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& ce qu'il dit à fes foldats en valloit affez la peine: Nous devrions rougir de honte, leur dit-il, de faire les vains d'une victoire dont feize bê

tes ont tout l'honneur. Sans la nou

veauté de ce spectacle, qui a jetté la fraieur parmi les Galates, quelle réfiftane auriez-vous pû faire? De forte qu'il fit élever pour trophée un éléphant. Ce Prince, à qui Lucien fait répandre des larmes fans aucune raifon, eût pû lui fournir un fujet de dialogue très-divertiffant & très-inftructif, pour apprendre aux Pompées de fon tems, comme à ceux du nôtre, qui s'attribuent baffement & fans fcrupule les actions & la gloire d'autrui, & qui s'érigent d'orgueilleux trophées des victoires dont ils ne font pas les auteurs, qu'il faut rendre à chacun l'honneur qui lui appartient, fans acception de perfonnes. Mais, dira-t-on, les éléphans font de grof fes bêtes pourquoi leur ériger un trophée ? Pourquoi non, leur répondra-t-on, s'ils ont eux feuls remporté la victoire? Sont-ils les feuls animaux qui aient mérité qu'on leur érigeât des trophées Les ânes au rapport du pere de l'Hiftoire, ne fauvérent-ils pas Darius & toute fon armée d'une ruine totale? Les Scythes ne l'euffent-ils pas défait, fans le braiement des ânes, qui font bien plus bêtes que les éléphans: Ecoutons Hérodote: Mais il y avoit une chofe qui favorifoit les Perfes, & qui nuifoit aux Scythes quand ils alloient attaquer Darius, c'étoit le cri des ânes la forme des mulets. Combien d'autres bêtes, fans être ânes ni éléphans, ont gagné des batailles, & fait chanter des hymnes & des actions de graces? Les hiftoires anciennes & modernes en font toutes remplies.

§. IV.

Réfléxions fur les fautes des Romains:

E l'ai déja dit plus haut, & il n'y a pas grand mal de le répéter, l'ordre de bataille de Régulus à fon infanterie, aux diftances des colonnes près, eft digne de remarque; mais quant à la pofition de fa cavalerie je ne vois rien de plus abfurde & de moins fenfé. Les deux armées étoient en bataille dans une plaine rafe & découverte, & par conféquent les aîles de part & d'autre fe trouvoient en l'air. Voilà l'égalité à l'égard du terrain, elle étoit affez la même à l'égard du nombre; mais il n'y en avoit point dans la nature des armes, Régulus n'aiant que trois cens chevaux, & Xantippe quatre mille. En récompenfe le premier a trois mille hommes d'infanterie de plus. Il n'y a que les éléphans qui puiffent rendre les Carthaginois fupérieurs; c'eft ici l'avantage d'Antiochus, auquel les Carthaginois euffent dû dreffer un trophée. Laiffant les éléphans, je fuis perfuadé qu'en ce tems-ci un Général foible en cavalerie, ou fans le fecours de cette arme, iroit avec un peu plus de ménagement & de circonfpection que ne fit Régulus: il n'auroit garde de fe jetter dans les plaines avec fa feule infanterie, qui ne connoît pas fa force, & qui la connoîtroit bientôt, fi nous n'ignorions l'art de nous ranger par colonnes, contre lefquelles la cavalerie ne peut & ne pourra jamais rien. Il n'en étoit pas ainfi de l'infanterie Romaine, elle connoifoit très-bien fon pouvoir. Jamais cavalerie n'ofa l'attaquer de droit front, elle n'y eûr pas trouvé fon compte. Il s'en falloit bien que celle-ci eût des armes auffi avantageufes que la nôtre, & cependant la nôtre n'oferoit s'abandonner

fur nos bataillons minces d'aujourd'hui, aufquels elle pafferoit aifément fur le ventre, fi les Officiers de cavalerie connoiffoient bien leurs avantages: tant eft grande la foibleffe de nos bataillons rangez fur trois ou quatre de hauteur.

