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Nous ne pouvons mieux faire que de mettre en tête de ce volume, au lendemain de la mort de M. Sainte-Beuve, lo fragment suivant, trouvé dans ses papiers. C'est un brouillon, écrit ou dicté à la bâte, et qui est resté à l'état de premier jet. Nous n'y changerons rien. Les points de repère qu'il contient, jusqu'à la date où s'arrête cette courte Esquisse, seront peut-être utiles, dans l'avenir, à l'exactitude d'une Biographie plus étendue. Et tout d'abord, nous avons pensé à l'offrir (telle que M. Sainte-Beuve l'a laissée) à celui qui doit trèsprochainement prononcer son Éloge à l'Académie française, à M. Jules Janin.

MA BIOGRAPHIE

J'ai fait beaucoup de biographies et je n'en ai fait aucune sans y mettre le soin qu'elle mérite, c'est-à-dire sans interroger et m'informer. Je n'ai pas toujours été heureux en retour, et parmi ceux qui ont bien voulu s'occuper de moi, il en est fort peu qui y aient mis les soins indispensables et dont le premier était de s'enquérir de l'exactitude des faits. M. de Loménie, bienveillant, n'est pas de

XIII.

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tout point exact. Vapereau, peu bienveillant, n'est pas même exact dans sa brièveté (1). Je ne parle pas de ceux qui n'ont été que de misérables libellistes, inventant et calomniant. Les faits de ma vie littéraire sont bien simples. Je suis né à Boulognesur-Mer le 23 décembre 1804. Mon père était de Moreuil en Picardie, mais il était venu jeune à Boulogne, comme employé des aides avant la Révolution, et il s'y était fixé. Les annales boulonnaises ont tenu compte des services administratifs qu'il y rendit. Il y avait en dernier lieu organisé l'octroi, et il était contrôleur principal des droits réunis lorsqu'il mourut. Il était marié à peine, quoique âgé déjà de cinquante-deux ans. Mais il avait dû attendre pour épouser ma mère, qu'il aimait depuis longtemps et qui était sans fortune, d'avoir lui-même une position suffisante (2). Ma mère était

(1) En revanche j'ai eu à me louer de bonne heure de M. Xavier Eyma, plus tard de M. Georges Bell... (M. Sainte-Beuve rappelle ici les articles de M. Xavier Eyma dans le journal l'Epoque, et une Notice sur lui de M. Georges Bell, écrite avec scrupule et utile à consulter, qui fait partie du Panthéon des Illustrations françaises au xixe siècle, publié sous la direction de M. Victor Frond, Paris, Lemercier, rue de Seine, 57.)

(2)« La remarque que je vois faire à un biographe m'oblige à dire un mot sur le nom même de mon père. Il s'appelait de SainteBeuve et signait ainsi avant la Révolution. C'est même sous ce nom qu'a été dressé son acte de décès (en 1804). Pour moi, né après la mort de mon père, j'ai trouvé ma mère s'appelant Mme Sainte-Beuve tout court. Il ne tenait qu'à moi de reprendre le de, puisque c'était mon nom; mais n'étant pas noble, je n'ai pas voulu me don ner

de Boulogne même et s'appelait Augustine Coilliot, d'une vieille famille bourgeoise de la basse ville, bien connue. Elle était enceinte de moi et mariée depuis moins d'un an, lorsque mon père mourut

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l'air de l'être. » - M. Sainte-Beuve n'a jamais cherché à remonter plus haut dans sa généalogie; il ne se croyait pas noble, et s'il a voulu, il y a quelques années, s'assurer de la particule paternelle, qui a été omise devant son nom sur son propre acte de naissance à lui-même, deux mois et demi après la mort de son père, s'il a écrit en 1865 à M. le maire de Moreuil qui a bien voulu lui communiquer très-obligeamment le document nécessaire, avec les extraits de naissance de ses oncles et tantes, c'est qu'il avait besoin de faire constater le vrai nom de son père pour la régularisation d'un acte notarié (il s'agissait, s'il m'en souvient bien, car il est bon de préciser pour faire taire les malveillants de plus d'une espèce, d'une rente perpétuelle provenant de sa mère à Boulognesur-Mer). Sur l'acte de mariage de ses parents, qui est daté du 30 ventôse an XII de la République (21 mars 1804, déjà Napoléon perçait sous Bonaparte), M. de Sainte-Beuve père est bien positivement appelé citoyen Charles-François de Sainte-Beuve, ce qui expliquerait à la rigueur que le de peut faire partie du nom sans impliquer nécessairement la qualité nobiliaire. - Mais M. SainteBeuve, quand il faisait relever ces différents actes, songeait aussi dès ce moment-là à répondre à la question que son livre de PortRoyal lui a value maintes fois, s'il était parent du docteur Jacques de Sainte-Beuve. Il s'est expliqué là-dessus d'une manière nette et catégorique en note, au tome IV, page 564, de la dernière édition de cet ouvrage. J'y renvoie le lecteur qui en voudrait savoir plus sur sa noblesse et sa parenté avec le docteur de Sorbonne. Il était temps de rentrer dans la littérature. M. Sainte-Beuve m'a donné souvent cette leçon de goût à l'adresse de ceux à qui il voyait écrire De un tel, tout court, sans le faire précéder du mot Monsieur: « On dit: M. de un tel, disait-il; ou bien on ne met ni Monsieur ni la particule... Entendez donc quand ils parlent mon ami de un tel; on dirait qu'ils ont peur que ce de ne se perde... »

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subitement d'une esquinancie (1). Ma mère sans fortune, et une sœur de mon père, qui se réunit à elle, m'élevèrent. Je fis mes études à la pension de M. Blériot, à Boulogne même. J'avais terminé le cours entier des études, y compris ma rhétorique, à treize ans et demi. Mais je sentais bien tout ce qui me manquait, et je décidai ma mère à m'envoyer à Paris, quoique ce fût un grand sacrifice pour elle en raison de son peu de fortune.

Je vins à Paris pour la première fois en septembre 1818, et depuis ce temps, sauf de rares absences, je n'ai cessé de l'habiter. Je fus mis en pension chez M. Landry, rue de la Cerisaie; M. Landry, ancien professeur de Louis-le-Grand, mathématicien et philosophe, était un esprit libre. Il est question de lui dans l'Histoire de SainteBarbe, par Quicherat. Je dînais à sa table, et j'y vis tout d'abord ses amis particuliers, l'académicien Picard entre autres. On me traitait comme un grand garçon, comme un petit homme. Je suivais avec la pension les classes du collége Charlemagne ; quoique ayant fait ma rhétorique en province, j'en

(1) Il mourut le 4 octobre 1804. Mais je ne crois pas en avoir fini avec le père de M. Sainte-Beuve, et je me réserve d'y revenir la fin même des deux Fragments biographiques que je donne ici successivement. La courte notice que je suis en mesure et que je crois de mon devoir de lui consacrer, dans un petit paragraphe à part, tiendrait ici, en note, trop de place.

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