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fciences qui ont rapport à ma profeffion, n'alloient bien loin au delà de ces années de calme & de repos dont nous jouissons, & qui semblent vouloir disparoître.

L'entreprise eft grande, je n'en fçaurois disconvenir; on échoue en faifant des projets trop vaftes & trop difficiles, je l'avoue: mais cela n'eft pas toujours vrai. Si› cette entreprise eft au-deffus de mes forces & de mon fçavoir, c'eft ce que je ne puis dire encore, du moins n'eft-elle pas au-deffus de ma hardieffe: s'il y a plus que du hardi dans mon fait, ce qui peut bien être, je puis être heureux fans être plus habile que ceux qui font moins entreprenans & moins ambitieux. S'il eft décidé que je tomberai de bien haut, j'aime mieux illuftrer ma chûte, & échouer dans un grand dessein, que de me fauver dans un médiocre.

Quand on a par devers foi de longs fervices, des études, une violente paffion pour la Guerre, qu'on a vû manœuvrer des Généraux habiles & expérimentez pendant le cours de deux grandes & cruelles guerres, que l'on a pratiqué foi-même, ou du moins que l'on a fourni des projets pour l'éxécution de certaines entreprises qui ont eu un fuccès heureux, qu'on s'eft perpétuellement appliqué à fon métier fans aucun soin de sa fortune, & qu'on s'eft acquis les connoiffances néceffaires pour traiter tout ce que la science des armes a de plus grand & de plus élevé, on peut raifonnablement espérer de réuffir dans une entreprise fi vafte & fi peu commune; puifqu'alors on n'a rien négligé de ce qui peut conduire au but que l'on s'est propose. Malgré cela je ne dois pas croire y être arrivé : mais du moins me fçaura-t-on gré, fi l'on n'eft injufte, d'avoir tenté d'y atteindre.

Je le fens bien, j'aurois plus befoin qu'un autre d'entrer en justification avec mon Lecteur des fautes où je

puis être tombé. Il est difficile, pour ne pas dire impoffible, de n'en pas faire beaucoup dans un Ouvrage d'un détail aussi grand & auffi vafte que celui-ci. Malgré toute mon attention à éviter les méprises, je prévois affez que je me tromperai en bien des endroits, & fur certaines matiéres qui n'ont aucun rapport à mon métier, & fur lefquelles je ne fuis pas fi bien campé & si bien retranché que fur les autres. Mais à quoi me ferviroit-il de crier, s'il y a bon quartier à mon Lecteur, qui n'en donne aucun, & de perdre mon tems en vaines excufes ? Je l'ai dit dans ma Préface de mes Nouvelles Découvertes, je préviendrois inutilement fon jugement par des juftifications ennuieuses, & encore plus inutiles; on prend trop de plaifir à relever les fautes d'un Ecrivain, pour croire qu'on m'excuse dans les miennes. Un Auteur n'a qu'à bien faire, dès qu'il s'eft mis une fois en campagne, c'eft au Public à juger de fon fçavoir ou de fon ignorance; il s'agit feulement de l'un ou de l'autre dans un homme de la profeffion que je fuis.

L'on auroit très-grand tort d'éxiger de moi autre chofe que d'écrire en homme qui n'entreprend rien de trop téméraire, & qui croit poffeder affez bien les matiéres dont il traite, & de les expliquer feulement d'une maniére claire, fimple, naturelle & fans baffeffe. Il ne s'agit point ici de stile, & de marcher en grand appareil & avec pompe comme dans un triomphe de Rhétorique, mais des chofes & des penfées ; j'ai crû qu'il fuffifoit de m'en tenir là, fans négliger pourtant ce qui appartient à l'éloquence militaire, qui ne souffre rien de bas ni de trop relevé ; autant qu'il dépend de mes forces, j'imite certains arbres qui donnent des fleurs & des fruits tout ensemble. C'eft affez que nous aions tant fait que d'y parvenir, & c'eft encore ce que les gens de guerre,

comme les autres qui veulent s'inftruire, demandent & fouhaitent le plus.

Qu'on ne s'imagine pas que j'imiterai certains Commentateurs qui fe contentent de mettre de nouveaux mots, rarement de nouvelles chofes, & fouvent de celles qui ont été mille fois répétées par différens Auteurs. Il eft facile de cultiver les terres qui ont été déja défrichées & travaillées par d'autres. J'ai crû devoir les laiffer à leurs premiers Maîtres, & qu'il me feroit plus glorieux de m'ouvrir des paffages à travers les forêts les plus obfcures, & où perfonne n'avoit encore pensé à pénétrer depuis tant de fiécles, fans me croire pourtant plus habile & plus éclairé, mais plus hardi & plus patient que les autres, puifque perfonne n'ignore combien la recherche du vrai coûte de peines & de foins ; dans les endroits où je le cherche inutilement parmi les ruines & les débris des tems antiques, je mets en ufage mes conjectures; que s'il arrive que je me fois trompé en quelques-unes, on ne fçauroit le trouver étrange, puifque je ne les donne que fur ce pied-là. Si des Sçavans illustres & de mes amis ne fe font pas trompez dans le jugement qu'ils en ont fait, j'ofe efpérer qu'il n'y en aura aucune de rebutée. Il eft vrai que j'attaque en quelques endroits celles de quelques grands hommes qui ont traité comme moi l'antiquité militaire, & que je fais voir leurs erreurs; mais il faut que l'on confidére que ces erreurs ont produit la vérité, & que celles où je puis être tombé, auront peut-être le même avantage, aiant approché en bien des chofes difficiles au plus près de la vérité fans la reconnoître & fans l'aborder. Après tout il ne faut pas que le nom & le titre de Sçavant nous en impofent; l'on verra qu'ils ont, faute d'expérience, débité bien des chofes fauffes pour des véritez.