Régulus avoit fi bien ordonné fes légions, qu'il étoit impoffible de les entamer & de les rompre, quelque effort déterminé que la cavalerie des Carthaginois eût pú faire. Leur force étoit égale partout, par mon principe des colonnes, & quelques débordées qu'elles pûffent être, fe trouvant rangées d'une maniére fi admirable, elles n'avoient rien à craindre, puifque la défaite de la phalange Carthaginoile entraînoit néceffairement celle de fa cavalerie, ou du moins l'obligeoit à quitter partie, & à s'en aller, fans qu'il lui fût poffible de favorifer la retraite & fes débris de l'infanterie, dont la défaite étoit d'autant plus affurée, qu'elle ne valloit pas à beaucoup près celle des Romains. Si Régulus, comme je l'ai répété fi fouvent, avoit laiffé de bonnes diftances entre fes colonnes, tout au moins, triples à leurs fronts, comme il le pouvoit fans rien craindre, à cause de l'avantage de ces corps qui attaquent & le défendent indépendamment les uns des autres, & dont toute la force eft dans eux mêmes, il donnoit par ces grands cfpaces une étendue double à fon ordre. Qui peut douter qu'en fuivant cette méthode, la défaite de Xantippe ne fût complette & certaine ? Quelle reffource, quel azile pouvoitil trouver dans fa phalange outrepaffée à fes aîles, & rangée plus imparfaitement? Quels avantages pour Régulus, s'il eût pû les connoître ? Rien pourtant de plus aifé: le bon fens & l'expérience dont il étoit af fez bien pourvû, lui échapérent en

cette occafion. Il faudroit que nou euffions peu de l'un, & que nous manquaffions totalement de l'autre, pour ne pas remarquer tous ces avantages. Illaiffe fa cavalerie dépouillée de tout ce qui pouvoit fuppléer à sa foibleffe. Quelle conduite! Rien ne l'empêchoit de la fortifier & de la faire foutenir de fes Triaires enchâffez dans fes efcadrons.

Mais remarquez, je vous prie, à quoi il tenoit que celui qui vient d'être battu & terrasfé ne le fût pas, & ne fit tomber fur le victorieux toute la honte de cette journée. Une bagatelle, un rien pouvoit faire le coup, fans qu'il fût befoin de tant d'art ni d'une difpofition fi rafinée : & cerien, lorfqu'on ne l'ignore, ou qu'on ne le néglige pas, eft capable de ren-verfer les entreprifes les mieux concertées. Seize éléphans de l'armée d'Antiochus Soter, fur lesquels on comptoit auffi peu que fur rien, vien nent à bout d'un ennemi formidable que ce Roi de Macedoine croioit invincible, comme dit Lucien; envoici cent qui ne font guéres moins fiers de la défaite des Romains, queles feize de celle des Galates. A quoi tenoit-il, encore une fois, que ceux-ci de leur côté, & les Romains de l'autre, ne fiffent voir par une rufe & un fecret ignoré jufqu'alors, & qui n'a été connu que quelque tems: après, que ces animaux n'étoient que des groffes bêtes, & qu'elles a-voient certains foibles, comme certains hommes, qui affrontent les plus › grands dangers, & qui s'épouvantent à la vue d'une fouris, d'un chat, d'une anguille, &c. Si Régulus & le Géneral Galate avoient fçu que le cri d'un cochon étoit capable de por ter la terreur & l'épouvante dans le cœur de ces animaux, & de les mettre en fuite, il n'eût eu garde de manquer d'oppofer une ligne de cent

cochons à celle des cent éléphans de Xantippe & en ce cas celui-ci ne perdoit-il pas la bataille? Car ces cent éléphans fuffent tombez fur leurs propres gens, & les euffent mis en défordre; & les Romains donnant là-deffus, je laiffe à penfer ce qu'il en feroit arrivé. Régulus jufte & équitable, comme il étoit, cût fans doute imité Antiochus, il eût fait le même compliment à fes foldats, & fait élever pour trophée un cochon. J'ai trouvé ce fecret dans Procope. Ce feroit furieufement négliger les régles des affortimens, fi je ne rapportois pas le paffage.

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Quand Cofroes affiégea Edeffe, » il y avoit dans fon armée un prodigieux éléphant, qui portoit une » tour femblable à la machine que » l'on appelle Hélépole, & dans cette » tour un grand nombre de vaillans » hommes, qui faifoient pleuvoir une » grêle de traits dans la ville: de forte » que ceux qui gardoient le tour des » murailles, furent obligez de fe reti» rer; mais à l'inftant même ils évi» térent le danger, par le moien d'un le moien d'un porc qu'ils attachérent au haut de » la tour, & dont le cri un peu plus » perçant que de coutume, effarou» cha l'éléphant & le fit reculer. Ce n'eft que depuis ce fiége que les Romains apprirent, dit l'Auteur, cette rufe de rendre les éléphans inutiles.

A la guerre les fautes ne font jamais petites, le Lecteur fe le tiendra pour dit, une feule peut tout perdre, & Régulus en fait deux. S'il eût fçû profiter de l'avantage qu'il remporta à la droite de fon infanterie, car celleci aiant enfoncé & mis en fuite les étrangers foudoiez, pafférent outre, & fe mirent à leurs trouffes; fans s'embaraffer ni fans prendre garde à ce qui fe paffoit, ou alloit arriver à leur gauche, & que cette aîle victorieufe cût tourné fur l'aîle de la phalange,

les affaires euffent peut-être changé de face. Xantippe, profitant habilement de cette étourderie, & de l'avantage de fa cavalerie & de fes éléphans, attaque les Romains de toutes parts, & les taille en pièces.

