Imágenes de páginas
PDF
EPUB

que

l'abord eft des plus redoutables. Je pourrois même faire voir la hallebarde eft très-défectueufe dans fon fer comme dans fa longueur ; c'est ce que je démontre dans un Traité analytique des armes blanches.

Polybe attribue le défaut de la phalange & la caufe de la défaite de ce corps à plufieurs raifons, dont il oublie la principale. Une de ces raifons eft l'ordonnance Romaine, divisée par corps qui entroient les uns dans les autres. Les Généraux Romains fçûrent l'attirer dans des lieux difficiles & raboteux, où ne pouvant conferver cette union, fi néceffaire dans un corps de piquiers, & dans une arme uniforme, les Romains profitoient des vuides qu'elle laissoit, à cause de l'inégalité du

terrain.

Je veux que cela ait contribué en partie à la défaite de la phalange; mais ce n'étoit pas là fon plus grand défaut, c'eft, comme je l'ai dit ailleurs, la trop grande longueur de leurs Sariffes, ou de leurs piques. L'Auteur n'a pas remarqué qu'il n'y avoit guéres que les piques du premier & du fecond rang dont on pût fe fervir dans la défenfe & dans l'attaque, & que celles des autres rangs reftoient comme immobiles & fans effet; elles fe trouvoient toutes ramaffées en faiffeau entre l'intervalle de chaque file, fans qu'il fût prefque poffible aux piquiers du troifiéme rang, ( car le refte ne fervoit que d'appui ) & même du fecond de voir ce qui fe paffoit hors du premier rang; ni de remuer leurs longues piques, qui fe trouvoient comme enchâffées & emboîtées entre les files, fans pouvoir porter leurs coups à droit ou à gauche : ce qui donnoit une grande facilité aux Romains de furmonter un obftacle redoutable en apparence, & au fond très-méprifable. En effet c'eft le Brutum-fulmen qu'un corps de femblables piquiers. (a) Il ne

(a) Le Pére Daniel prétend que le nom de Pique n'eft pas fort ancien dans nos Hiftoires, & qu'il ne voit pas qu'on s'en fervit avant le régne de Louis XI. quoique cette arme foit fort ancienne, & la mére comme la reine de toutes. Les anciens Gaulois, ni même ceux de la moienne antiquité, ne se sont jamais fervis non feulement de cette arme; mais des autres d'une grandeur raifonnable, comme du Pilum, des Romains. Ils n'avoient qu'un petit javelot qu'ils lançoient pour mettre enfuite l'épée à la main; & cette épée, dont Polybe fe moque avec raison, étoit encore plus mé

prifable que le javelot. Le même Auteur dit que cette arme reffufcitée chez les Suiffes, paffa en France & chez les autres nations; à ce que je vois on commença à raifonner bien tard: après cela peut-on difconvenir que les Suiffes font infiniment plus fages que nous, & que nous n'en approcherons jamais décifion que je ne tire pas de la pique, qui eft l'arme qui naît du fens commun. Quoiqu'il en foit, on connut, & non plutôt, l'excellence de cette arme; on s'avifa de s'en fervir à l'éxemple de ces fages Républicains, & de ces hommes véritablement libres, qui terraf

s'agiffoit pour le rompre & le diffoudre, que de gagner le fort des piques des deux premiers rangs, le refte étoit peu de chose: car dès que les foldats Romains s'approchoient couverts de leurs grands boucliers, & armez de leurs épées courtes & tranchantes, plus avantageufes que les longues, non feulement contre des troupes qui combattent couvertes d'armes défenfives, mais encore contre un corps de piquiers, les longues piques ne faifoient plus que les embaraffer. Un peu de bon fens fuffit pour reconnoître le défavantage des armes longues, qui ne font pas mêlées avec d'autres plus courtes, indépendamment du feu ; il y a une infinité d'éxemples qui démontrent cette grande vérité, & qui font voir qu'il faut des piques, ou des pertuifannes d'une longueur proportionnée dans l'infanterie il n'en faut pas à la vérité un grand nombre, mais il en faut néceffairement.

Je ne vois pas qu'il foit fort extraordinaire qu'un bataillon rompe un corps de piquiers l'épée à la main. L'éxemple de Carmignole, Général de Vifconti Duc de Milan, en est une bonne preuve. Ce Capitaine brave & résolu, se trouvant engagé en rafe campagne contre dix-huit mille Suiffes, tous piquiers, s'en alla au-devant, quoiqu'il n'eût que fix mille chevaux & quelque infanterie à lui oppofer. Le choc fut rude, &

ferent le Duc de Bourgogne dans une grande bataille avec cette arme, dont ce grand Capitaine manquoit. Il les eût défaits, s'il eût penfé & combattu comme Carmignole contre la même nation, ou comme le Maréchal de Briffac. Quand nous fommes défaits & battus par le défavantage de nos armes contre d'autres plus avantageufes, il faut changer & prendre les bonnes. C'est ce que les Grecs ne frent jamais, non plus que les anciens Gaulois contre les Romains.

