente de celle du fiécle de ce grand Capitaine. Qui peut avancer fans témérité, pour ne pas dire fans folie, que nous avons atteint la perfection? Je crois au contraire, fauf le refpect que je dois aux habiles de notre fiécle, que nous en fommes fort éloignez ; il doit être permis de faire quelques pas en avant pour voir l'objet de plus près: tâchons d'y atteindre autant qu'il dépend de nos forces, puifque les intelligens conviennent que nous n'y fommes pas encore arrivez. Čeux-là font bien plus à croire que cette foule de gens fans étude & fans application, qui s'en tiennent à ce que nos Maîtres nous ont enfeigné, ou n'ont pas même été à leur école.

Ils ont donné telles régles, ces Maîtres, ils ont combattu sur tels principes que nous fuivons depuis deux fiécles; s'il y a eu quelques changemens, ils font de peu d'importance, foit dans les corps, foit dans les armes : d'accord; mais ils ont penfé, ceux qui font venus après, ont penfé auffi, & leurs fucceffeurs ont eu le même droit; pourquoi ne nous fera-t-il pas libre de penfer à notre tour, & de faire ufage de notre efprit, d'enchérir fur eux, fi nous croions qu'ils fe font trompez? Il nous doit être permis, non feulement de le dire ; mais encore de faire voir par l'oppofition de notre Tactique à la leur, qu'il y a encore quelque chofe à faire après eux, quoique nous reconnoiffions qu'ils étoient de grands hommes, & qu'ils ont approché de la perfection. Tâchons nous-mêmes d'en approcher un peu plus. C'est beaucoup de nous mettre fur la route, il n'y a plus qu'à

marcher.

CHAPITRE IL

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De la Colonne, & de fes parties. Ce qu'on entend par cet ordre; & cette maniére de combattre. Ses avantages fur le quarré

L

à centre plein.

A Colonne eft un corps d'infanterie ferré & fuppreffé, c'està-dire un corps rangé fur un quarré long, dont le front est beaucoup moindre que la hauteur, qui n'est pas moins redoutable par la pefanteur de fon choc, que par la force avec laquelle il perce & réfifte également par tout, & contre toutes fortes d'efforts. Les rangs & les files doivent être tellement ferrées & condensées, que les foldats ne confervent qu'autant d'efpace qu'il leur en faut pour marcher, & fe fervir de leurs

armes.

Ce quarré long eft formé de plufieurs bataillons à la queue les uns des autres, depuis un bataillon jufqu'à fix, fur plus ou moins de files ou de rangs, felon la fituation du païs où l'on se trouve obligé d'agir & de combattre ; car lorfqu'on peut for mer deux colonnes au lieu d'une trop forte, & fur un trop grand front dans un défilé, il est toujours plus avantageux d'obferver cette méthode pour éviter la confufion, & laiffer un écoulement aux fections rompues, ou faire place aux autres qui fuccédent dans un combat trop long & trop opiniâtré.

Je ne range pas ma colonne felon le front ordinaire d'un bataillon, qui étant à quatre ou cinq de hauteur, marche fur plus ou moins de front felon fa force ou fa foibleffe.

Je me fixe à vingt, vingt-quatre, ou tout au plus à trente files dans un terrain libre; mais dans un autre qui ne l'eft pas, comme dans un païs fourré & de défilez, elle peut fe maintenir dans fa force depuis trente files ou trente-quatre même jufqu'à feize: car je crois défectueux tout nombre plus grand ou plus petit. Je n'obferve pas le nombre pair, parce qu'il ne me femble pas fort néceffaire pour les évolutions qui lui font propres.

La Colonne, étant compofée de plufieurs bataillons, doit former plufieurs corps joints enfemble. J'appelle la premiére A, premiére fection. La feconde B, feconde fection ; & la troifiéme C, troifiéme fection. Elle peut être compofée, comme je l'ai déja dit, depuis un bataillon jufqu'à fix, qui dans le comb

Tome I.

bat ne laifferont aucun intervalle entr'eux. Il y aura fix Capitaines, fix Lieutenans, & fix Sergens à la tête : le refte des Officiers & des Sergens fera reparti aux flancs, ou fur les aîles des rangs.

Je partage également les Officiers & les Sergens à la tête, à la queue & aux flancs de chaque fection, & fur tout à celle de la queue C; afin que fi la colonne venoit à être envelopée, & attaquée de tous côtez, l'ennemi trouve une égale force & une égale résistance, supposé même que les deux premiéres fections vinffent à être battues.

J'appelle les aîles des rangs, on les flancs faces, parce que par le terme de flanc on entend les côtez foibles d'un bataillon ou d'un efcadron, au lieu qu'il n'y a rien de foible dans un corps comme la colonne.

Les compagnies de grenadiers D, ne feront pas corps avec la colonne. On doit les placer à la queue, ou à chacun des côtez de la derniére fection, étant une maxime conftante trèsconnue des Anciens, & qui ne l'eft pas moins parmi les Modernes, qu'il faut toujours féparer un corps d'élite & de réputation, & le faire combattre, fans le mêler avec un autre qui vaut moins. Le premier choc de la colonne contre le quel nos bataillons minces ne fçauroient réfifter, quand même leur épaiffeur feroit triple, doit être le fignal, foit pour faire partir les grenadiers après les fuiards, foit pour les jetter dans les efpaces d'entre les bataillons ou des efcadrons, ou pour tout autre usage, felon qu'il plaira à ceux qui commandent d'en difpo fer ; ces petits corps fervent comme de fupport & de réserve à chaque colonne : cette réserve se trouvant plus ou moins groffe felon le nombre des fections.

On me demandera peut-être pourquoi je ne mets pas plutôt les grenadiers à la tête de chaque fection, que de les en féparer comme je fais. C'est que la tête de chaque fection étant formée d'un rang d'Officiers & de Sergens, & d'un autre des meilleurs foldats du bataillon, chacune eft affez forte pour foutenir & faire un bon effort, chaque tête fe trouvant hériffée des efpontons & des halebardes des Sergens, & le fecond alternativement mêlé de mes piques ou pertuifannes de longueur avec les baionettes au bout du fufil, & fraifée par tout des mêmes armes: ce qui doit sembler terrible à tout ennemi qui ne combat pas dans le même ordre, & qui n'eft pas armé de la même forte. Quand le bon fens & les régles de la guerre ne nous feroient

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