Il y a peu de batailles où les Généraux d'armées puiffent trouver de plus belles leçons de tactique que dans celle-ci.AttiliusRégulus eft le premier après lesGrecs à qui nous fommes redevables du fyftême des colonnes, & le feul devant les Grecs qui ait combattu fur une ligne de colonnes parfaites. C'est donc à lui que nous devons cet ordre, & non à Scipion. Varron avant celui-ci, ou fon Collégue, s'en étoit fervi à Cannes, quoique cela ne paroiffe pas dans la traduction de Cafaubon, qui faute de termes propres pour expliquer cette évolution, n'a pû débrouiller ce miftére. Il faut plus que fçavoir le Grec, pour bien traduire ces endroits d'un Auteur militaire. Si Dom Thuillier n'avoit fçû ce que c'étoit que cette évolution, l'ordre de bataille de Cannes nous feroit encore inconnu.

Lorsque l'on combat par colonnes contre un ennemi plus fort, & qui ne répond pas dans le même ordre, fa fupériorité ne lui fert de rien. Le nombre d'une arme fur une autre, n'eft d'aucune confidération pour un Général habile, & expérimenté dans. l'infanterie : j'entens habile dans l'infanterie celui qui en connoît sa force or ceux-ci font très-rares en tout tems & en tous lieux.

Après tant de réfléxions & de remarques, finiffons par d'autres, qui ne font pas moins importantes pour l'inftruction des gens de guerre. Notre méthode de ranger l'infanterie est imparfaite & foible, dès qu'on la met en regard avec celle que je propofe. Tel Général, qui fe voit fupérieur en infanterie, & foible en

tavalerie, s'il s'embarque dans les plaines, muni feulement de ce qu'il a appris de la routine & de l'ufage, ne fçait plus où il en eft: la tête lui tourne, il ne trouve aucun reméde, & bientôt il porte la peine de fa témérité, ou il cherche au plutôt un azile par un délogement précipité. Il aime mieux abandonner les plaines à l'ennemi, & les voir défoler à fon aife, que de l'y chercher & de l'attaquer dans fon avantage. Il refte dans une honteufe inaction, & dans une défenfive toujours ruineufe à la réputation de fon Prince, & à la fienne propre. Il abandonne tout un païs, & des Provinces entiéres, fans ofer paroître lorfqu'il le pourroit avec gloire, en fe gouvernant par un fyftême différent de celui que nous fuivons communément; car à moins qu'il n'y ait une trop grande difproportion de forces, rien ne doit nous empêcher de tenter la fortune, perfuadez que l'adreffe, le courage, l'intelligence, qui réglent notre maniére de combattre, fuppléent toujours au défaut du nombre.

Il y a diverfes maniéres de ranger une armée en bataille dans un païs de plaine, lorfqu'elle fe trouve inféricure à celle de l'ennemi, foit que celui-ci le furpaffe par le nombre à tous égards, foit par la fupériorité d'une arme favorable au terrain, que l'autre n'a pas. Ce que l'ennemi a de plus de troupes à fes ailes, eft trèsdangereux, lorfque le foible ne voit pas où appuier les fiennes pour s'empêcher d'être débordé, en fe rangeant felon l'ufage d'aujourd'hui, qui n'eft que trop foible & trop défectueux. Nos Tacticiens de ce tems, nation vraiment moutonnière, puifqu'elle ne connoît qu'une feule maniére de fe ranger & de combattre, propofent l'expérience imitatoire. Nous voilà certes bien fçavans.. Cette ex

périence imitatoire eft-elle autre chofe que ce que nous combattons & que nous rejettons de toutes nos forces ?

l'on en

Les uns contre la fupériorité extraordinaire de cavalerie, nous propofent de mettre tout ce que a fur les aîles de la première ligne les efcadrons & les bataillons alternativement mêlez, & de compofer la feconde du refte de l'infanterie. Cela feroit bon, fi ces bataillons combattoient fur plus de profondeur, & qu'avec cela ils fuffent fraifez d'un cinquiéme de piques; mais cela n'étant pas, ils ne fçauroient jamais foutenir contre le choc des cfcadrons qui leur feront oppofez, & qui leur pafferont aifément fur le corps. Par conféquent cet ordre ne vaut rien. J'aimerois beaucoup mieux des pelotons, ou des compagnies de grenadiers fur cinq de hauteur, entre les efpaces des efcadrons; parce que ces. petits corps font prompts & fubits dans leurs mouvemens, ils fe jettent fur les flancs des escadrons ennemis, & fe répandent partout. La premiére méthode eft la plus ordinaire, l'autre eft plus rarement pratiquée, ou pour mieux dire, elle ne ne l'eft plus depuis plus de foixante ans.