Ces Gaulois, qui prirent depuis le nom de François, fans changer d'humeur & d'inclination, ne changérent pas pour cela par l'expérience de leurs défaites, qui vinrent toutes du défaut de leurs armes. La bataille de Caffilin qu'ils donnérent contre Narfez, General de Juftinien, & qu'ils perdirent, ne les rendit pas plus fages ni plus avifez. A la bataille de Courtrai contre les Flamans, qui fut une jour née des plus furieufes & des plus opiniâtrées, ceux-ci dûrent leur victoire leurs, piquiers, & les François qui n'en.

à

avoient point furent battus..

La Noue, célébre Officier d'infanterie, & qui a excellemment écrit de la guerre s'élève contre ceux qui rejettent l'ufage de la pique; il la propofe comme une arme excellente. Le Père Daniel cite cet Auteur dans fon Livre de la Milice Françoife, & nous citons ce Jéfuite avec plaifir par l'eftime que nous faifons de fon Livre. On avoit peine à trouver des foldats en ce temslà qui vouluffent être piquiers; & d'autant, dit la Noue, que les foldats ne veulent plus porter de corcelets, (c'étoit l'armûre défenfive du piquier,) cet ordre aideroit à les mettre en ufage & en honneur, ce qui n'eft pas fi mal aisé que l'on pense; mais il feroit bon de commencer par les Capitaines,qui ont les premiers rejetté l'usage. de la pique. Ceux-là n'étoient pas les plus habiles du tems de la Noue, je le reconnois par leur fentiment. On peut juger tout de même de ceux d'aujourd'hui, qui l'embraffent fans éxamen & fans réfléxion, mi fans trop fçavoir pourquoi..

Carmignole rompu & mis en fuite. Cet homme déterminé ne fe découragea point, la honte lui fervit d'aiguillon pour avoir fa revanche tout fur le champ. Il rallie fa cavalerie & revient à la charge; mais lorsqu'il fe vit à une certaine distance de l'ennemi, il fait mettre pied à terre à fes gens d'armes, qui étoient armez de toutes pièces, & fond fur l'ennemi ferré & en bon ordre. Il en vient aux mains, s'ouvre un paffage à travers cette forêt de piques, en gagne le fort, & ces piques deviennent inutiles & fans effet à caufe de leur trop grande longueur ; les Suiffes font enfoncez, la tuerie fut d'autant plus affreuse, que les foldats des premiers rangs étant rompus, rompus, les autres dont les piques étoient à demi baiffées, ne pouvoient les préfenter à l'ennemi, qui les ferroit de trop près ce qu'il y avoit de plus fâcheux & de plus trifte, c'eft que les rangs qui reftoient encore en entier preffoient en reculant ceux qui étoient derriére, & ceux-ci par un courage mal entendu pouffoient les autres qui les précédoient: de forte que le pressement réciproque des rangs & des files leur ôta le moien de mettre l'épée à la main, au lieu qu'ils euffent dû les lâcher. Le carnage fut tel, qu'il ne s'en eft guéres vû de pareil: de toute cette armée il ne refta que trois mille hommes, qui mirent armes bas ; le reste fut étendu mort fur le champ de bataille. Cet éxemple, qui eft très - remarquable, eft une preuve de l'afcendant que l'audace & l'habileté ont fur le nombre, & l'avantage d'une arme fur l'autre.

Cette action de Carmignole démontre évidemment la foibleffe d'un corps de piques, & prouve en même tems que la trop grande longueur d'une arme cft un défaut très-effentiel, comme je le fais affez voir dans mon Traité manufcrit des armes blanches c'est ce qui m'a fait préférer la pertuifanne à la pique.

J'ai lu dans les Mémoires de Villars, qui est un Auteur ef timable, & qui écrit plutôt les actions du Maréchal de Briffac, un des plus grands Capitaines de fon fiécle, que l'Histoire de fon tems. J'ai lû, dis-je, dans cet Auteur, un éxemple d'intelligence militaire qui me furprend, & qui m'en donne une grande idée, pour ne pas dire qu'il la remplit entiérement. Je n'ai garde de laisser échaper un morceau de cette nature, je vais le donner tel que je l'ai lû.