Je

Je prévois affez, & felon toutes les apparences je ne me trompe point, qu'on trouvera cet Ouvrage un peu trop diffus. Il est affez ordinaire aux efprits prétieux & dégoûtez, dit un Sçavant, de fe plaindre de la prolixité des Auteurs ; ce défaut dont je puis être accufé, & dont je m'accuse, me fait fouvenir d'un beau passage de M. Arnaud, qui me paroît digne d'être copié. Il eft vrai, dit cet homme célèbre, qu'à l'égard de ceux qui ont beaucoup de pénétration d'efprit, & qui entendent à demi mot, j'aurois pû être bien plus court; mais on écrit pour toutes fortes de perfonnes, & il est juste que les plus forts s'accommodent à la portée des plus foibles, felon ce que Saint Auguftin difoit à fon peuple: Patiantur aquila dum pafcantur colomba. J'ai de plus ce défaut, (car c'en est peutêtre un ) que j'ai trop d'attache à faire enforte, autant que j'en fuis capable, que ce que je crois vrai foit expliqué d'une maniére qu'il foit bien facile de le bien comprendre, & d'en être perfuadé's c'est cela feul, ce me semble, qui me fait être plus long que je ne voudrois.

Je n'ai pas d'autres raisons que celles que je viens d'alléguer pour juftifier l'étendue que je donne à certaines queftions. S'il fe trouve des gens à qui elle déplaife, fans difficulté j'en entrevois un plus grand nombre qui m'en remerciera, parce que je ne dis rien d'inutile, ni rien de fuperflu, ou du moins tout porte coup. Après tout, qui est l'Ecrivain fur la terre qui puiffe contenter tout le monde? J'offre ici un feftin abondant, compofé de toutes fortes de mets & de fruits tirez de mon cru en plus grande quantité que de celui des autres; il est libre à chacun des Conviez de choisir & de prendre ce qu'il trouvera de plus à fon gré; tout est apprêté de ma main, & j'ai eu égard aux différens goûts.

Si j'avois paffé une partie de ma jeuneffe dans un Col-
Tome I.

b

lége, & étudié fous la difcipline d'un Pédagogue qui m'auroit inftruit des régles de la Rhétorique, & appris à ne donner à mes pensées & à mes raisonnemens que la jufte étendue qu'ils doivent avoir, j'aurois été peutêtre plus court, je n'en difconviens pas ; mais je ne fçaurois croire que je n'euffe pas ennuie: il faut laiffer un cours libre à l'humeur & à la nature, & ç'eût été forcer l'une & l'autre. Je ne fçaurois me contenir fous les enfeignes de ces régles, je n'ai pû me contraindre dans cette forte de difcipline; déplaît-on moins fans ce défaut ou avec ce défaut, fi l'on manque d'efprit?

Je crois que cette méthode preffée eft admirable dans un Auteur de profeffion, qui doit avoir des vûes fuivies, marcher ferré & uni comme une Colonne, fans digreffions, fans fuperfluitez, fans citations & fans éxemples, franchement c'est une très-grande fervitude que cela, c'est se mettre à la chaîne. Me donné-je pour un Auteur tel que je dis? J'imite le mien, qui ne court pas fec comme les autres. Marche-t-il plus ferré & dans une plus grande difcipline de Rhétorique que je ne fais ? Déplaît-il? Ennuie-t-il? Au lieu que la plupart des autres font un effet tout contraire fur l'efprit de leurs Lecteurs. Si c'est un mauvais modéle felon quelques Sçavans, ç'en eft un bon felon d'autres plus Sçavans qu'eux, & plus grands Connoiffeurs. Je m'en tiens à ceux-ci fans méprifer les autres, & plus encore à la nature qui m'y entraîne, comme elle entraînoit Michel de Montagne, & contre laquelle la Rhétorique, toutes fes régles & fes Profeffeurs vont le brifer comme contre un roc.

On peut juger par ce que je viens de dire, que les libertez que je me donne, & les hardieffes que je prens ne font pas petites, & je m'en fçai gré. J'en avertis mes Lecteurs par avance, bien loin de chercher des raisons pour excufer mon libertinage.

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