Les autres entrelaffent alternative-ment toute leur cavalerie entre les. bataillons de leur première ligne, & leur feconde eft formée du refte deleur infanterie; ce qui n'eft pas fans de très-grands défauts: mais cette maniére de fe ranger, auffibien que la premiére, cft une chofe fi commune & fi connue, que fi l'ennemi en fait autant, on eft réduit au même embarras. Il fe trouve toujours dans le même avantage de fupériorité à fa cavalerie, & en poffeffion du terrain propre à cette arme, qu'on ne fçau-roit lui enlever par ces fortes de dif pofitions mille fois répétées, & tou

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jours les mêmes, fans qu'il en paroiffe aucune autre depuis près d'un fiécle. La fcience de la tactique ne roule pas fur un feul ordre de bataille dans les plaines, & dans les païs bizarres & mêlez, où l'on met chaque différente forte d'armes en fa place, & le plus fouvent fans y faire réfléxion comme je l'ai mille fois remarqué. S'il n'y avoit que cela à apprendre à la guerre, la tactique ne feroit pas une science, ni un art, mais purement une routine. La véritable tactique a fes régles, fes principes, & fes démonstrations peuvent s'enfcigner indépendamment de cette expérience tant vantée, & dont le fruit feul eft de nous perfectionner & de nous affermir dans nos entreprises & dans les dangers. Voilà des réfléxions qu'il m'a paru très-néceffaire & trèsimportant de faire; avant que de paffer à l'explication de notre ordre de bataille,ou de nos deux ordres : mon deffein étant de ranger l'armée fupérieure en cavalerie, quoique moindre en nombre de bataillons, de la maniére la plus favorable, felon la méthode de

notre tems.

Je fuppofe donc ici que l'ennemi eft plus fort en cavalerie, & l'autre en infanterie de forte néanmoins qu'il y ait égalité en nombre de troupes, je tiens moi, que fi les deux armées combattent dans l'ordre ordinaire, celuilà ne fçauroit s'empêcher d'être battu par la cavalerie, qui prévaudra fur l'autre, à caufe du terrain favorable à cette arme. Si je ne connoiffois aucune autre méthode que celle dont nous nous fervons aujourd'hui, & que je me viffe fupérieur en cavalerie contre une infanterie plus nombreufe, je formerois une bonne ligne de mon infanterie (2), foutenue par toute ma cavalerie en feconde ligne (3), ce que j'aurois de furplus (4) partagé aux aîles de ma feconde ligne & mes

dragons (5) en réserve. J'attaquerois dans cet ordre, je crois que ce feroit le mieux qu'on pût faire, quoiqu'on ne l'ait peut-être jamais pratiqué parce qu'alors une arme fe trouve foutenue par l'autre. Cette maniére de fe ranger feroit redoutable en ce tems-ci, parce que celui qui combat fur deux lignes, n'aiant presque point de cavalerie, fe trouve fur les bras les deux armes enfemble, & de gros efcadrons oppofez à fes bataillons minces. Contre un tel ordre ne pouvant oppofer prefque aucune cavalerie à l'ennemi par peu que j'en ai, voici mon ordre de bataille. Soit l'ennemi attaque dans l'ordre que je viens d'expliquer, foit qu'il combatte felon la méthode ordinaire, la cavalerie fur les aîles, l'infanterie au centre, les deux armées dans une plaine rafe & pelée, & les aîles en l'air, comme on dit.

le

que

Ma première ligne (6), fur une ligne de bataillons difpofez en colonnes fur une feule fection. Chaque bataillon de vingt-fix files, le refte en hauteur. Les aîles couvertes de deux colonnes (7), chacune de trois bataillons, ou fections. Deux colonnes (8) au centre, pour faire effort en cet endroit, & féparer les ennemis de leurs aîles. Ma feconde ligne formée du refte de mon infanterie. Deux colonnes (9), de deux fections à chaque aîle, où j'y partage ce que j'ai de cavalerie (10). Les cfcadrons entrelaffez chacun de deux compagnies de grenadiers (11). Le centre des bataillons (12), fur huit de profondeur. La réserve (13) de ce que j'ai de dragons. Voilà l'ordre de bataille fur lequel je voudrois combattre. Ceci n'a pas besoin de Commentaire, j'en laiffe le jugement aux connoiffeurs, qui font au fait de mon principe des colonnes. J'appelle connoiffeurs tous ceux qui au

ront

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