رو

Je ne veux à ce propos oublier de repréfenter ici une > nouvelle forte de combat que le Maréchal avoit inventée,

[ocr errors]
[ocr errors]

"

[ocr errors]

دو

[ocr errors]
[ocr errors]

"

pour s'en fervir le jour de la bataille. Mais en premier lieu; dit-il, il faut fçavoir que Santia eft fitué en une grande campagne traversée de long en long, & jusqu'au-delà de la ville, d'un profond ruiffeau, large de fept à huit pieds, duquel les ennemis avoient détourné l'eau. Le Maréchal donc, qui l'avoit piéça fort curieufement reconnu, à la même in"tention qui fe préfentoit lors, avoit délibéré de marcher avec l'armée tout le long de ce ruiffeau, qu'il farciroit d'arquebuziers: & que d'autre côté il couvriroit l'armée par les flancs " avec quarante chariots armez, chargez de vivres, chacun d'eux accompagnez de deux facres & dix arquebuziers, qui fortiroient & fe retireroient par les intervalles qu'il y auroit d'un chariot à l'autre. En tête d'un chacun bataillon, il devoit avoir, au derriére des deux premiers rangs de piquiers, » cent fort réfolus foldats, aiant chacun un bouclier & une épée courte & large de quatre doigts, & bien affilée, avec commandement qu'en même tems que les bataillons s'entrechoqueroient avec les piquiers, de fe courber par deffous les nôtres; & ainfi courbez, fe jetter dans les jambes des ennemis, & leur tailler force jarretiéres rouges, eftimant

[ocr errors]

"

[ocr errors]
[ocr errors]
[ocr errors]
[ocr errors]
[ocr errors]
[ocr errors]

د,

[ocr errors]

que ce feroit une éxécution & une forme nouvelle de combat, qui donneroit grand avantage aux nôtres & le contraire » aux ennemis, lefquels étant inveftis ne pourroient laiffer les piques à leur défense.

Sur ce que j'ai dit plus haut du corps des piques, on comprendra ailément que l'invention de cet excellent Chef de guerre étoit très-bien imaginée, & d'un homme fçavant & profond dans l'infanterie, & qu'elle eft auffi très-facile dans l'éxécution, puifqu'il y en a même des éxemples.

Ce que fit Fabien, Officier du régiment de Jacob, à la bataille de Ravenne, gagnée par Gafton de Foix, eft une action des plus hardies dont on ait jamais ouï parler.

Cet Officier, un des plus grands & des plus forts hommes qu'il y eût en Europe, dit le Pére Daniel, fauta au milieu des ennemis, & prenant par le travers une le travers une longue pique qu'il tenoit, la baissa avec tant de force (a) fur celles des piquiers Efpagnols, au milieu def

(a) Je ne crois pas qu'il foit befoin d'une force fi extraordinaire pour faire ce que Fabien fit. Il ne faut que ne point ignorer ce que c'eft que levier. Un enfant en feroit tout autant l'extraordinaire fe trouve feulement dans la hardieffe & dans l'intrépi

dité de cet Officier. Le plus grand homme de l'Europe eft fans doute un géant, & Fabien n'étoit pas un géant. L'Hiftorien eût pû emploier un autre terme qui donnât une idée un peu moins colossale.

quels il étoit, qu'il donna le tems à ceux qui le fuivoient de fe jetter fur eux par cet espace; c'est-à-dire que les piques fe trouvant baiffées, & les fers contre terre, les Efpagnols ne pûrent les relever pour les préfenter à ceux qui venoient après, qui les mirent fous les pieds, & fe jettérent fur les piquiers. C'eft ce que l'Hiftorien veut dire. C'eût été un miracle, fi celui qui fit un coup fi déterminé, n'y eût pas laiffé la vie. Si les piques des Efpagnols n'avoient pas été de la longueur ordinaire, ce brave Officier n'eût jamais pensé à une action fi hardie.

Il y a certaine proportion dans les armes blanches qui en fait le fort ou le foible, particuliérement dans la pique. Je m'imagine qu'il n'y en a pas de plus parfaite & de plus avantageufe que celle que je propofe. Il eft certain qu'une arme qui paffe douze pieds dans la longueur ne vaut rien. Elle eft fans force,、 fans action & fort embaraffante, elle péfe à la main par la raison du levier : fes coups étant moins vifs & moins redoublez, on gagne aifément le fort des premiéres : celles du fecond rang font encore moins à craindre, & les autres prefque immobiles; mes pertuifannes font plus courtes, & par conféquent plus fortes & plus aifées à manier, & les coups plus affurez: il n'y a pas moien d'y parer, ni de s'en garantir. Qu'on ait retranché cette arme par les confeils de la multitude, cela ne me furprend point, la baionette pouvoit faire illufion pour un tems: mais qu'on continue dans cette erreur, voilà ce que je trouve de fort étrange.

Fin du Traité de la Colonne.

« AnteriorContinuar »